La flamme olympique s’est éteinte à Paris !
Sous la pression des manifestants venus défendre les droits des Tibétains, le passage de la flamme à Paris, le 7 avril, est devenu particulièrement chaotique. Le symbole de l’Olympisme était pourtant placé sous la haute protection de trois mille policiers. Mais Reporters sans frontières a pu déployer d’immenses banderoles noires en pleines façades et les incursions protestataires se sont multipliées, perçant les lignes de service d’ordre, au point que le parcours de la flamme a dû être modifié, puis carrément écourté. Les officiels, écœurés, l’ont finalement éteinte pour la ranger dans un bus. Beau spectacle !
Le gouvernement chinois a perdu ici une bataille dans la guerre de communication sur le Tibet et les droits humains. Le gouvernement français a, lui aussi, quelque peu perdu la face, incapable d’assurer à Paris l’ordre olympique. Ainsi, le secrétaire d’Etat aux Sport, Bernard Laporte, « y voit un mauvais coup pour la France », rapporte le Monde daté du 9 avril 2008. A Pékin, le porte-parole du comité d’organisation des Jeux (le CIO), fulminait contre « le blasphème de Paris ». Amusant.
Ne boudons donc pas notre plaisir à voir tant de déconfitures officielles et à mesurer l’impact des initiatives de solidarité Tibet.
Mais ce billet est aussi l’occasion de répondre à quelques critiques portées contre mes précédents articles publiés à ce sujet dans Rouge [1] — critiques reproduites ci-dessous en annexe.
1. La CIA en 1957-1959. Pour Klareco, ce n’est qu’en 1958 (et pas en 1957 comme je l’avais écrit [2]) que la CIA a commencé à armer l’insurrection tibétaine contre l’Armée rouge chinoise. C’est possible, mais la date diffère suivant les auteurs. Moi-même, je n’ai pas pu remonter aux sources pour mieux déterminer les étapes de l’intervention militaire US. Mais cela ne modifie pas le contexte international qui commande alors la politique de Washington (guerres de Corée et d’Indochine…).
2. L’appel au 7 avril. J’ai critiqué dans mon précédent article le contenu de l’appel aux mobilisations du 7 avril [3]. Fabien me reproche violemment « une rhétorique absconse » et « des méthodes scabreuses » qui « permettent aux bureaucrates de la LCR de rester les bras croisés ». Diable ! Reprenons donc quelques points.
Contrairement à ce que Fabien insinue, tout en signalant qu’il en existait apparemment plusieurs version, j’ai fais référence à un appel authentifié, car reproduit tel quel sur des sites de solidarité (et largement diffusé sur les messageries). [4]
Cet appel est signé (dans toutes les versions que j’ai vue) de diverses « communautés » nationales dont… la « communauté chinoise ». Comme les événements d’hier nous l’ont confirmé, ladite communauté est loin de soutenir les initiatives de l’appel ! Fabien oublie de le reconnaître.
Il affirme que l’appel ne fait aucune comparaison avec le nazisme et se contente de parler de situation « pré-génocidaire ». Pourtant, l’appel se réfère au « sort des millions des juifs d’Europe pendant seconde Guerre mondiale » (sous le régime nazi donc), ajoutant que « les Tibétains vivent ainsi la situation actuelle ». L’appel assurait aussi que « ce qui se passe actuellement sous nos yeux au Tibet n’est rien d’autre qu’un génocide » (une version enfonce le clou en précisant : « un véritable génocide », « et pas seulement culturel. »). Je ne sais pas d’où Fabien tire les termes de « situation pré-génocidaire », je ne l’ai lue nul part.
3. Les JO et le boycott. Marc et Fabien me reprochent vertement de ne pas m’être expliqué sur ma position quant Jeux olympiques. Certes, dans mon premier article, je ne faisais pas mention de la question [5] Mais dans le précédent, je citais pourtant (et reprenais à mon compte) le communiqué de la LCR soutenant toutes les initiatives de solidarité envers les Tibétains qui se produiraient à l’occasion des Jeux ou de leur préparation (comme celles du 7 avril) [6]. Je crains que mon opinion sur les JO ne présente pas beaucoup d’intérêt, car c’est un terrain que je n’ai pas spécialement travaillé et sur lequel je ne milite pas. Mais, dans le passé déjà, je me suis senti obligé d’écrire sur le foot [7]. Puisque aujourd’hui je suis interpelé avec insistance, voilà mon opinion, en allant du général au particulier :
Je pense pis que pendre des Jeux olympiques, patrie du nationalisme d’Etat, de l’argent-roi et d’un sport de compétition qui fabrique des handicapés et vieillit les corps avant l’âge, qui corrompt les âmes en forçant au dopage. Point de « corps sain dans un esprit sain » ! Mais je pense aussi qu’une certaine critique du « sport » (parfois abruptement identifié au fascisme) est furieusement élitaire et tout bonnement incompréhensible par le commun des mortels (Marc se reconnaîtra peut-être). Ce que je regrette, c’est qu’il n’y ait plus de mouvement pour une pratique alternative et populaire du sport, contre les logiques capitalistes dominantes, à l’œuvre en ce domaine comme en tout autre. Ce n’est pas pour rien qu’il y a une rubrique « Sport et politique » sur le site d’ESSF ! (un peu indigente, je l’admets).
Je ne suis pas favorable à un appel « en général » au boycott des JO de Pékin. Pour certains, il faut en effet boycotter les prochains Jeux car « la Chine ne les mérite pas », vu les violations des droits humains dont cet Etat est coupable. Mais quels sont les pays qui le méritent ? Les Etats-Unis à l’heure de Guantanamo, de la guerre en Irak et de la justification par un président en exercice, Bush, du recours à la torture ? La France qui est fortement soupçonnée d’avoir trempé dans le dernier des génocides du siècle passé (celui des Tutsis au Rwanda) et dont les gouvernements successifs ont enterré ce « détail » de l’histoire ? Difficile de faire pire dans l’échelle de la violation des droits humains — et en toute impunité.
Voilà le type de questions qu’occultent les postures unanimistes – droite et gauche réunies – contre les JO de Pékin. Comme elles occultent la nature des dynamiques oppressives dans la Chine d’aujourd’hui, intrinsèquement liées au développement d’un nouveau capitalisme et à l’intégration du pays dans le marché mondial. L’oppression bourgeoise est actuellement en passe de prendre le relais de l’oppression bureaucratique d’hier.
Je ne suis pas convaincu que l’appel au boycott soit le plus efficace aujourd’hui pour la cause tibétaine. Il pourrait minoriser la pression dans la mesure où il n’aurait aucune chance d’aboutir et risquerait de se réduire à une posture de principe, alors que le « chahuttage » des JO touche très largement (je parle évidemment ici du boycott des Jeux, pas de la cérémonie d’ouverture, objectif mieux « ciblé »). Et il ne faut pas oublier qu’il est essentiel, pour l’avenir, de favoriser des sentiments de solidarité envers les Tibétains parmi la population chinoise (soumise elle aussi à exploitation et oppression). L’appel au boycott y aide-t-il ?
Je ne pense pas que mes réponses vont satisfaire Marc et Fabien. Mais telle est, pour l’heure, mon opinion.
Et une question à mes contradicteurs : à force de parler des JO, on en oublie de préciser sur quoi nous nous mobilisons. Exigeons-nous le respect du droit à l’auto-détermination du peuple tibétain ? Ou comme Sarkozy lui refusons-nous ce droit en affirmant que le Tibet fait et fera partie de la Chine ?
Pierre Rousset
Annexes
Un filet de Rouge :
Sarkozy complice de Pékin
Surtout, ne rien faire qui puisse nuire aux intérêts économiques et commerciaux des firmes hexagonales sur le gigantesque marché chinois… Ainsi pourrait-on résumer la position élyséenne concernant la politique de la Chine au Tibet. En l’occurrence, la question porte moins sur l’attitude qu’il convient d’adopter à propos de la cérémonie d’ouverture des prochains Jeux olympiques de Pékin, que sur la relation de nos gouvernants avec un régime qui réprime aussi brutalement le peuple tibétain que ses opposants démocrates.
Pour avoir pris sa fonction au sérieux et s’être laissé aller à suggérer des « conditions » à la participation de Nicolas Sarkozy aux cérémonies d’ouverture des JO, la secrétaire d’État aux droits de l’Homme, Rama Yade, se sera fait vertement taper sur les doigts. Son ministre de tutelle, qui se voulut longtemps l’incarnation de « l’ingérence humanitaire », Bernard Kouchner, l’aura très sévèrement « recadrée » : il n’est pas question de poser la moindre condition à l’État chinois. Tout en appelant de ses vœux la « fin des violences » (sic !), il n’aura pas hésité à ajouter : « La position de Nicolas Sarkozy est très claire et n’a pas bougé : en fonction de l’évolution de la situation, il prendra sa décision. » En clair, l’Élysée entend garder les mains totalement libres…
Au soir de sa victoire à la présidentielle, le chef de l’État s’était engagé à se placer aux côtés des opprimés du globe. Entre engagement militaire accru en Afghanistan ou en Afrique et complaisance envers les massacreurs de la Cité interdite, voilà encore une promesse qu’il aura foulé au pied…
(à paraître le 10 avril 2008 – ce « filet » n’est pas de moi)
Critiques :
Marc, Saint-Maurice (Val-de-Marne) 28/03/2008 15:18 : Un article qui rappelle certes une triste histoire. Mais un article qui refuse de se pencher et de prendre position sur ce que le monde entier discute et va prochainement trancher et sans doute pas dans le sens des intérêts historiques des Tibétains : faut-il oui ou non se rendre à Pékin pour célébrer les JO de la honte ? Nous sommes quelques-uns à penser que le boycott de la cérémonie d’ouverture, de la cérémonie de clôture et surtout entre ces deux cérémonies est la seule arme qui permette de faire plier le Parti-État chinois, la dictature sanguinaire d’une clique de bureaucrates pris dans le vertige d’un capitalisme explosif. Quelle est votre position quant au boycott ? À moins que vous estimiez qu’il ne faut pas mélanger sport et politique ou qu’il ne faut pas gâcher son plaisir et resté scotché devant son poste de télévision à vibrer aux victoires des athlètes bourrés d’EPO ou encore transfusés au début du mois d’août prochain ? Cordialement.
Klareco, Paris, 01/04/2008 08:55 : Écrire que l’accord conclu avec les classes possédantes, le clergé bouddhiste et le dalaï-lama s’est rompu, et que la CIA « a armé l’insurrection antichinoise, en 1957-1959 » n’est pas juste. Ce compromis, qui ne concernait que le Tibet central, seul sous administration tibétaine, n’a pas été rompu avant le soulèvement populaire de mars 1959 à Lhassa. Ainsi, selon l’historien Tsering Shakya, la première cible des manifestants fut l’aristocratie, accusée d’avoir vendu le dalaï-lama à l’armée d’occupation. Un proche de ce dernier estime que si ce soulèvement n’avait pas eu lieu, la suite des événements aurait été une guerre entre le gouvernement tibétain et les Khams. Dans le Tibet oriental, ils étaient entrés en révolte dès 1955 contre les mesures prises par les Chinois (pas toutes progressistes !), et furent victimes d’une guerre de type colonial (bombardements, villages détruits). La CIA, dont le rôle fut minime dans les années 1950 au Tibet, ne parachuta pas d’armes avant juillet 1958.
Fabien, Paris, 04/04/2008 15:15 : Encore un texte qui, ne prenant pas position pour ou contre le boycott des JO de Pékin, nage en plein confusionnisme (aucun tibétain n’est assez idéaliste pour ne pas clamer haut et fort pendant les manifs « Jeux olympiques 2008, jeux de la honte ! » à ce sujet, la LCR reste muette comme une carpe...). Une rhétorique absconse, s’appuyant de surcroît sur un communiqué de presse inexistant car non officiel (le communiqué de presse officiel a été envoyé à l’auteur de cette réaction ; il ne fait aucune comparaison avec le nazisme et ne parle pas de situation génocidaire, mais pré-génocidaire), voilà des méthodes scabreuses qui permettent aux bureaucrates de la LCR de rester les bras croisés en attendant de regarder les humanoïdes associés qui feront tomber les records au mois d’août (avec un badge, certes...). Après la déclaration de M. Grond qui avouait au Nouvel Observateur que « la question du boycott des jeux ne s’est pas posée » à la Ligue, on peut douter de l’avant-garde révolutionnaire dès qu’il faut critiquer le sport...