KATMANDOU ENVOYÉ SPÉCIAL
« La pression chinoise sur le Népal est énorme. Il risque d’y avoir des arrestations ces prochains jours dans les rangs de la communauté tibétaine de Katmandou. » Le responsable tibétain qui exprime cette inquiétude préfère rester anonyme. La mesure de précaution en dit long sur l’étau répressif qui est en train de se resserrer sur la frange activiste des 20 000 Tibétains vivant au Népal, la plus forte communauté de la diaspora en dehors de Dharamsala (Inde).
Les clichés de policiers népalais matraquant brutalement des manifestants tibétains à Katmandou ont fait le tour du monde. Apparemment, Pékin a estimé que cela ne suffisait pas.
Lors d’une conférence de presse, le 2 avril, l’ambassadeur chinois à Katmandou a sommé le gouvernement népalais de museler les « activités antichinoises » sur son sol. Il a en particulier exigé que le bureau de représentation du dalaï-lama à Katmandou, officiellement fermé en 2005 (sous pression chinoise), cesse ses activités officieuses sous couvert d’une fondation caritative.
Ce type d’intervention n’a rien de nouveau. Cela fait des années que Pékin demande à Katmandou de refouler vers la Chine les réfugiés tibétains franchissant la frontière népalaise sur le chemin de leur exil vers Dharamsala. Le gouvernement népalais y réfléchit à deux fois avant de céder à cette injonction, les pressions internationales étant vives pour l’en dissuader. Mais la tentation est forte de succomber aux exigences de Pékin. Une des raisons de cette « disponibilité » tient dans un trait de caractère psychologique au Népal : « Il n’y a pas ici de sentiment antichinois », résume un ancien ministre des affaires étrangères.
Cette bienveillance de Katmandou à l’endroit de Pékin ne peut se comprendre que si on la replace dans le contexte plus large du triangle stratégique Inde-Népal-Chine. Les Népalais sont d’autant mieux disposés vis-à-vis des Chinois que leur relation est conflictuelle avec les Indiens. L’aigreur est vive en effet à l’égard de New Delhi qui a toujours considéré le Népal comme son arrière-cour.
ENJEU HYDROGRAPHIQUE
L’économie népalaise dépend pour l’essentiel d’importations arrivant d’Inde. Et les gouvernements indiens successifs n’ont cessé de s’ingérer dans les affaires népalaises, quitte à susciter des renversements de régime, afin de protéger leurs intérêts stratégiques. Parmi ceux-ci figurent en bonne place le souci de tenir à distance les Pakistanais, mais aussi de minimiser l’influence de la Chine qu’une guerre avait opposée à l’Inde en 1962 sur leur frontière himalayenne. L’autre gros enjeu est de nature hydrographique : près de 70 % des eaux du Gange proviennent d’affluents traversant le Népal, conduisant New Delhi à multiplier les projets de barrages dans des conditions qui exaspèrent les Népalais. « L’Inde traite les ressources de ses voisins comme s’il s’agissait des siennes », fulmine Dipal Gyawali, un ancien ministre de l’eau.
Dans un tel contexte, une bonne relation avec la Chine permet de contrebalancer la pression indienne. Et Pékin joue habilement en soutenant, à chaque fois, le régime népalais en place. « Ils soutiennent le pouvoir en place sans aucun a priori idéologique », explique Nishchal Pandey, un expert en politique étrangère.
Les rebelles maoïstes, qui furent dénoncés par la Chine à l’époque où celle-ci soutenait le roi, en ont fait l’amère expérience. Les Chinois ont livré des armes à la monarchie sans aucun état d’âme. Mais les maoïstes peuvent se rassurer : en cas de conquête du pouvoir, Pékin leur ouvrira grands ses bras. Au grand dam de l’Inde.