Xavier Bertand et son maître Sarkozy ont décidé de mener une guerre éclai sur les retraites. Les syndicats ne sont que « consultés », l’enjeu étant, par quelques mesures ciblées, d’effriter le frêle front syndical.
Par ailleurs, le gouvernement ne devrait pas légiférer en bloc, mais passer par décrets, évitant ainsi une bataille trop politique. En effet, il est possible de pousser l’offensive très en avant en restant dans le cadre des lois Fillon (2003) et Balladur (1993). Une grande partie du sale boulot a déjà été faite et la France n’est nullement la dernière de l’Europe. Si Xavier Bertrand ne satisfait pas encore totalement le Medef, qui veut remettre en cause l’âge légal de départ à 60 ans, pour ce qui est de la baisse des pensions – objectif non dit de toutes les politiques européennes –, les choses avancent. La paupérisation des retraités est la pédagogie de libéraux pour faire passer l’idée que les systèmes solidaires par répartition ne marchent pas et qu’il faut d’autres panoplies, souscrire des plans d’épargne, etc. Manque de chance, les sondages (dont Eurobaromètre) indiquent le contraire : les salariés préféreraient cotiser plus, plutôt que travailler plus longtemps. Et ils ont quelques raisons pour cela.
Tous les pays européens sont dans une configuration comparable quant au temps qui sépare le départ de la vie active et le droit à bénéficier d’une retraite à taux plein : cinq ans d’écart en moyenne ! Selon l’enquête de l’Ires, de décembre 2007, très peu de pays remplissent l’objectif officiel d’un taux d’emploi de 50 % entre 55 et 65 ans. Et si les politiques volontaristes ont légèrement haussé la moyenne (de 5 %), c’est sous forme de temps partiels, et même, en France, de « contrats vieux », un CDD spécial qui se révèle un fiasco.
Mais le plus important est ailleurs. L’effet réel des augmentations des annuités requises, c’est la paupérisation des retraités. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) constate qu’il n’y a pas d’effet proportionnel entre les durées de cotisation requises et le départ de la vie active. Pour un allongement des cotisations de 1,5 an, le départ n’est différé que de 0,2 an. En revanche, selon les calculs faits par l’OCDE elle-même, les retraites versées après les « réformes » ne cessent de baisser : de 25 % en Italie, 21 % en France, 16 % en Allemagne, etc. Et cela devrait continuer sur cette pente jusqu’à 2050. Qu’on ne vienne pas ensuite pleurnicher sur les seniors qui partent trop tôt ! Si les seniors partent, c’est parce que rien n’a été fait pendant des décennies pour changer leur rapport au travail, qu’on les a même expulsés sans vergogne par des plans sociaux en rafale, sous prétexte de productivité moindre. Et au moment où l’on voudrait les forcer à rester au travail, on ne leur présente que des petites carottes ou le bâton. Ainsi, Xavier Bertrand veut taxer, en 2010, avec un léger malus, les entreprises qui n’auraient pas négocié des mesures d’accompagnement des seniors dans l’emploi. Mais il y a le passif de la négociation sur la pénibilité au travail (loi de 2003) qui devait prendre des mesures de réparation et de prévention en matière d’écart d’espérance de vie en bonne santé. Ces négociations ont été sabotées par le Medef, trois ans de suite, sans que le gouvernement ne lève le petit doigt.
Tous les syndicats s’opposent aux 41 annuités. Mais il est difficile de trouver des arguments convaincants pour ceux qui ont accepté l’abandon des 37,5 ans. Les salariés ont besoin de consolider un projet revendicatif clair autour du refus de la paupérisation des retraités (donc des 41 ans), mais aussi de la suppression des décotes, du calcul des pensions sur les prix et de la baisse du taux de remplacement. Ce qui implique la contestation radicale des lois de 1993 et 2003. Rassembler sur cette base est la seule façon de mobiliser durablement.
* Paru dans Rouge n° 2250, 01/05/2008.
ANNUITÉS DE RETRAITES : Les seniors ont bon dos
Un des objectifs de la loi Fillon de 2003 était d’accroître le taux d’emploi des seniors, pour mieux faire admettre l’accroissement des annuités requises pour bénéficier de la retraite à taux plein. C’est aussi la thèse de François Chérèque pour refuser, aujourd’hui, les 41 années de cotisations.
« Nous avons une position commune, nous sommes contre le passage à 41 ans aujourd’hui », explique François Chérèque, de la CFDT (Le Monde du 9 avril), en parlant d’un hypothétique front syndical qu’il rejette. Il ajoute aussitôt : « Mais il y a ceux qui disent : on ne bougera pas sur les 40 ans, et ceux qui disent : il faut différer » (CFDT, CGC, CFTC). Différer jusqu’où ? Jusqu’à ce que le taux d’emploi des seniors – les plus de 50 ans – progresse suffisamment. Il est en effet indécent d’allonger sans arrêt les annuités obligatoires pour obtenir la retraite à taux plein (37,5 ans, 40, 41 ans) et même, comme le veut le Medef, de retarder l’âge légal à 62 ou 65 ans, alors que les salariés sont peu nombreux en situation d’emploi après 55 ans. Ce taux n’augmente presque pas, malgré les injonctions moralisantes des pouvoirs publics.
Le patronat se débarrasse en effet, sans scrupules, des salariés qui tirent vers le haut la pyramide des âges (et des salaires !), il préfère toujours licencier en priorité les « vieux ». Les incitations au cumul emploi-retraite n’y changent rien. Un tiers des salariés ont un emploi à l’âge de prendre leur retraite. Ce taux est très éloigné de l’objectif européen, qui est de 44 %. L’âge moyen de départ est autour de 58 ans. Mais pourquoi cette hâte à partir, quoi qu’il en coûte en niveau de pension de plus en plus bas et en paupérisation forcée, suite aux contre-réformes mises en place depuis Balladur en 1993 ?
Il se passe que la crise du travail peut être plus puissante encore que la menace d’une petite retraite et inciter à partir au plus vite. Pour Serge Volkoff, du Centre de recherche et d’études sur l’âge et les populations au travail (Creapt), « un cinquième des plus de 50 ans en activité envisagent d’achever leur vie professionnelle avant l’âge de la retraite » (un sur six envisage de dépasser l’âge requis). Il énumère quatre raisons : la pénibilité physique, les horaires décalés et le travail nocturne, les situations de hâte ou d’urgence qui stressent les salariés plus âgés, les mises en apprentissage ou les polyvalences imposées. Ces injonctions incessantes du travail moderne sont dirigées indistinctement vers tous les âges. Or, le travail « sous pression », doublé de l’insécurité d’emploi après 50 ans quand tombent les restructurations, aboutissent à un effet cumulatif de démotivation, auquel peut s’ajouter des dégradations de santé.
Il ne s’agit pas de défendre un projet de société où l’idéal serait d’échapper au travail (ou à l’activité sociale) de plus en plus tôt, dès 50 ans. Mais lutter pour une bonne retraite nécessite aussi de lutter pour un emploi de qualité, non soumis à la contrainte de la valorisation capitaliste, jusqu’au moment du départ.