Quel est le contenu du nouveau plan de restructuration ?
Laurent Jourdas – Depuis plusieurs décennies, à travers les coopératives qui structurent les NMPP, les éditeurs ont été solidaires entre eux. Chaque titre profite du réseau de distribution, au même coût, grâce au groupage des envois. Cet aspect (Loi Bichet) est une garantie de pluralisme, les petits titres ne pouvant se payer une distribution nationale. Depuis les années 1990, les NMPP n’échappent pas à la tourmente ultralibérale et vivent au rythme des plans sociaux. Les effectifs se sont effondrés, passant de 5 000 en 1980, à 3 500 en 1990, et à 1 200 aujourd’hui. Le coût de l’intervention NMPP est passé de 14 % à 6 % de la valeur moyenne d’un journal sans que cela ne serve à mieux rémunérer les kiosquiers et libraires dont la disparition explique, en partie, les problèmes de la presse quotidienne nationale. Cette fois, il y a la volonté d’en finir avec le secteur d’exploitation, de conserver la comptabilité et de sous-traiter totalement la manutention. Dans un premier temps, le plan prévoit la fermeture du centre national des publications de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne) et de cinq agences régionales de messageries dédiées au traitement des quotidiens nationaux. Résultat de l’opération : 350 emplois supprimés !
Comment la presse serait-elle distribuée si ce plan voyait le jour ?
L. Jourdas – Par des salariés précaires, hors convention collective. Outre le problème social, c’est une réforme logistique en profondeur qui est annoncée. Actuellement, la presse est groupée, traitée et expédiée vers 180 dépositaires de presse sur tout le territoire. Demain, les titres seraient acheminés vers des plateformes régionales qui traiteraient, en lieu et place des salariés des NMPP, les quantités à répartir entre les dépositaires qui seraient réduits à 135.
Le but de la manœuvre est de se débarrasser du Syndicat du livre et de ses salariés à statut. Mais, insidieusement, cette réforme remet aussi en cause l’égalité de traitement des titres, dans la mesure où un grand nombre d’éditeurs, petits et moyens, verraient leur accès aux réseaux de vente fortement compromis.
Les grands groupes média tels qu’Hachette, Mondadori, Prisma, Dassault et consorts seraient les seuls bénéficiaires de cette restructuration. Nous n’avons pas d’autre choix que de lutter résolument pour le maintien d’un centre de traitement vers lequel devraient aussi revenir les travaux actuellement sous-traités. Et nous comptons sur le soutien des travailleurs de toute la profession.
Propos recueillis par notre correspondant
• NDLR : en tant qu’éditeur, Rouge s’est adressé à la direction générale des NMPP pour critiquer Défi 2010.
Plan de restructuration au Monde
Tous les titres de la presse écrite nationale traversent une zone de turbulences aiguë. Après Libération, Les Échos, La Tribune, Le Figaro, c’est au Monde de se trouver confronté à un plan brutal de restructuration. En moins d’une semaine, deux grèves ont empêché la parution du journal, amenant le nouveau directeur, à prendre la plume dans l’édition du 19 avril.
Hélas, ce long papier n’aura rien appris aux lecteurs sur les origines de la crise. Si ce n’est que « jamais les finances du Monde n’ont été aussi calamiteuses, avec sept exercices consécutifs déficitaires pour une perte cumulée de 180 millions d’euros ». Fottorino se contente de considérations générales – et non sans fondements – sur le « modèle économique » dont Le Monde serait l’héritier « depuis des décennies », sur le « déplacement des budgets publicitaires vers les sites internet et les journaux gratuits », ou sur l’impuissance des rédactions à « inventer le modèle de l’avenir ». À un seul moment, le véritable problème pointe : lorsque se trouve évoqué « un passé cumulant les passifs »…
Précisément, ces « passifs » doivent à des choix d’investissement, par exemple à l’achat en série de publications et entreprises. Basés sur une logique de concurrence exacerbée et obéissant à l’intérêt bien compris d’actionnaires liés à de puissants groupes financiers et industriels, ils auront fini par se retourner contre le quotidien, les entités qui lui sont associées et leurs salariés. Et comme cet engrenage capitaliste des plus classiques se sera assorti d’une certaine mise aux normes de la pensée unique libérale (qui ne se souvient de l’engagement fanatique des principaux quotidiens au service du « oui » au projet de Constitution pour l’Europe ?), il aura non seulement débouché sur une situation financière désastreuse, mais sur un divorce persistant avec une partie du lectorat…
L’éloge de la « rentabilité » et des « bénéfices », auquel Éric Fottorino persiste à se livrer, n’aidera en rien à la réflexion sur les moyens susceptibles de sauver une presse indépendante et œuvrant au débat démocratique. Permettre, comme le disait Jaurès, « à toutes les intelligences libres de comprendre et juger elles-mêmes les événements du monde » a un prix : s’émanciper des lois du marché…
Christian Picquet