Depuis le pont de l’Ascension, quatre nouveaux sites sont occupés par des travailleurs sans papiers en grève dans le Val-de-Marne, ce qui porte à sept le nombre de sites occupés dans ce département. Après les sociétés de nettoyage, du bâtiment et de la restauration, les agences d’intérim sont maintenant touchées. En province aussi, des actions se préparent. Pour l’instant, on ne voit que poindre cette deuxième vague prometteuse, inévitable et, espérons-le, massive.
Inévitable, car le gouvernement joue la montre et le pourrissement. Fillon a répondu à la lettre envoyée par Bernard Thibault (CGT), François Chérèque (CFDT), Jean-Pierre Dubois (LDH) et Patrick Peugeot (Cimade) en déplorant, dans les premiers dossiers remis, la « trop fréquente absence de promesse d’embauche ». Il a même le culot d’ajouter : « Une régularisation massive ne peut être efficace car elle aboutirait dans la pratique à léser les étrangers en ne permettant pas de vérifier leurs conditions d’emploi et le respect de leurs droits. » Belle hypocrisie, qui consiste à prétendre que le maintien en situation irrégulière permet de protéger les sans-papiers de la surexploitation. Bref, il refuse de sortir du « cas par cas » et reste dans le cadre de « l’immigration choisie ».
Or, c’est bien cette « immigration choisie » que ces grèves remettent en cause. La circulaire du 7 janvier envisageait la régularisation, à la demande de l’employeur, avant tout dans le cadre de listes de professions « en tension », listes par ailleurs discriminatoires où les immigrés originaires du Sud ne peuvent être admis que s’ils sont hautement qualifiés et où les emplois généralement occupés par les sans-papiers, dans la construction, le nettoyage, la restauration, l’aide à la personne, sont réservés aux ressortissants des nouveaux pays de l’Union européenne. Avec la grève, c’est l’exigence d’une régularisation sans discrimination dans les emplois déjà occupés, y compris pour ceux qui ont été licenciés suite à l’intensification des contrôles ou qui travaillent sans feuille de paye, comme de nombreuses femmes dans l’aide à la personne. C’est parce que le gouvernement ne veut pas sortir de « l’immigration choisie » que l’extension des grèves est inévitable.
Lors de la visite de Sarkozy à son copain le dictateur Ben Ali, un accord a été signé dans le cadre de cette « immigration choisie ». Il prévoit des quotas de 9 000 Tunisiens par an, âgés de 18 à 35 ans, possédant des compétences dans 80 métiers : conducteurs d’engins de travaux, ingénieurs, informaticiens… Pour les Tunisiens sans papiers en France, l’accord ne prévoit que l’aide au retour et la coopération policière pour les y forcer. Tout confirme que ces quotas d’« immigration choisie » vont multiplier les noyades en Méditerranée : des corps ont encore été repêchés le 10 mai, près des côtes de Téboulba, en Tunisie. La Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives (FTCR), a lancé un appel à faire du 10 mai, « date de commémoration de l’abolition de l’esclavage, une journée en l’honneur de tous ceux qui meurent à la recherche d’une vie digne, victimes de la politique de l’immigration. » Le cousinage entre esclavage et « immigration choisie » a rarement été aussi évident. C’est d’ailleurs le jour de cette journée commémorative que les marcheurs ch’tis sans-papiers ont été accueillis à Paris. Partie le 19 avril de Lille, cette marche a coïncidé avec la première vague de grèves des sans-papiers et, comme le souligne le collectif 59, « des rencontres ont été organisées entre les marcheurs et les grévistes […] les sans-papiers sont maintenant perçus comme ils-elles sont réellement : des travailleurs à statut d’illégaux qui participent à la richesse nationale. »
Xénophobie d’État
Le gouvernement a un autre motif de jouer le pourrissement. Sarkozy deviendra président de l’Europe dès juillet, et il veut imposer ses conceptions, notamment l’interdiction de régularisations massives. La directive de la honte sur la rétention et l’interdiction du territoire européen pour chaque expulsé, qui sera débattue en juin au Parlement européen, sera-t-elle adoptée avant que Sarkozy n’occupe sa nouvelle fonction ? Pour l’instant, le compromis est rejeté par les gauches européennes et ne fait pas l’unanimité à droite. Les ambassadeurs des Vingt-Sept ne se sont pas mis d’accord. Selon El Pais, la France s’est distinguée en exigeant de pouvoir expulser les mineurs sans tenir compte de leur scolarité.
Pour gagner contre « l’immigration choisie » et l’Europe forteresse, les grèves doivent donc s’amplifier dans toute la France, susciter un vaste mouvement de solidarité concrète multipliant les comités de soutien, converger avec les luttes des collectifs de sans-papiers et les résistances contre la xénophobie d’État.