● Comment avez-vous rejoint la campagne « sans-papiers... et travailleurs » ?
Raymond Chauveau – C’était au moment où l’union locale CGT de Massy était en plein dans le conflit Modeluxe et où la loi sur le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) est finalement passée. Le Collectif uni(e)s contre une immigration jetable (UCIJ) avait décidé de se maintenir. Des ouvriers sans papiers de Modeluxe ont participé à une conférence de presse pour dire que leur victoire était la preuve que des travailleurs sans papiers étaient des travailleurs comme les autres puisqu’ils peuvent même faire grève. Nous avons donc tout naturellement participé au groupe de travail UCIJ « sans papiers... et travailleurs », lorsqu’il s’est mis en place. Les premières étapes ont été la publication d’un quatre-pages – dont l’impact est actuellement très fort – et la participation à des manifestations ou des actions de grève organisées syndicalement.
Cette campagne est plus un moyen qu’une fin. Il s’agit de rendre évident le fait que les sans-papiers ne sont pas virtuels. Ils peuvent être parents – cet aspect est mis en valeur par le RESF –, mais ils sont aussi travailleurs, et cette situation leur ouvre des droits.
La participation à cette campagne est un prolongement de nos actions et nous permet d’alimenter une mobilisation croissante. On se bat pour faire prendre conscience aux travailleurs sans papiers de leurs droits, de leur condition de travailleurs, parce qu’ils sont là avant tout comme tels. Cet angle d’attaque permet de faire bouger les lignes. En même temps, ce type de mobilisation pose les bases d’une unité plus importante, entre les travailleurs sans papiers et tous les travailleurs, sur l’unité de production, le meilleur point de départ de la lutte.
● Comment analyses-tu l’unité syndicale constituée ? En quoi cette campagne est-elle importante pour le mouvement syndical ?
R. Chauveau – Il ne s’agit pas d’une unité syndicale programmatique, mais d’une unité de différents camarades et structures syndicales, dans la réflexion, les échanges d’informations et la solidarité des actions. Que des militants de syndicats différents puissent travailler ensemble et signer avec des associations un quatre-pages pour interpeller les travailleurs sans papiers et les encourager à se syndiquer, c’est atypique et historique.
Le fait que cette campagne se mène en même temps que des grèves et des manifestations de travailleurs oblige le mouvement syndical à porter un regard neuf sur le mouvement des travailleurs sans papiers et permet d’élargir son intervention à la question de l’égalité des droits. Le mouvement syndical a appris auprès des associations. C’est le fort impact de l’action du RESF qui nous avait permis d’envisager une grève victorieuse pour Modeluxe.
Ce qui se dit à la CGT, c’est que l’on passe d’un syndicalisme qui soutient la lutte des sans-papiers (en prêtant une sono, une salle, une tribune...) à un syndicalisme qui intervient dans la lutte elle-même et en fait son terrain.
C’est important parce qu’aujourd’hui, le patronat et le gouvernement, dans la mise en œuvre d’une politique néolibérale, cherchent à avoir devant eux des travailleurs désincarnés qui ressemblent à des sans-papiers mais qu’on peut faire travailler légalement. C’est aussi un gros grain de sable dans leur politique vis-à-vis des travailleurs sans papiers. Ils n’avaient pas pensé que le mouvement syndical serait sur le pont sur cette question, ou que ces travailleurs seraient capables de bloquer les lieux de production.
Quand les plus démunis d’entre les démunis prennent courage et revendiquent leur régularisation, quand ils font reculer une politique gouvernementale basée sur la répression des immigrés, c’est toute l’idée de résignation qui est enfoncée.
● Comment s’investir aujourd’hui en tant que syndicaliste ?
R. Chauveau – Ça commence par une diffusion massive, au niveau syndical, du quatre-pages de la campagne. C’est un bon outil pour introduire le débat et le cadrer sur le terrain de la communauté de travail et de la résistance des travailleurs.
Mais il faut s’investir, y compris dans les sections et unions syndicales, pour organiser l’accueil des sans-papiers. Ceux-ci viennent avec une exigence forte. Elle fait peser sur les syndicats une nécessité de réussite, parce que, si eux résistent, nous avons tous l’obligation de résister. Le mouvement syndical est en retard, mais plus il pourra organiser les travailleurs sans papiers, plus la question de fond sur la régularisation globale sera prégnante, le mouvement plus ample.
● Quels ponts peuvent se créer entre cette campagne et les structures comme RESF ou les collectifs de sans-papiers ?
R. Chauveau – Le monde syndical n’a pas la prétention d’être le premier sur ce terrain. Les collectifs de sans-papiers sont l’histoire même du mouvement. La question du travail permet de se développer ensemble, sur de nouvelles bases, en s’épaulant mutuellement. Les collectifs peuvent profiter de la capacité de blocage issue du travail pour approfondir la prise de conscience des gens. Il y a complémentarité, parce que le mouvement syndical ne peut adresser tous les problèmes de société et la dimension « humaine » ne doit pas disparaître.
● Quelles sont les prochaines étapes ?
R. Chauveau – Elles sont difficiles à définir. La campagne n’est pas le fait d’une organisation mais d’un réseau, uni sur la question de la régularisation des travailleurs sans papiers, mais sans forcément d’unité d’action.
Un tract sera prochainement diffusé à la manifestation du 5 avril. On verra de nombreux cortèges de travailleurs sans papiers à cette manifestation, comme à celle du 1er Mai. Nous sommes également sollicités par un nombre croissant de travailleurs sans papiers dans diverses entreprises, il faut donc prévoir d’autres actions de grève et de visibilité. Ces actions ont encore besoin de démarrer de manière concertée.