• On a pu lire que le 29 mars allait peut-être entrer dans l’histoire…
Bruno Spire – Quoi qu’il se passe dorénavant, on est sûr que jamais autant de personnes malades ou en situation de handicap auront été réunies. La manifestation du 29 mars, qui partira à 13 heures de la place de la République à Paris, rassemblera au moins 20000 personnes.
• Qui est à l’origine de cette manifestation ?
B. Spire – Il y a quelques mois, l’Association des paralysés de France (APF) a invité de nombreuses associations de malades et de personnes en situation de handicap. L’APF souhaitait lancer un mouvement unitaire, dans le but d’obtenir la création d’un revenu de remplacement égal au moins au montant du Smic brut et indexé sur celui-ci, assorti de cotisations sociales et soumis à l’impôt, pour toutes les personnes incapables de travailler en raison de leur handicap ou de leur maladie invalidante, quel que soit leur âge, qu’elles aient cotisé ou non. Aides et de nombreuses associations ont décidé de se lancer dans l’aventure. Un pacte interassociatif a été rédigé. Le collectif a pris le nom de Ni pauvre ni soumis. Ce nom illustre une triste réalité, celle d’une société où des centaines de milliers de personnes, handicapées ou malades, sont condamnées à vivre toute leur vie sous le seuil de pauvreté. Il manifeste aussi notre refus collectif de cette situation sociale.
• De nombreux malades et des personnes en situation de handicap survivent en effet avec les divers minima sociaux…
B. Spire – C’est vrai. La valeur travail prônée par le président de la République concerne peu les malades et les personnes handicapées ! Parce que leur état de santé ou leur handicap ne le leur permettent pas, parce qu’elles ont été victimes d’accidents du travail, parce que les employeurs sont peu enclins à les embaucher, des centaines de milliers de personnes ne vivent qu’avec quelques centaines d’euros par mois. Près de 10 % des personnes séropositives, par exemple, perçoivent le RMI, 35 % une pension d’invalidité ou l’allocation aux adultes handicapés (AAH, 628,10 euros par mois). Depuis l’arrivée des traitements anti-VIH, les malades du Sida peuvent vivre longtemps mais, passé 60 ans, nombreux sont ceux qui le font avec le minimum vieillesse. La pauvreté est devenue un horizon indépassable pour les malades et les personnes handicapées.
• Quels bilans tirez-vous de l’action du gouvernement ?
B. Spire – Le chef de l’État, le gouvernement restent sourds à cette situation. Ils mènent même une politique clairement contraire aux intérêts des personnes malades ou en situation de handicap. « Travailler plus pour gagner plus » : au-delà de ce qu’on peut penser de la formule, cela a quelque chose d’indigne pour nous. Les malades, les personnes handicapées qui sont privées d’emploi, comment peuvent-elles gagner plus ? Elles sont soumises au bon vouloir des responsables politiques. L’AAH n’a été réévaluée, en 2007, que de 1,5 %, soit près de deux fois moins que l’inflation. Sa réévaluation de 25 % était pourtant une promesse du candidat Nicolas Sarkozy. Chaque année quasiment, les minima sociaux perçus par les malades et les personnes handicapées diminuent. Chaque année, ces derniers s’appauvrissent encore plus, sans qu’il leur soit possible de réagir.
• Ni pauvre ni soumis peut-il être le moteur d’un changement social d’ampleur ?
B. Spire – Je ne sais pas si nous y arriverons, mais que nous ayons été capables d’unir associations de malades et de personnes en situation de handicap m’incite à l’optimisme. Ce n’était pas acquis. Aujourd’hui, le mouvement compte plus de 90 associations, parmi lesquelles l’APF, la Fnath, l’Unapéi, Aides bien sûr, Act Up, l’Association française contre les myopathies… De très nombreux handicaps et pathologies sont représentés. Ces associations agissent ensemble depuis plusieurs mois au niveau national. Au niveau local, la mayonnaise prend aussi. C’est très positif pour la réussite de la manifestation du 29 mars, et pour la poursuite de l’activité du mouvement.
• Et après le 29 mars ?
B. Spire – La manifestation sera un énorme succès. Cela va obliger le gouvernement à se positionner. Nous nous voyons déjà proposer des rendez-vous avec certains ministres, avant et après la manifestation. Nous savons cependant bien que, pour imposer la création d’un revenu d’existence pour toutes les personnes privées d’emploi en raison de leur handicap ou de leur maladie, il faudra autre chose qu’une grosse manifestation et des rendez-vous dans les ministères. Aides, comme bon nombre d’associations du collectif, entend continuer à faire vivre Ni pauvre ni soumis, pour en faire un outil capable de peser sur les orientations des décideurs politiques.
• Revenons sur les franchises, l’un de nos combats communs. Quelles constatations faites-vous de leur application ?
B. Spire – Nous recevons tous les jours, dans nos délégations, des malades qui nous disent ne plus s’en sortir. Par mail également, des témoignages nous parviennent. En venant s’ajouter aux différents forfaits et franchises déjà existants, aux déremboursements de médicaments, aux dépassements d’honoraires non remboursés, les franchises mises en place le 1er janvier conduisent de nombreux malades à renoncer à des soins nécessaires. Malgré ce que clame le gouvernement, la situation financière de ces malades précaires ne leur permet pas d’être exonérés des franchises. Pourtant, leur reste à charge augmente sans cesse. En un an, une personne séropositive doit payer en moyenne 500 euros de sa poche pour se soigner. C’est énorme. Les nouvelles franchises, c’est la mesure de trop. En grève des soins depuis de trop nombreuses semaines, Bruno-Pascal Chevalier a réussi à révéler ce scandale ; un scandale qui deviendra vite lourd de conséquences sanitaires. Les nouvelles franchises obligent certains malades à laisser leur état de santé se dégrader. Le gouvernement nie cette réalité. Faudra-t-il que des malades pauvres meurent, faute de soins pourtant disponibles, pour qu’il change de politique en matière d’accès aux soins ?
* Paru dans Rouge n° 2245 du 27/03/2008. Propos recueillis par Anthony Bégrand.
Les handicapés manifestent
Paris, le 29 mars 2008. La manifestation des malades et handicapés a réuni plus de 30 000 personnes. Photothèque Rouge/Babar.
A l’appel du collectif Ni pauvre ni soumis, collectif qui regroupe une centaine d’associations d’handicapés, environ 30 000 personnes ont battu le pavé parisien, le samedi 29 mars. Ces personnes étaient là pour demander une augmentation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), qui est actuellement de 628,10 euros, donc en dessous du seuil de pauvreté. Elles voudraient voir cette allocation calquée sur le montant du Smic.
Elles dénonçaient aussi les effets d’annonce de Sarkozy (augmentation de l’AAH de 5 % par an, soit 31 euros cette année), alors même qu’avec cette allocation les personnes handicapées ne peuvent toujours pas vivre décemment. De plus, la mesure ne concerne pas les personnes handicapées vivant avec des pensions d’invalidité ou des rentes d’accident du travail.
C’est un tour de force qu’a réussi ce collectif, rassemblant des personnes peu habituées à se mobiliser. Ce collectif a encore de beaux jours devant lui. La conférence nationale sur le handicap, qui doit se tenir en juin, n’apportera sûrement aucune réponse à ces personnes, puisque trois ans après le vote de la loi du 11 février 2005, rien n’est fait pour l’embauche des travailleurs handicapés, sans parler de l’accessibilité aux lieux publics, à l’école ou au logement social. Les handicapés ne sont plus dupes de toutes les « sarkozyades », ils attendent de vraies mesures pour favoriser leur intégration.
* Paru dans Rouge n° 2246 du 03/04/2008.