Tout en permettant aux expatriés des organisations non gouvernementales (ONG) étrangères, mardi 27 mai, de se rendre enfin dans les zones touchées, le 2 mai, par le typhon Nargis, la junte birmane resserre son étau sur le pays. Mardi, des dizaines d’hommes en uniforme et en civil ont pris position, à Rangoun, autour du domicile de l’opposante birmane, Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, et devant le siège de son parti.
Selon la radio d’opposition birmane, Democratic Voice of Burma (DVB), hébergée en Norvège, treize personnes ont été arrêtées ces derniers jours. Elles souhaitaient manifester lors de la visite, vendredi, du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, en Birmanie et avant la dernière phase, samedi, du référendum sur la nouvelle Constitution.
La pression sécuritaire vise également la région touchée par le typhon. Les autorités fouillent chaque véhicule qui franchit les barrages installés sur les routes menant au delta de l’Irrawaddy, zone de la catastrophe. Les policiers cherchent à bloquer tout infiltration d’Occidentaux non autorisés à se rendre sur place.
Dans l’ex-capitale de la Birmanie, Rangoun, la chasse aux faux touristes semble ouverte dans les hôtels et sur les sites historiques. Le régime veut limiter les témoignages rapportés par des journalistes entrés grâce à des visas touristiques. Les membres des ONG d’ailleurs s’abstiennent de tout contact avec les Occidentaux présents en Birmanie afin d’éviter toutes représailles.
La population civile est également soumise à des contrôles rigoureux. De nombreux Birmans des régions peu touchées par le désastre se rendent par leur propre moyens vers les zones sinistrées afin d’apporter de l’aide. Leurs véhicules sont fouillés en quête d’éléments attestant d’une activité subversive et le matériel d’aide en est souvent soustrait.
SOLDATS SANCTIONNÉS
« La priorité des gens est pourtant de manger et de boire, ils veulent survivre », rapporte Than Win Htut, un journaliste birman de la radio DVB. Selon ce média, des cas de choléra seraient apparus dans les zones touchées. Par peur de contamination, les survivants ne mangent plus de poisson, les enfants ont peur de toucher l’eau. Et les esprits sont encore occupés par la recherche des proches disparus.
Sur le sol de Rangoun, des marques, comme un « No », accompagné d’une croix, sont parmi les rares signes de protestation visibles. « Quelques jeunes faisaient une croix avec leurs bras, au-dessus de leurs têtes, pour dire qu’ils ne voulaient pas voter lors du référendum », ajoute M. Htut. DVB signale aussi la présence d’autres inscriptions sur le sol telles que : « Nous avons faim et soif. S’il vous plaît, sauvez les gens en détresse. »
La junte s’efforce de limiter les contacts au sein même du pays entre le peuple et les moines, suspectés de tirer un profit politique de la catastrophe. Les monastères ont hébergé nombre de sans-abri et les moines se sont souvent substitués aux autorités pour secourir les victimes du typhon.
Des récits évoquent enfin des cas de jeunes soldats sanctionnés pour avoir voulu venir en aide aux sinistrés. « Beaucoup ont de la famille dans les zones dévastées, ils aimeraient aider mais leur hiérarchie les menace de représailles et les cantonne à la surveillance des contestataires », assure Khin Zin Minn, Birmane exilée dont l’époux coordonne la communauté birmane en France.
Jacques Follorou avec E. V. à Rangoun, Fella Adimi et Renate Krieger à Paris
* Article paru dans le Monde, édition du 28.05.08.
LE MONDE | 27.05.08 | 15h22 • Mis à jour le 27.05.08 | 15h22
L’assignation à résidence d’Aung San Suu Kyi à nouveau prolongée
L’ordre d’assignation à résidence d’Aung San Suu Kyi, figure de proue de l’opposition birmane, a été prorogé, a indiqué mardi 27 mai un responsable birman. Cette nouvelle prolongation serait d’une durée d’un an selon un responsable birman cité par l’AFP, tandis qu’une autre source officielle reprise par Reuters parlait de six mois.
Le régime militaire en Birmanie examine chaque année à la fin mai la mesure d’assignation à résidence frappant la lauréate du prix Nobel de la paix depuis cinq ans. Mme Suu Kyi, 62 ans, qui dirige la Ligue nationale pour la démocratie (LND), principal parti d’opposition, a été arrêtée le 30 mai 2003 après une embuscade contre son convoi dans le nord du pays. Elle est assignée à résidence chez elle, dans une maison de Rangoun, depuis septembre 2003.
SEIZE OPPOSANTS ARRÊTÉS
Seize membres de l’opposition, qui ont tenté de se rendre au domicile de leur chef de file, ont par ailleurs été arrêtés mardi, a indiqué Nyan Win, porte-parole de la LND.
Au total, l’opposante a été privée de liberté pendant plus de douze des dix-huit dernières années. Son parti avait très largement remporté des élections législatives le 27 mai 1990 – mais l’armée au pouvoir avait refusé d’honorer les résultats.
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 27.05.08 | 15h46 • Mis à jour le 27.05.08 | 15h48
Une aide humanitaire toujours sous condition en Birmanie
Une quarantaine de pays donateurs, réunis dimanche 25 mai à Rangoun, l’ex-capitale de Birmanie, ont interrprété comme « un signe d’espoir » la promesse de la junte birmane de laisser l’aide internationale parvenir plus directement aux sinistrés du typhon Nargis dans le delta de l’Irrawaddy.
Mais au-delà des urgences (plus de 50 millions de dollars d’aide promis), aucune garantie n’a été fournie sur un programme de réhabilitation économique de la région dévastée, que la junte estime à 11 milliards de dollars.
« Gardons les yeux rivés sur l’objectif immédiat : sauver des vies », a déclaré le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Les militaires birmans insistent sur le fait que cette phase est dépassée. Les organisations humanitaires estiment, quant à elle, que le bilan de la catastrophe est loin d’avoir été établi.
La France a renoncé à décharger de son bâtiment militaire Le Mistral les 1 000 tonnes de matériel de secours, et décidé de faire transiter cette aide par l’île thaïlandaise de Phuket, 1 000 km au sud-est. La junte birmane exige que toute assistance lui parvienne par transports civils. « La décision de laisser entrer l’aide quand tout le monde est mort, c’est sinistre et incompréhensible », a regretté Bernard Kouchner, ministre français des affaires étrangères.
La Chine ne semble pas étrangère à l’assouplissement birman. Son ministre des affaires étrangères, Yang Jiechi, présent sur place, a ainsi exprimé le souhait de voir l’ONU tenir « un plus grand rôle » dans les secours.
La junte peut aussi se féliciter d’avoir vu reléguer au second plan les critiques internationales sur son mode de gouvernement, les violations des droits de l’homme et l’absence de tout progrès démocratique. Le département d’Etat américain a toutefois jugé « consternant » que les militaires aient procédé, samedi 24 mai dans les zones sinistrées, à la dernière phase de leur référendum visant à asseoir leur pouvoir. « Une caricature de consultation populaire », a ajouté M. Kouchner.
Le sort de Mme Aung San Suu Kyi, leader de l’opposition birmane et seule Prix Nobel de la paix privé de liberté dans le monde, n’a pas été évoqué publiquement à Rangoun.
Francis Deron
* Article paru dans le Monde, édition du 27.05.08.
Les autorités birmanes proclament le succès du référendum constitutionnel
Les autorités birmanes ont annoncé, lundi 26 mai, via la télévision officielle d’Etat, que la nouvelle Constitution avait été approuvée par 92,93 % des électeurs lors de la dernière phase du référendum qui s’est tenue samedi dans les zones dévastées par le cyclone Nargis. La junte militaire au pouvoir a annoncé un taux de participation de 98 % dans les quarante-sept municipalités des régions de Rangoun et de l’Irrawaddy où la consultation, débutée le 10 mai dans le reste du pays, avait été repoussée en raison des ravages causés par le cyclone Nargis. Le dernier bilan officiel de la catastrophe fait état de cent trente-trois mille six cents morts et disparus et 2,4 millions de sinistrés.
Le 10 mai, en plein drame humanitaire dans le Sud, la junte militaire avait annoncé un taux de participation de 99,07 % sur 22,7 millions d’électeurs, dont 92,4 % avaient approuvé le texte de la nouvelle Constitution. Dimanche, Tom Casey, un porte-parole du département d’Etat, a fait savoir que les Etats-Unis étaient « consternés » par le maintien de la seconde phase du référendum dans les zones dévastées par le cyclone.
« SAUVER DES VIES »
Elaborée par l’armée, cette Constitution est présentée par la junte comme une étape essentielle d’un plan de transition vers la démocratie. Les cercles dissidents n’y voient eux qu’un renforcement de l’emprise de l’armée sur le pays. Le processus doit aboutir en 2010 à l’organisation d’élections multipartites censées mettre un terme au régime militaire, mais la nouvelle loi fondamentale réserve mécaniquement à l’armée 25 % des sièges du Parlement, ainsi que le contrôle de ministères clefs et le droit de suspendre la Constitution.
Lundi, les Nations unies et les ONG occidentales attendaient encore que les généraux birmans honorent la promesse faite par le général Than Shwe au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, de laisser entrer et travailler tous les travailleurs humanitaires étrangers. La France a ainsi dû renoncer dimanche à décharger en Birmanie un bateau transportant 1 000 tonnes d’aide face au refus des autorités.
Dimanche, le secrétaire général de l’ONU et les pays occidentaux ont pressé le régime militaire de « sauver des vies » parmi les 2,4 millions de rescapés de Nargis, lors d’une conférence internationale de donateurs où la junte s’est vu promettre des dizaines de millions de dollars pour la reconstruction. Aucun chiffre précis n’a cependant été avancé. La Birmanie a évalué à plus de 10 milliards de dollars les dégâts occasionnés par l’une des pires catastrophes naturelles de l’histoire récente.
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 26.05.08 | 12h48 • Mis à jour le 26.05.08 | 13h37