Devant un parterre de quelques dizaines de responsables et de militants communistes, intervenaient, lundi 19 mai, Marie-George Buffet (PCF), Cécile Duflot (Verts), Henri Weber (PS) et François Sabado (LCR). Étonnant débat, où la majorité des intervenants s’ingénièrent à relativiser la portée de Mai 68.
Pour les Verts, à l’instar des déclarations de Daniel Cohn-Bendit, « Mai 68, c’est fini, il faut tourner la page ». Certes, on devrait retenir « les aspirations à changer la vie », mais 68 ne serait qu’un événement historique « comme les autres ». Se rappelant ses jeunes années et son engagement dans la Jeunesse communiste révolutionnaire des années 1960, Henri Weber tombait dans le lyrisme, évoquant « la passion, la ferveur, les valeurs révolutionnaires » de Mai 68, mais pour nous dire que Mai 68 appartient à un « passé révolu »… et qu’il fallait maintenant passer aux choses sérieuses. « Le monde a changé, la globalisation capitaliste est là ». Ce qui est à l’ordre du jour, c’est « la construction d’une Europe puissante, de nouvelles constructions institutionnelles, une gouvernance mondiale, et de nouvelles réformes de l’ONU, du FMI, de la Banque mondiale, de la FAO »… mais pas de nouveau Mai 68 !
L’intervention de M.-G. Buffet montrait, une fois de plus, que le PCF continue à avoir un énorme problème avec Mai 68. D’entrée, elle déclara que, contrairement à ce que pensait la LCR, « Mai 68, ce n’était pas la grève générale ». Pour elle, c’était avant tout « un mouvement, où les gens aspiraient à changer la vie, en particulier leur vie quotidienne ». Pas un mot, pas une remarque critique sur le rôle du PCF en 1968. Elle osait même expliquer que « le résultat des élections législatives de juin 68 montrait que les masses n’étaient pas si prêtes que cela au changement ». Quand la direction du PCF, conseillée par les Soviétiques, avait tout fait contre Mai 68, il ne fallait pas s’étonner du résultat des élections de juin. Mai 68 a sonné le PCF ; il ne s’est toujours pas remis.
Ce débat est significatif à plus d’un titre. Pour une gauche dominée par le social-libéralisme, ou pour une direction du PCF dont l’horizon reste des changements dans le cadre des institutions actuelles, il n’y a pas de place pour un nouveau Mai 68. Or, la principale leçon de 1968, c’est la possibilité de « crises globales » ou de « situations prérévolutionnaires » dans les pays capitalistes avancés ; c’est la place d’une grève générale politique qui pose la question du pouvoir, c’est l’irruption du mouvement social sur la scène politique. En cela, tout en intégrant les bouleversements qu’a connus le monde ces dernières années, Mai 68 est un référent stratégique majeur. Il y avait, bien entendu, une série de faiblesses, en termes de conscience, d’auto-organisation, de perspectives politiques, de capacités de la gauche révolutionnaire…
Les rapports de force, aujourd’hui, sont plus défavorables, et il nous reste beaucoup à faire. Mais imaginons un Mai 68 avec l’influence actuelle de la gauche radicale, les événements auraient pris une autre tournure…
Raphaël Duffleaux
* Paru dans Rouge n° 2254, 29/05/2008.
Mai 1968 dans « l’Humanité »
L’anniversaire de Mai 68 se révèle le prétexte à une débauche d’actes de contrition. En un temps où il est de bon ton de ne plus faire l’éloge que d’une unique révolution, celle qui rend présentement le capitalisme plus âpre au gain que jamais, on nous exhorte volontiers à « oublier ». Tous n’entendent cependant pas céder au reniement. C’est le cas du numéro hors-série que l’Humanité consacre à l’événement.
On sait les divergences qui nous opposèrent à l’époque au Parti communiste. Et c’est l’un des grands mérites de cette livraison de 130 pages que de nous replonger au cœur de réflexions essentielles, au milieu de témoignages souvent émouvants. Entre tentatives d’autojustification et retours critiques, journalistes et invités oscillent en permanence. La lucidité affleure toutefois à quelques reprises. Lorsque, par exemple, Patrick Appel-Muller reconnaît, à rebours des diatribes « antigauchistes » d’il y a 40 ans, qu’à ce moment, « l’autogestion, le sens de l’autonomie, l’aspiration à la participation, le refus de l’autorité, l’égalité entre les sexes, le droit au plaisir, la revendication de l’individualité, le droit à l’information, la haine des convenances bourgeoises prennent corps, et pour longtemps ». Ou que Georges Séguy, tout en se félicitant de l’attitude d’alors de la CGT, dont il était le secrétaire général, se livre à cette autocritique : « Les partis de gauche ont été pris au dépourvu et complètement dépassés. Y compris le mien. »
Mais il n’est pas si aisé, pour le PCF et sa direction présente, de reconnaître avec Séguy que l’on a raté un « rendez-vous de l’histoire ». À preuve, aucun des responsables actuels ne s’exprime sur les leçons à tirer pour aujourd’hui de la plus grande grève générale de notre histoire. Si l’on admet généralement l’outrance des attaques dont l’extrême gauche fit l’objet, on se garde bien de revenir sur le rôle qu’elle fut amenée à jouer. Et, même lorsqu’ils seront entrés en dissidence voilà bien des années, les dirigeants d’hier peinent à s’extraire de leur mauvaise conscience. Tel Pierre Juquin, chargé de l’intervention communiste dans la jeunesse en 1968, qui avoue tout à trac : « Je me demande encore si nous n’avons pas évité une aventure sanglante. La bourgeoisie française peut être très cruelle. »
À quarante ans de distance, voilà, au moins, de quoi poursuivre le débat.
Christian Picquet
* Paru dans Rouge n° 2250, 01/05/2008 (La gazette des gazettes).