Les élections municipales révèlent que les grands éléments de crise, qui travaillent la société française depuis des années, ne sont pas effacés sous l’effet des coups de boutoir de la « présidence de rupture » qu’entendait incarner Nicolas Sarkozy. Celui-ci vient en effet de subir une véritable défaite électorale à l’occasion du renouvellement des quelque 36 000 conseils municipaux lors du scrutin des 9 et 16 mars.
Un résultat sans appel
Parmi les votes sanctions des gouvernements en place, ces élections font en effet partie des grands crus. Il n’est pas nouveau que les premières élections locales qui suivent l’élection présidentielle marquent une correction par rapport aux résultats précédents. Cela s’était produit par exemple contre la gauche en 1983. Mais, généralement, il s’agissait de correction et rarement d’un tel phénomène à une telle échelle. Seules les communes urbaines retiennent l’attention des commentateurs et deviennent des enjeux pour les principaux partis politiques. Près de 32 000 communes de moins de 3 500 habitants échappent ainsi à la lumière des projecteurs et sont soumises d’ailleurs à un régime électoral spécifique. Ce sont donc les communes urbaines qui mesurent traditionnellement les rapports de force, dans une élection dite de proximité qui mobilise les électeurs. Les enjeux sont à la fois proches, concrets et mettent en lumière des logiques nationales. Ainsi, par exemple, de la question de l’eau, dont la distribution et le traitement sont largement privatisés en France. Son coût a été une des questions les plus discutées ainsi que la mise en place de régies municipales dans le cadre d’un service public de l’eau face aux grandes multinationales comme Suez ou autres.
Près d’une soixantaine de villes de plus de 20 000 habitants passent de droite à gauche. Il est vrai qu’en partie ce sont des gains qui concernent des villes perdues en 2001, élection qui lors de la dernière année du gouvernement de gauche plurielle conduite par Lionel Jospin avait vu la droite l’emporter en enfourchant le thème d l’insécurité. Ce qui préparait ainsi le terrain pour l’année suivante d’une l’élection présidentielle marquée par la présence de l’extrême droite au deuxième tour. Mais les pertes de villes de droite historiques sont également nombreuses et montrent l’ampleur du phénomène. Ainsi Toulouse bascule à gauche alors qu’elle était depuis des décennies gérée par la droite ; dans l’est de la France, Metz, qui bascule aussi, n’avait jamais connu de maire de gauche depuis l’instauration du suffrage universel en 1848 !
60 % de la population urbaine du pays est désormais administrée par un maire de gauche, ce qui dépasse le résultat exceptionnel de 1977, au plus fort de l’Union de la Gauche PS-PC. Le PS est en effet le principal bénéficiaire du rejet de la droite. Il conserve Paris et Lyon et conquiert Strasbourg et la plupart des capitales de région. Il dirige désormais près des deux tiers des villes de plus de cent mille habitants. Il confirme ainsi son ancrage dans un électorat plus favorisé que celui des communes populaires périphériques. Un public acquis à une qualité de vie davantage incarnée par le PS et les écologistes que par les candidats de la droite réactionnaire. Mais le PS progresse également dans des communes urbaines plus petites, ce qui s’explique sans doute par la conjonction de deux éléments : un rejet global de la droite qui s’est exprimé quelque soient la taille des communes et le fait que le PS soit le seul à disposer d’une couverture nationale des communes de plus de 3 500 habitants.
Cette progression globale de la gauche institutionnelle profite aussi, mais plus inégalement, aux partenaires du parti socialiste : les Verts et le PCF.
Les Verts avaient choisi une politique nationale qui priorisait l’autonomie… Elle a été peu appliquée : dans la plupart des cas leurs candidats se sont retrouvés sur des listes d’union de la gauche, à l’exception quelque peu déroutante de Paris, où très associés au bilan municipal du socialiste Bertrand Delanoé, ils avaient choisi pourtant de faire bande à part… L’unique gain de Montreuil, seule commune de plus de cent mille habitants, gérée depuis 1935 par le PCF et conquise par l’ancienne ministre écologiste de Lionel Jospin, Dominique Voynet, est venu améliorer un bilan bien maigre. Il se confirme cette tendance paradoxale : plus l’écologie s’ancre comme préoccupation centrale dans la population, moins les Verts sont capables de répondre à cette aspiration. Il faut ajouter le départ de leurs militants et dirigeants vers la formation de centre droit de l’ancien candidat à l’élection présidentielle François Bayrou (le Modem), plus ou moins encouragé par Daniel Cohn-Bendit, le très recentré ancien dirigeant de mai 68, qui plaide pour une alliance avec le Modem.
Le PCF, qui a bâti son ancrage dans la société française depuis un demi-siècle par le « communisme municipal », jouait très gros dans cette élection. Loin de l’orientation antilibérale qu’il avait enfourchée depuis la victoire du « non » lors du référendum contre le Traité Constitutionnel Européen en mai 2005, sa direction a classiquement (et vitalement) tout fait pour maintenir les alliances avec le PS. Alliance qui a été globalement maintenue, malgré quelques appétits de prises de municipalités de la part de la social-démocratie ou des Verts dans les banlieues des grandes villes. La direction du PCF s’est félicitée de la résistance de son parti qui a préservé l’essentiel de ses municipalités et gagné la plupart des duels avec le PS. Le PC a aussi conquis quelques villes nouvelles dont Dieppe, il est vrai à la tête d’une liste d’Union de la Gauche. Mais une analyse plus fine montre un nouveau recul du PCF nationalement, dont témoignent la perte du conseil général du département de la Seine-Saint-Denis et de deux villes emblématiques dans le même département : Montreuil et Aubervilliers… En réalité le déclin du PCF se poursuit, malgré la poussée de la gauche qui lui permet de freiner cette tendance de fond à la baisse de ses résultats et de préserver ses points forts institutionnels.
Affirmation électorale de la de gauche anticapitaliste
En fait, l’affirmation d’un courant électoral de gauche anticapitaliste a été pour beaucoup une des surprises du scrutin. La LCR présentait ou soutenait plus de deux cents listes : 114 d’entre elles ont dépassé les 5 %, 34 les 10 %. Notons les 15 % à Clermont-Ferrand, Sotteville-lès-Rouen, Quimperlé… Si les scores sont globalement très bons en Bretagne, ils le sont également dans le centre de la France, dans les banlieues ouvrières des grandes agglomérations mais également dans les plus grandes métropoles : il n’est pas anodin de dépasser 5 % à Marseille ou à Toulouse. Toutes ces listes étaient des listes ouvertes composées avec des partenaires locaux très divers : antilibéraux, alterécolos, sections locales du PCF, beaucoup de militants syndicalistes, associatifs, et des hommes et des femmes, jeunes ou anciens, qui se lancent dans l’action politique pour la première fois. Deux cents listes, c’est à peu près 8 000 personnes investies. Une force modeste mais bien réelle.
La proposition de la LCR de lancer un nouveau parti anticapitaliste a joué un rôle dynamique dans la mise en place de ces listes qui, d’ailleurs, auraient sans doute pu être plus nombreuses dans quelques mois une fois le processus plus abouti. Tous les partenaires locaux de la LCR ne s’inscrivent pas nécessairement dans la démarche d’un nouveau parti anticapitaliste, mais celle-ci a créé une dynamique nationale bénéfique au succès des listes.
L’existence d’un courant national qui ne fait pas confiance au PS est vérifiée par la géographie des résultats électoraux. Par le fait, qu’indépendamment des listes soutenues par la LCR, lorsque celle-ci était absente, d’autres listes d’extrême gauche ont pu également réaliser de bons scores : listes alternatives de Lutte ouvrière (LO) ou du Parti des travailleurs (PT, « lambertiste »). En revanche lorsqu’il existe une situation de division dans la gauche radicale, les listes de la LCR l’emportent, en particulier dans les duels avec LO dans les trente-sept cas recensés, ce qui représente une situation totalement inversée par rapport aux élections municipales de 2001.
Plus intéressante est la situation du deuxième tour, totalement inédite à cette échelle pour la gauche radicale et pour la LCR. La loi électorale française permet aux petites listes ayant franchi les 5 % de fusionner avec une des listes arrivées en tête et, à celles qui ont franchi le seuil de 10% de se maintenir. Nous étions en situation de possible fusion dans une soixantaine de municipalités et au-dessus de 10 %, c’est-à-dire en position de se maintenir au deuxième tour, dans quelques cas. Le parti socialiste et le parti communiste ont systématiquement refusé des fusions proportionnelles permettant à nos listes d’êtres représentées dans les conseils municipaux à la hauteur des résultats du premier tour. Ils exigeaient, dans le meilleur des cas, un accord de gestion préalable c’est-à-dire que nous nous engagions à une solidarité politique et budgétaire avec le maire. Ce qui explique que nous ayons maintenu onze de nos listes au deuxième tour. Elles ont dans presque tous les cas maintenu leur score, voire comme à Clermont-Ferrand l’ont augmenté. Cette situation nouvelle est particulièrement intéressante. Les électeurs et électrices qui avaient voté au premier tour ont confirmé leur vote ce qui indique une incontestable radicalisation politique.
À noter une situation et une fusion particulières à Montpellier avec les Verts qui comme la LCR refusaient de travailler avec une municipalité socialiste marquée par un leader local qui défraie la chronique par des propos racistes.
Au total près d’une centaine de conseillers municipaux ont été élus dans 65 municipalités malgré l’absence de ces fusions qui auraient porté la présence de nos listes dans près de 150 municipalités urbaines. Un ancrage sans doute insupportable pour le PS qui a préféré sacrifier plusieurs villes plutôt que de représenter un courant national.
Les leçons immédiates
Pour achever de brosser un tableau de la situation, à noter deux derniers phénomènes. La remontée de l’abstention en particulier dans les quartiers populaires. La présence de Le Pen au deuxième tour de la présidentielle de 2002 avait provoqué un « sursaut civique » qui a marqué le pas cette fois-ci. Le Front National (FN) n’a pas été en situation de capitaliser le rejet du pouvoir pour la première fois depuis vingt ans et confirme la crise qu’il connaît depuis la dernière présidentielle.
La confirmation de la baisse du Front national est en soi un élément déterminant de ces élections. En effet, le FN se nourrit de la crise sociale et politique permanente qui frappe la France depuis près de trente ans. Le grand succès de Nicolas Sarkozy, et sans doute le seul, est d’avoir su, du point de vue des intérêts des classes dominantes, canaliser le vote FN puis récupérer celui-ci en deux vagues lors du scrutin présidentiel. Pour la droite, ce fut décisif tant la logique triangulaire gauche-droite-FN avait été mortifère pour elle lors de précédents scrutins.
Or, une lecture attentive de la chute de popularité du président de la République, au-delà du surmenage médiatique et de la mise en spectacle de sa vie privée, montre un décrochage de ceux et celles qui sont venus du FN. L’écœurement face à un président qui s’était présenté comme celui de la priorité au pouvoir d’achat, d’un candidat qui s’engageait à défendre les ouvriers et à lutter contre les fermetures d’usine, est désormais patent. Ce discours de campagne qui avait connu quelques succès, d’autant plus aisés qu’il s’accompagnait de l’absence de décryptage et de discours alternatifs tels que ceux fournis par sa rivale socialiste, n’a évidemment pas tenu longtemps face à la réalité d’un pouvoir qui mène une politique de classe ayant rarement été aussi peu masquée.
La question sociale s’est donc invitée sous toutes ses formes dans cette campagne municipale et s’est traduite par un rejet des agressions libérales et capitalistes et de la brutalité de la politique menée par le gouvernement.
La droite, et d’ailleurs une partie de la direction du PS acquise au libéralisme, insiste beaucoup, au-delà des enjeux locaux, sur une sanction qui ne concernerait que le style du président de la République, déconnectant ainsi le fond de la politique, à poursuivre et à accentuer, et la méthode qui serait à modifier d’urgence. Cette analyse est bien courte et ne résiste pas à un examen. C’est l’ensemble de la politique gouvernementale qui crée une situation insupportable pour la majorité de la population payant au prix fort les contre-réformes libérales.
Bien sur, Sarkozy a tenté d’incarner une hyperprésidence, une occupation médiatique de tous les instants, une confusion entre vie publique et vie privée, des amitiés et un mode de vie proche des milliardaires, qui tranchaient avec l’attitude plus prudente de ses prédécesseurs. Le Premier ministre, dont la cote de popularité tranche avec celle très basse de Sarkozy, va dès lors monter beaucoup plus en première ligne. Au risque de rejoindre celle de son patron.
Car la droite et le patronat sont désormais plongés dans des difficultés structurelles. Le patronat connaît une crise interne d’organisation, de leadership, touchant aux formes de relations sociales tissées avec les organisations syndicales de salariés. Cette crise oppose la patronne du syndicat patronal, le Medef, Laurence Parisot, acquise à une refonte complète du droit du travail, du droit de licenciements qui laissent peu de place aux négociations face à un syndicalisme même très réformiste, et de l’autre un patronat plus classique, avec son lot de corruption. À droite également, l’épisode tragi-comique de Neuilly, banlieue très bourgeoise parisienne et fief de Sarkozy, qui en a été maire, illustre les divisions du parti bourgeois dominant, l’Union pour un mouvement populaire (UMP). En effet, le président n’a pu imposer son candidat, porte-parole de l’Élysée, alors qu’une fronde des riches secouait la municipalité, jusqu’alors plutôt connue par son refus de construire des logements sociaux et donc son choix d’être hors-la-loi. L’élection d’un autre candidat illustre les difficultés de Sarkozy de s’imposer y compris dans son propre camp. Ce qui a nourri une abstention de droite et d’extrême droite forte.
Décalage électoral
Le PS a hérité d’une victoire qu’il n’attendait pas et qui l’a bien surpris. En effet, la direction de celui-ci venait de s’illustrer à plusieurs reprises par son incapacité à s’opposer sur le fond à la politique sarkozyste. Dès qu’une question sociale ou politique apparaissait, elle était immédiatement suivie d’une cacophonie socialiste, certains n’hésitant pas à applaudir les contre-réformes gouvernementales, comme Manuel Walls sur les retraites ou encore Ségolène Royal sur la réforme des universités… Sans oublier les socialistes ralliés à l’UMP : quatre au gouvernement Sarkozy ainsi que la nomination de Dominique Strauss-Kahn, un des principaux responsables du PS, à la tête du Fonds monétaire international. Très emblématique également fut la ratification parlementaire du traité de Lisbonne dont chacun connaît la proximité avec le Traité constitutionnel européen rejeté par le peuple en 2005. Sarkozy n’a pu obtenir ce succès que grâce à la complicité de députés et sénateurs socialistes, qui l’ont laissé ratifier alors même que la droite n’avait pas le nombre d’élus nécessaires pour son adoption.
Ségolène Royal et beaucoup de dirigeants socialistes ont mis en scène les scores locaux de la formation de centre droit Modem, par ailleurs bien modestes mais très médiatisés, préparant ainsi de futures alliances nationales et justifiant un cours de plus en plus à droite de leur orientation. Mais ce rapprochement a fait long feu : dans beaucoup de villes, le Modem a rejoint… l’UMP, tandis que dans d’autres villes, comme Paris, l’alliance n’a pas été nécessaire pour gagner. Il semble bien que comme en 2004 le PS vient d’engranger une victoire électorale qui ne règle aucun des problèmes de fond qui lui sont posés. Il n’ose pas encore mettre son projet et ses alliances en adéquation avec la réalité de sa vision de la société. Rappelons qu’en juin 2004, le parti majoritaire à gauche sortait triomphant des élections régionales et européennes, quelques mois avant d’exploser dans le cadre de la campagne référendaire sur le traité constitutionnel.
L’électorat de gauche qui rejette le libéralisme est plus à gauche qu’un PS acquis à l’accompagnement du capitalisme libéral. Cette orientation, dite sociale-libérale, mais qui est en fait fort peu sociale, l’empêche de s’opposer sur le fond aux politiques menées. Une constatation qui risque de se confirmer très rapidement dès la prochaine confrontation sociale.
C’est d’ailleurs ce décalage, cette méfiance qui expliquent les scores de la gauche anticapitaliste. Une fraction de la population veut, quand elle le peut, voter comme elle résiste. Apporter ses suffrages aux forces qui se sont battues à l’automne contre la politique gouvernementale, qui offrent des repères et des éléments d’alternative anticapitaliste. C’est pourquoi, contrairement à 2004, le vote utile n’a pas balayé la gauche radicale bien que celle-ci toutes listes confondues, n’ait pas pu se présenter devant plus de 20 % du corps électoral. Des scores donc significatifs qui témoignent à la fois d’un ancrage local, d’une capacité à répondre concrètement aux aspirations de la population mais également de l’exigence d’une alternative globale, d’une force et d’un parti à construire.
A cause de leurs difficultés intrinsèques, ces élections auraient pu devenir un obstacle ou une difficulté dans la voie d’un nouveau parti anticapitaliste, elles se sont transformées au contraire en point d’appui. C’est d’ailleurs ce que n’a pas compris la direction de Lutte Ouvrière qui, pour la première fois depuis 1968, s’est lancée dans une orientation clairement électoraliste et à l’opposé des fondamentaux de cette organisation. Très peu d’élus de LO l’ont été sur des listes indépendantes. Une écrasante majorité d’entre eux le sont sur des listes d’union de la gauche sans que ces militants n’aient posé quelques conditions programmatiques que ce soient. Ils se sont d’ailleurs le plus souvent engagés à voter le budget municipal et leur degré d’indépendance sera bien relatif. D’ailleurs le prix de cette politique aura été de devenir parfaitement invisibles et illisibles dans cette campagne.
La crise est devant nous
Ces élections municipales ainsi que la séquence de mobilisation sociale actuelle, limitée mais bien réelle, marquent bien les enjeux de la situation actuelle. Elles confirment tout d’abord que si Sarkozy a marqué des points et dispose de l’essentiel des pouvoirs pour porter des coups au monde du travail et à la population, cette victoire n’a pu être acquise que par la défaillance de la gauche gestionnaire. Une incapacité à répondre en particulier à la question centrale du pouvoir d’achat qui provoque de nombreux conflits y compris dans des entreprises peu marquées par des luttes sociales comme L’Oréal ou Carrefour. Comment comprendre sinon, un tel renversement de situation en moins d’un an ?
Les éléments de crise qui frappent régulièrement la société française ne sont en rien réglés. Ni le rejet du libéralisme qui a provoqué régulièrement des mobilisations sociales et politiques d’envergure : de la grève de novembre décembre 1995 à celles de 2003, du 21 avril 2002 à la révolte des banlieues de l’hiver 2005, des mobilisations jeunes récurrentes pour le droit aux études ou pour refuser la précarité. Dès qu’elle a pu s’exprimer clairement, la population a exprimé trois rejets fondamentaux : le refus du libéralisme dans ses politiques concrètes, celui de l’atlantisme et de l’engagement aux côtés des croisades impériales de Bush ou de Blair, et enfin celui d’une Europe et d’une mondialisation où les travailleurs, les peuples et les systèmes sont mis en concurrence au profit des firmes multinationales. Or Sarkozy est aux antipodes de ces trois rejets massifs : il est atlantiste et veut rapprocher la politique étrangère de la France de celle du gouvernement des États-Unis ; il vient de faire adopter le projet de constitution rejeté par le peuple en bafouant la démocratie ; il mène une politique ultralibérale. Comment cela ne pourrait-il pas provoquer révoltes et mobilisations sociales ?
D’autant que les marges de manœuvres sont triplement réduites par la crise économique qui s’annonce après la crise financière, par des mesures fiscales en faveur des riches prises dès juillet 2007, qui grèvent les possibilités de respiration budgétaire, par les engagements pris auprès des autres puissances européennes. Ce qui va se traduire malgré la défaite électorale par une accentuation des attaques et des politiques régressives : la remise en cause une nouvelle fois du droit à une retraite digne à 60 ans, une refonte de la carte hospitalière, une privatisation des hôpitaux, la démolition programmée du droit du travail, des licenciements facilités, une diminution draconienne des missions publiques permettant des coupes sombres dans les effectifs de la fonction publique… Ainsi, d’ici 2014, 56 000 suppressions d’emploi sont annoncées dans la Défense nationale — secteur pourtant prioritaire et choyé par le camp réactionnaire. Qu’en sera-t-il dès lors lorsque les missions « sociales » de l’État seront passées à la moulinette ?
Il est impossible de prédire comment vont se dénouer ces contradictions. La conjonction d’une situation économique extrêmement dégradée et d’éléments de crises politiques met le pouvoir en situation difficile. Mais cette conjoncture particulière ne pourra être exploitée que si une gauche de combat, la plus nombreuse et rassemblée possible, est capable à la fois de relever le défi des résistances sociales, des mobilisations unitaires à construire, et celui de la construction d’une alternative anticapitaliste.
Pour résister et reconstruire une perspective socialiste, le monde du travail et la société française ont besoin de luttes puissantes mais aussi d’un nouveau parti. C’est le pari un peu fou que nous nous sommes fixés. Être de tous les rendez-vous de la contestation pour modifier en profondeur les rapports de force, être capable de porter l’espoir d’un autre monde possible, d’une transformation révolutionnaire de la société, du socialisme du XXI siècle qu’il nous faut rebâtir. Une tâche immense, de longue haleine, que nous ne pourrons réussir qu’en alliant nos forces avec ceux et celles qui dans le monde entier n’ont pas renoncé au même projet que nous.
Paris, le 30 mars 2008