A la suite de l’annonce de la baisse des crédits d’État alloués à la diffusion culturelle du cinéma, des producteurs, des réalisateurs, des distributeurs de films, des techniciens et des comédiens ont décidé d’une riposte contre la remise en cause des aides au cinéma. À leurs côtés se trouvent ceux qui programment une salle, organisent un festival, un ciné-club, ou encore ceux qui éduquent au sens et à la découverte des formes de l’image cinématographique, permettant à des publics variés, urbains ou ruraux, scolaires ou adultes, de mieux la connaître et l’aimer. Ainsi, est né le Collectif national pour l’action culturelle cinématographique (Cnacc).
La Société des réalisateurs de films s’inquiète, dans un texte pamphlet, « Avis de tempête », rendu public avant la cérémonie des César et qui dénonce « […] la suppression de la publicité sur le service public [de télévision, NDLR] et la “privatisation” du CNC [Centre national de la cinématographie, NDLR] préconisée par le gouvernement […] ».
Le Cnacc, l’Association française des cinémas d’art et d’essai (Afcae) et le Syndicat des cinémas d’art de répertoire et d’essai (Scare) appelaient à l’action « Écrans noirs », lors des César du 22 février. 200 salles de cinéma indépendantes ont ainsi remplacé la séance du soir et débattu avec le public de leur avenir, de celui du cinéma et de sa diffusion culturelle.
Lors de la cérémonie, Jeanne Moreau, couronnée d’un César pour sa carrière, a relayé l’action, défendant de la tribune, avec fermeté et ferveur, le cinéma indépendant et son action culturelle. L’actrice craint le pire danger pour le modèle français, exceptionnel par son mode de financement, alors que ses écrans, tels une fenêtre ouverte sur le monde, ont permis de découvrir, ici, les cinématographies d’ailleurs. Jeanne Moreau a dénoncé les mesures gouvernementales favorisant les gros circuits, au détriment des plus petites salles. L’actrice fut la seule à s’exprimer. L’Académie des César faisait taire, sans scrupule, tous les autres défenseurs du cinéma. Aussi bien le texte qu’elle avait reçu du Cnacc, cosigné avec l’Afcae et le Scare, que la lettre envoyée par le César du meilleur acteur, Mathieu Amalric, en tournage au Panama.
« Bataille sans merci »
Aussi, nous les ferons entendre ici. Geste d’écriture solidaire, dénonçant la censure honteuse exercée par les organisateurs et les animateurs des César. Du message envoyé par Amalric à l’animateur de la soirée, Antoine de Caunes, le lecteur tirera le suc et le sens de ce qui fut coupé. « Mais la salle de cinéma. Oui, la salle de cinéma, elle, doit pouvoir continuer à s’inventer. “À lire à la lumière. Et à diriger sur notre nuit” [Citation du film de Godard, Notre Musique Notre musique, NDLR]. Insupportable “trompe-l’œil” des multiplexes. Les chiffres comme seule ligne d’horizon. Aveuglément, brouillage, gavage, lavage. Et quelle solitude. Vous avez déjà parlé à quelqu’un dans un multiplexe ? Pas moi. D’ailleurs, c’est impossible, ce qui compte c’est le flux. “Circulez s’il vous plaît, y’a rien à voir”. Au suivant ! Bande de Brel. Alors que le travail souterrain, patient, divers, dédié au public, aux écoles, aux rencontres que font et ont envie de faire tellement d’exploitants de salle se voit de plus en plus nié aujourd’hui. La Question humaine n’aurait, par exemple, jamais fait autant d’entrées sans le travail de curiosité des exploitants de province et de l’Acrif [Association des cinémas de recherche d’Île-de-France]. Ce tissu de salles, que le monde entier nous envie, est notre cœur, nos poumons. Sinon... Sinon, on va tous finir devant nos “home cinéma” à se tripoter la nouille... Bons baisers de Panama… »
Et le collectif d’écrire : « Qui défendra notre travail de création cinématographique, si l’on détricote le travail de celles et ceux qui défendent le cinéma au plus près de nous tous ? Dans le même mouvement – faut-il y voir une simple coïncidence ? –, certains opérateurs multiplient les attaques juridiques et médiatiques, ainsi que les pressions commerciales à l’encontre de cinémas indépendants, qu’ils soient publics ou privés. Que ces attaques qui, par delà les exemples du Méliès à Montreuil et du Cœmedia à Lyon, visent à fragiliser toutes les aides publiques au cinéma, et surviennent à l’heure de la révolution numérique ne saurait être un hasard [Lire Rouge n° 2227 et sur ESSF : ]]. Le risque d’un cinéma à plusieurs vitesses est devenu une réalité […] qui pourrait […] remettre en cause la tradition de diversité et le principe de solidarité qui fondent notre vie culturelle. Ces menaces sont vécues comme autant de signes supplémentaires d’une volonté de démantèlement, de ce qui fonde l’exception culturelle et le modèle d’intervention publique français.
Agir
« Ce soir, nous, réalisateurs, créateurs, producteurs, distributeurs, exploitants, passeurs et acteurs de l’action culturelle cinématographique… déclarons que remplacer le principe de l’exception culturelle par celui de la sanctification de la libre concurrence revient, de fait, à légitimer la raison du plus fort. Ainsi, de la production à l’exploitation, en passant par les structures d’éducation à l’image, on pourrait défaire en 60 jours ce qui a été accompli patiemment en 60 ans.
« Il faut, au contraire, poursuivre et rénover une politique d’ambition, qui défende l’intérêt général des œuvres, des territoires et des spectateurs. C’est le sens de la mobilisation réalisée dans de très nombreuses salles de cinéma, à partir de ce soir durant cette cérémonie, pour alerter sur ces menaces à la fois les élus, les médias, l’ensemble de la profession ainsi que le public, et pour demander des clarifications aux pouvoirs publics. Il n’en va pas seulement de l’avenir du cinéma, si indispensable à notre imaginaire, à notre culture, et à la cohésion sociale de nos territoires. C’est aussi un enjeu de civilisation. »
Le collectif promet la poursuite de la mobilisation avec de nouvelles actions à venir. Sur le sale coup que lui firent les César, Mathieu Amalric écrit, dans le message qu’il envoie aux Cahiers du cinéma : « Je n’en reviens pas. Je ne savais pas que c’était si simple que ça, la censure. » Alors, ne laissons pas faire le silence. Ne laissons pas démolir le cinéma. Il est temps d’agir.
• Pétition nationale, actualité du mouvement :
www.cinema-diversite-culturelle.blogspot.com.