De notre correspondant à New Delhi,
La flamme olympique était si étroitement encadrée, hier, pour son passage à New Delhi, que les Indiens ne l’ont vue qu’à la télé. Sous la pression de Pékin, le parcours avait été réduit de 9 kilomètres au départ à moins de 3, avec un policier posté tous les 20 mètres, et l’événement était interdit au public. Motif : la crainte d’attaques de la communauté tibétaine en exil, qui compte plus de 100 000 membres en Inde. Plusieurs centaines d’entre eux ont été arrêtés préventivement ces derniers jours. La paranoïa était telle que les officiels chinois avaient carrément demandé à leurs homologues indiens s’il était possible que les Tibétains visent la flamme depuis les airs, en mongolfière !
Mais si l’ingérence de leur voisin a agacé les autorités indiennes, celles-ci ont néanmoins obtempéré, déployant un dispositif sécuritaire d’ordinaire réservé aux chefs d’Etat. Tout en laissant, en revanche, les Tibétains manifester, mais ailleurs.
« Dehors ». Quelque 2 000 personnes ont ainsi organisé un relais parallèle, avec une « flamme de la liberté », défilant dans le centre-ville aux cris de « Tibet libre ! », « La Chine, dehors » ou encore « Hu Jintao, assassin ! ». Une attitude qui illustre parfaitement le grand écart indien en ce qui concerne la Chine : d’un côté, New Delhi souhaite développer le partenariat économique, et sait bien qu’il ne peut pas faire sans Pékin pour accéder au statut de grande puissance auquel il aspire tant ; mais de l’autre, il s’en méfie comme de la peste, et continue de narguer la Chine en accueillant sur son territoire le gouvernement tibétain en exil. Et le dalaï-lama, arrivé en 1959.
Historiquement, les deux géants d’Asie ont toujours entretenu des relations exécrables, incarnées par une série de litiges frontaliers qui ont débouché sur la guerre de 1962. Mais depuis quelques années, l’un et l’autre semblent vouloir aller de l’avant, bien conscients du potentiel économique que représenteraient des relations de bons voisinages. La Chine a ainsi reconnu la souveraineté indienne sur le Sikkim, un petit royaume himalayen que New Delhi avait annexé en 1975, l’Inde a officiellement reconnu en échange le Tibet comme partie intégrante de la Chine.
Le président Hu Jintao est venu en visite officielle l’an dernier, les deux pays ont participé en décembre à leur premier exercice militaire conjoint, et le Premier ministre indien, Manmohan Singh, s’est rendu à Pékin en janvier. Surtout, le commerce bilatéral a bondi de 56 % l’an dernier, pour atteindre 38,6 milliards de dollars .
Rivalité. De l’accès aux ressources énergétiques mondiales à leur volonté respective d’établir une zone d’influence en Asie du sud-est, les deux pays sont cependant en rivalité permanente. Résultat : « Le malaise est toujours bien présent, des deux côtés »,explique Udhay Bhaskar, ancien directeur d’un think tank gouvernemental sur les questions stratégiques. D’autant que l’Inde n’apprécie pas que la balance commerciale penche largement en faveur de son rival et, plus grave, accuse l’armée chinoise d’avoir procédé à plusieurs « incursions » sur son territoire l’an dernier. Pour ne rien arranger, Pékin a récemment refusé un visa à un officiel indien au motif qu’il était originaire d’une région qui est, à ses yeux, chinoise…
« A l’exception de notre relation économique, pas grand-chose n’a changé », affirme ainsi, sous couvert d’anonymat, un responsable du Congrès, le parti qui dirige la coalition au pouvoir depuis quatre ans. « Les Chinois ne nous prennent pas encore au sérieux, et restent les meilleurs alliés du Pakistan, à qui ils ont donné la bombe atomique. »
De son côté, Pékin voit d’un mauvais œil le rapprochement stratégique en cours entre New Delhi et Washington, notamment sur la question de la coopération dans le nucléaire civil. La Chine est ainsi la seule grande puissance nucléaire à ne pas avoir donné son feu vert pour que l’Inde puisse profiter d’une exception à la législation internationale et bénéficier de transferts de technologie dans ce domaine. Elle est aussi le seul membre permanent du Conseil de sécurité a n’avoir jamais officiellement soutenu la candidature indienne pour l’élargissement du Conseil. L’amitié sino-indienne est donc encore loin d’être sincère.