- Comment s’est organisé le mouvement contre la guerre dans l’Etat espagnol ?
Carlos Sevilla - Il a démarré avec l’apparition de la plate-forme de la culture contre la guerre lors des prix Goya [équivalents des Césars français]. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à généraliser la diffusion de badges, d’autocollants, de drapeaux... bref, de symboles montrant que les gens ont une activité de protestation. Puis le Forum social européen de Florence a joué un rôle important en lançant l’appel du 15 février. Appel auquel se sont ajoutés des secteurs comme les syndicats majoritaires et la social-démocratie. Enfin, il y a eu l’entrée en scène, à partir des premiers bombardements, du mouvement étudiant qui a développé une réponse spontanée et des pratiques de lutte comme la désobéissance civile.
Miguel Urban - Il y a aussi eu un travail antérieur. A Madrid, la manifestation du 15 février a aussi été lancée par la marche à Torrejon - une réédition des anciennes marches anti-Otan. Ce qu’il est également important de signaler pour expliquer l’ampleur de la mobilisation, c’est que ce n’est pas seulement une réponse contre la guerre. C’est un ras l’bol généralisé du gouvernement et de sa politique néolibérale. Il y a eu les luttes étudiantes, le naufrage du Prestige en Galice, la grève générale du 26 juin 2002. C’est comme ça qu’on peut expliquer des manifestations si massives - quatre millions de personnes sur l’ensemble de l’Etat espagnol - sur la question de la guerre.
- Comment peut-on expliquer la position du gouvernement et sa réaction face aux mobilisations ?
M. Urban - Parmi les gens qui descendent dans la rue, il y a aussi des électeurs et électrices du Parti populaire qui croient que le gouvernement s’est trompé. Mais le gouvernement ne s’est pas trompé, il mène sa politique de subordination aux intérêts économiques et à un modèle social représsif, dans le cadre d’une alliance claire avec les Etats-Unis. Notre rôle est d’essayer de dépasser la simple confrontation avec le gouvernement et d’aller vers la désobéissance civile. Les marches montrent qu’il est possible de questionner les bases du système et de dire qu’un autre monde est nécessaire.
C. Sevilla - Il y a une alliance entre des secteurs de l’impérialisme nord-américain et des secteurs de l’impérialisme espagnol sur le thème de l’Amérique latine. Le gouvernement espère une campagne courte. Mais dans peu de temps auront lieu les élections municipales qui tiennent lieu de premier tour des générales, et là le PP risque de subir une défaite électorale, qui devrait profiter à Zapatero, le leader de la social-democratie, ce qui n’apporte aucune alternative.
- Comment s’est developpé le mouvement étudiant contre la guerre ?
C. Sevilla - La structure qui existe dans les universités madrilènes est une coordination flexible de diverses assemblées. Ces groupes essaient d’élaborer un discours, mais surtout des actions de désobéissance civile. De là naît une culture politique nouvelle sur les thèmes de la démocratie et de la représentation politique. Nous voulons développer une contre-université, c’est-à-dire des savoirs critiques et alternatifs.
M. Urban - Des choses intéressantes émergent de ce mouvement, comme l’action permanente contre toute apparition publique d’un membre du PP, les occupations de rue, etc. Ce qu’il faut, c’est essayer de donner un contenu à ces actions. La radicalisation est de plus en plus élevée. Les gens s’approprient les slogans anticapitalistes. On voit des appels qui ne sont lancés par aucun canal conventionnel. C’est comme un bouche à oreille radical, et ça ressemble beaucoup à ce qui se passe en Argentine.