De Rome,
Après deux ans de gouvernement Prodi, les Italiens sont de nouveau appelés aux urnes, les 13 et 14 avril. Le cadre créé par l’expérience gouvernementale de ces deux dernières années est encore plus mauvais qu’en 2006, après cinq années de gouvernement Berlusconi. La politique du gouvernement de centre gauche a été marquée par une orientation résolument sociale-libérale : aucune loi antisociale du gouvernement précédent n’a été abrogée (sur les immigrés, sur la procréation médicalement assistée, sur le travail précaire, etc.), la réforme des retraites menée par Berlusconi a été remplacée par une réforme encore plus mauvaise, et aucune des promesses faites aux électeurs du centre gauche n’a été respectée. Enfin, en politique étrangère, on a tout simplement substitué l’unilatéralisme des États-Unis à la tentative de construire un multilatéralisme dans lequel l’Italie jouerait, en tant que puissance à vocation impérialiste, un rôle de premier plan. Ce qui a amené à retirer les troupes d’Irak mais, en même temps, à renforcer l’occupation militaire de l’Afghanistan et aussi à promouvoir la mission des Nations unies au Liban, encore une fois au prétexte d’une « mission humanitaire ».
Après plus de quinze ans ininterrompus de politiques néolibérales, la situation sociale italienne est dramatique. Le niveau des salaires (comparé au coût de la vie) figure parmi les plus bas d’Europe, 47 % des travailleurs de moins de 30 ans – et 63 % des travailleuses – ayant un contrat précaire. Entre 2003 et 2006, on a dénombré 5 252 accidents mortels sur le lieu de travail. Enfin, la liberté des femmes a été constamment attaquée, avec la remise en cause de la loi sur l’avortement, et une loi sur l’immigration parmi les plus racistes en Europe a été votée. Rien d’étonnant donc à ce que l’Institut de recherche Censis décrive la société italienne comme un « mucilage » [1], un ensemble informe dominé par l’individualisme et dans lequel tout lien social est en train d’être brisé. En commençant par les rapports de solidarité dans les classes populaires…
Impopularité
Enfin, le fait que ladite « gauche radicale » ait participé au gouvernement Prodi contribue de façon déterminante au pourrissement du contexte politique actuel. Ces deux dernières années, le Parti de la refondation communiste (PRC), les Verts et le Parti des communistes italiens (PDCI, issu d’une scission du PRC en 1998), qui ont tous eu des ministres au gouvernement, ont voté l’ensemble des lois proposées par Romano Prodi, notamment et, à plusieurs reprises, le financement de la mission militaire en Afghanistan. Ils se sont rendus complices des politiques sociales-libérales qui ont aggravé les conditions de vie des travailleurs, des femmes, des jeunes et des immigrés. Au-delà de leurs conséquences matérielles immédiates, ces politiques ont jeté dans la passivité les couches sociales qui s’étaient mobilisées dans le mouvement altermondialiste et les militants de gauche qui s’étaient engagés pour un changement social et politique. Elles ont aussi contribué à un nouveau déplacement vers la droite, non seulement du cadre politique institutionnel, mais aussi du sens commun et du niveau de conscience générale.
Echec de Refondation
Les nouvelles poussées en direction d’un bipartisme à l’italienne témoignent de ce déplacement droitier. Aux élections des 13 et 14 avril, on verra se confronter les deux nouveaux partis sortis de la réorganisation récente du cadre politique : le Peuple de la liberté (PDL, droite), issu de la fusion entre Forza Italia (le parti de Berlusconi) et Alliance nationale (les ex-fascistes), et le Parti démocrate (PD, gauche), qui rassemble les ex-Démocrates de gauche et la Marguerite (le parti de Prodi, un parti chrétien centriste), dans l’effort de singer l’élection présidentielle aux États-Unis. Quels que soient le résultat électoral et les éventuelles alliances que le parti gagnant sera obligé de passer pour gouverner, le prochain gouvernement, caractérisé par une orientation néolibérale, poursuivra des politiques impopulaires.
À la gauche du PD, un autre processus de fusion, entre le PRC, les Verts, le PDCI et la gauche des Démocrates de gauche, a eu lieu, dont le produit est le nouveau parti Gauche arc-en-ciel, un parti réformiste qui, comme dans la fable du renard et du raisin, laissé au bord de la route par le PD, se targue d’un maximalisme de pacotille, cherchant ainsi à récupérer sa base électorale et à consolider une alliance qui risque d’exploser juste après les élections.
En ce qui concerne la gauche radicale, il s’agit de la fin pitoyable d’un parti qui avait suscité beaucoup d’espoirs. Avec 100 000 adhérents à certains moments, le PRC a été le parti de la gauche radicale le plus important d’Europe. Il a aussi joué un rôle décisif par son implication dans le mouvement altermondialiste depuis 2001. Mais, en même temps, il s’agit d’un parti qui n’a jamais réellement rompu avec la tradition togliattienne [2], laquelle n’est jamais véritablement parvenue à une clarification programmatique, et a donc toujours vécu des oscillations entre une vocation gouvernementale et une orientation vers le conflit social. En fin de compte, c’est la vocation gouvernementale qui l’a emporté.
La décision, il y a trois ans, de participer au gouvernement de centre gauche a produit un changement radical de la nature du PRC, et elle a démobilisé ses cadres militants. En votant les mesures sociales-libérales, et surtout le financement de la mission en Afghanistan, le PRC a contribué au désarroi de la gauche. Désarroi dont témoignent aussi la perte de popularité des partis constitutifs de la Gauche arc-en-ciel et le déplacement significatif des intentions de vote en direction du Parti démocrate ou de l’abstention : un résultat en dessous de 8 % pourrait faire échouer la tentative de créer le nouveau parti.
C’est à cette confusion que la naissance de la Gauche critique (« Sinistra critica » [3]), en tant qu’organisation indépendante, en décembre 2007, essaye de répondre. La Gauche critique est née en tant que tendance interne du PRC, et elle s’est constituée autour de l’opposition au choix de participation gouvernementale et autour de la nécessité des luttes sociales. En février 2007, son sénateur, Franco Turigliatto, a été exclu du parti à cause de son refus de voter le financement de la mission en Afghanistan et la politique étrangère du ministre Massimo d’Alema.
Le PRC a de moins en moins servi d’outil à la construction de la résistance sociale et d’une alternative anticapitaliste crédible. Enfin, sa décision de constituer le nouveau parti, la Gauche arc-en-ciel (en niant tous les aspects de son passé, y compris l’effacement du symbole historique du communisme, la faucille et le marteau), et l’annulation du congrès, prévu pour le début de l’année 2008, ont poussé la Gauche critique à se transformer en organisation indépendante. Il ne s’agit pas d’une simple scission, puisque c’est le PRC en tant que tel qui a cessé d’exister : le cadre dans lequel on avait travaillé pendant les seize dernières années n’existe donc plus.
Deuxième tour social
La Gauche critique essaye de répondre aussi à une autre nécessité : celle de reconstruire une gauche indépendante du social-libéralisme, une gauche anticapitaliste qui ne recule pas et qui travaille de façon quotidienne à la relance du conflit social et à la reconstruction d’un nouveau mouvement ouvrier. Il s’agit d’une tâche difficile, même si le déplacement à droite du PRC ouvre un espace pour une nouvelle gauche radicale. Mais c’est une tâche que la Gauche critique ne pourra entreprendre seule. C’est pourquoi elle a lancé l’idée d’une liste anticapitaliste plus large, à la gauche de la Gauche arc-en-ciel, à l’occasion de ces élections, par le biais d’un appel public, auquel malheureusement les autres organisations de la gauche radicale n’ont pas répondu favorablement. Mais c’est aussi pourquoi la Gauche critique continuera à construire des alliances sociales avec tous ceux et toutes celles qui sont favorables à lutter contre la guerre et le néolibéralisme.
Quels que soient les résultats des prochaines élections et la coalition gouvernementale qui sera formée, deux choses sont sûres. Premièrement, il faudra construire une opposition sociale et politique puissante pour contrer les politiques menées par le nouveau gouvernement. Deuxièmement, au-delà du score électoral éventuel, la participation à ces élections et la candidature au poste de Premier ministre d’une jeune femme précaire et féministe, Flavia d’Angeli, est déjà un succès pour la Gauche critique. Elle a permis à cette nouvelle organisation de se renforcer et de créer de nouveaux liens, elle lui a permis aussi de se faire connaître plus largement et de se poser de façon crédible en tant qu’organisation ouverte, non pas ancrée dans une identité simplement idéologique, mais dans un programme d’opposition claire au capitalisme et au social-libéralisme, une organisation constituée en large partie par des femmes, des jeunes et des travailleurs précaires.
Un deuxième tour attend donc la Gauche critique, le deuxième tour social, celui des luttes et des mobilisations, qui passe aussi par la construction d’une gauche anticapitaliste forte à l’échelle européenne. Voilà pourquoi on participera avec beaucoup d’attention et d’enthousiasme à la conférence des 30 mai et 1er juin à Paris [4]).
APPEL À SOUTENIR LA GAUCHE CRITIQUE
« L’Italie va de nouveau voter les 13 et 14 avril. Le gouvernement de centre gauche animé par Prodi et soutenu par les communistes du PRC est tombé. Sa politique libérale de soutien aux exigences du patronat et sa décision de poursuivre l’effort de guerre en Afghanistan l’ont discrédité dans les couches populaires, qui ne voient plus la différence entre la gauche et la droite.
« Face à un tel échec et un tel désarroi idéologique, la démagogie de Berlusconi risque d’être payante. Le mouvement Gauche critique, issu du PRC, s’est constitué après l’exclusion du parti du sénateur Franco Turigliatto, qui avait refusé de voter le refinancement de la mission militaire en Afghanistan et s’était opposé à la politique de rigueur du gouvernement Prodi.
« Aujourd’hui, en dehors du PRC, se construit une gauche indépendante, anticapitaliste, en liaison avec tous ceux en Europe qui sont déterminés à construire une gauche qui ne recule pas, une gauche féministe, écologiste, internationaliste, qui soit fidèle aux mobilisations sociales et s’oppose radicalement à l’offensive de la droite et du patronat. Pour toutes ces raisons, nous soutenons les candidats présentés par la Gauche critique et, en particulier, la candidature à la présidence du Conseil de Flavia d’Angeli. »
Entre autres signataires : Ken Loach (réalisateur), Gilbert Achcar (écrivain), Daniel Bensaïd (philosophe), Olivier Besancenot (LCR), Alex Callinicos (SWP, Royaume-Uni), Heloisa Helena (présidente du Psol, Brésil), Angela Klein (ISL, Allemagne), Alain Krivine (LCR), Zbigniew Kowalewski (Révolution, Pologne), Michel Onfray (philosophe), Alan Thornett (Respect Renewal, Royaume-Uni), Éric Toussaint (économiste), Michel Warschawski (Israël).