La majorité des commentateurs internationaux expriment de grands doutes quant à la réussite de la conférence de paix internationale réunie à Annapolis en cette fin du mois de novembre. Le quotidien israélien Maariv ironise : « Les cérémonies de paix sont en général organisées une fois la paix conclue. Il y a d’abord des négociations, des crises, des attentats et des rebondissements sans fin, puis surviennent les cérémonies. Hier à Annapolis, on a fait tout l’inverse. On a commencé par la cérémonie ». Et le Haaretz, libéral, précise : « la négociation, c’est donner et prendre. Le problème est que M. Olmert n’a rien à donner ».
Ce scepticisme est légitime au regard de l’accord obtenu par le président Bush qui prévoit que Palestiniens et Israéliens devront mettre en pratique la célèbre « feuille de route » issue des accords de juin 2003, qui n’a jamais pu recevoir le moindre début d’exécution. Le Monde souligne que ce plan de paix « s’est révélé être un véritable champ de mines et que les Israéliens, dès le départ, y avaient opposé quatorze réserves de taille ». Quand on apprend en plus que le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas est sommé, au nom de la lutte contre le terrorisme, de rétablir son contrôle sur la bande de Gaza, le scepticisme devient certitude. Une certitude d’autant plus grande que le premier ministre israélien Ehoud Olmert s’est empressé d’expliquer à la radio publique américaine que l’objectif d’un accord de paix en 2008 ne serait peut-être pas atteint. Spécialiste du Moyen-Orient au Monde diplomatique, Alain Gresh caractérise la rencontre d’Annapolis de « village Potemkine de la paix » [1] et indique à juste titre que le véritable objectif de la rencontre d’Annapolis est ailleurs que dans une paix inaccessible entre Palestiniens et Israéliens.
Il s’agit pour les Etats-Unis de réaliser autour d’eux un large front des pays arabes dits modérés, en y associant leurs alliés européens (France y comprise, merci M. Kouchner) et Israël contre la « menace iranienne ». Le quotidien panarabe de Londres Al-Quds Al-Arabi le confirme, qui écrit le 24 novembre : « Les pays arabes modérés pourraient ainsi être impliqués dans une coordination intensive, militaire, économique et politique avec Israël et les Etats-Unis et former un front uni pour affronter le danger iranien, que certains Arabes considèrent comme plus périlleux que le danger israélien. » Une analyse confirmée du côté israélien. Le quotidien Yedioth Ahronoth expliquait un jour auparavant que « la plus importante réunion de la semaine prochaine, semble-t-il, n’aura pas lieu dans le Maryland, mais à Washington. Le mercredi 28, après les photos spectacles qui seront prises à Annapolis, le premier ministre israélien Ehoud Olmert rencontra le président Bush pour discuter des questions « non palestiniennes, un nom de code transparent pour désigner les problèmes le plus importants à l’ordre du jour, l’Iran ».
Car, loin des caméras, furtivement, la guerre contre l’Iran a déjà commencé pour ainsi dire. L’aide des Etats-Unis aux mouvements armés à base
ethnique – chez les Azéris, les Baloutches, les Arabes et les Kurdes, minorités formant 40% de la population iranienne – s’est intensifiée. Un rapport de la Century Foundation, cité par Alain Gresh, révèle que des commandos américains opèrent à l’intérieur même de l’Iran depuis l’été 2004.
Récemment, l’aviation américaine a fait une demande de financement au Congrès pour un « besoin opérationnel urgent » de la part du commandement militaire de 88 millions de dollars. Le but : équiper les bombardiers furtifs B2 « Stealth » d’une bombe de six tonnes, appelée MOP (Massive ordinance penetrator). Un casseur de bunkers destiné à détruire des cibles se trouvant à grande profondeur. Cet engin non nucléaire, le plus destructif de l’arsenal de l’armée de l’air américaine, serait chargé sur les bombardiers de la base de Diego Garcia, dans l’Océan Indien, où les travaux d’aménagement ont déjà commencé. Une base d’où sont parties les frappes aériennes contre l’Irak durant la Première guerre du Golfe. Or il n’y a pas de sites en Irak ou Afghanistan qui nécessiteraient la commande urgente d’une telle bombe, comme le reconnaît le représentant de la Virginie, Jim Moran, membre démocrate de la commission sénatoriale des services armés. Les seules cibles évidentes d’une telle arme sont les sites nucléaires iraniens, en particulier l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz, située dans une énorme caverne souterraine.
Des éléments qui ne sont pas faits pour rassurer ceux qui, comme le militant antisioniste Michel Warshawski, codirecteur de l’Alternative Information Center de Jérusalem, qui mettait en garde dès fin octobre : « Annapolis, ce n’est pas une réunion de paix, mais un conseil de guerre ». Moins alarmiste, le Sunday Times britannique du 29 octobre constatait « L’explication la plus convaincante de ces bruits de guerre est que Bush a pris une ligne d’action pouvant conduire à la guerre, mais il y a de nombreuses étapes, y compris l’imposition de sanctions plus sévères, avant qu’il ne conclue qu’une attaque militaire en vaille le risque… Si la diplomatie nucléaire peut arrêter les mollahs, tant mieux. Si elle ne le peut pas, Bush peut décider de lancer une attaque comme un des actes finaux de sa présidence. »
Aux militant-e-s antiguerre et anti-impérialistes du monde entier d’exercer la plus aiguë des vigilances et de développer les conditions politiques rendant impossible une telle attaque criminelle.