Le coup d’État de 1989, qui renversa le dictateur Alfredo Stroessner, n’a pas beaucoup changé le visage de la politique paraguayenne. Le dictateur, qui gouvernait le pays depuis 1954, s’est appuyé sur le même parti, le Parti colorado, pour gouverner le pays par le clientélisme, la corruption et la répression. Mais, le 29 mars 2006, l’histoire de ce pays vacille : plus de 40 000 personnes descendent dans la rue de la capitale, Asunción, et créent le mouvement Resistencia ciudadana (« Résistance citoyenne ») afin d’éviter que le président, Duarte Frutos, ne se représente à un second mandat, interdit par la Constitution.
Un des porte-parole de ce mouvement est l’évêque de San Pedro – une zone très pauvre, où les paysans luttent depuis longtemps contre les propriétaires terriens –, Fernando Lugo, qui apparaît comme le seul personnage public pouvant faire trembler le Parti colorado. Celui-ci contrôle tous les ressorts du pouvoir : bureaucratie d’État, mafia, armée et grand patronat. À l’origine du mouvement populaire Tekojoja (« égalité » en guarani), Fernando Lugo est poussé à se présenter à l’élection présidentielle.
Lugo arrive à la tête d’un pays dévasté. Sur 6 millions d’habitants, 63 % sont pauvres, 80 % n’ont pas accès aux soins de santé élémentaires. 600 000 paysans sans terre errent dans le pays. 100 000 Paraguayens émigrent de la campagne vers la ville chaque année, ou quittent le pays pour l’Espagne ou l’Argentine. En 2006, les producteurs de soja ont exporté l’équivalent de 450 millions de dollars et les éleveurs quelque 430 millions. Ils paient des impôts misérables : 3 % pour les éleveurs et 1,8 % pour les producteurs de soja. Lugo propose un vaste programme de réforme agraire et, pour le mettre en œuvre, il s’entoure de cadres du Mouvement des sans-terre brésilien. Cela suffira-t-il à permettre l’émergence au premier plan d’un fort mouvement paysan ? C’est un des enjeux de ce mandat.
Sur le plan énergétique, il existe un vieil accord entre le Paraguay et l’Argentine mais, surtout, le Brésil possède Itaipu, un immense barrage hydroélectrique sur le fleuve Paranà. Cet accord, ficelé par Stroessner, n’a rapporté que 250 millions de dollars en 2006 et 307 millions en 2007, alors que le prix du marché donnerait une bouffée d’oxygène de 2 milliards de dollars dans les caisses de l’État, une « bénédiction » pour les projets du nouveau pouvoir. Quand on l’interroge sur ses alliances en Amérique latine, Lugo répond habilement qu’il admire tous les dirigeants de gauche latinos, mais que le Paraguay doit mettre en place son propre processus.
L’alliance électorale mise en place, l’Alliance patriotique pour le changement, est très large. Pour porter sa candidature, deux forces politiques se sont constituées. D’un côté, le Bloque Social y Popular, composé des cinq centrales syndicales, d’un secteur du mouvement paysan, du Parti libéral radical authentique, de la démocratie chrétienne, du Parti révolutionnaire fébrériste, du Parti des travailleurs et du mouvement Tekojoja. De l’autre, une concertation, Pays possible, constituée d’anciens du parti Colorado et d’élus, qui a permis à Lugo d’obtenir des financements et des appuis parlementaires. Beaucoup de problèmes ont été réglés pendant la campagne, même s’il subsiste des contradictions politiques, notamment sur les rythmes et les alliances internationales. Même divisé, le Parti colorado tient encore tout le champ administratif, économique et, surtout, mafieux.
Le souffle des mobilisations contre le Parti colorado et contre les privatisations de 2007 n’est pas retombé, ce qui donne une base combative au processus qui, sans nul doute, est une excellente nouvelle pour les Paraguayens et tous les peuples d’Amérique latine.