La vie politique du Népal est aujourd’hui dominée par un parti dont les brochures, les locaux et les meetings sont ornés des portraits de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao. Plus incongru : les chefs qui devraient prochainement diriger le pays guerroyaient il y a à peine deux ans dans le maquis au nom de la doctrine maoïste de la « guerre du peuple ». Pour anachronique qu’elle paraisse à l’extérieur, cette réalité en dit long sur les archaïsmes d’un Népal sous-développé qui, enclavé à flanc d’Himalaya et longtemps isolé, absorbe avec plusieurs décennies de décalage les évolutions de ses voisins.
Contrairement à ce que pourrait suggérer le label « maoïste », cette infusion politique à retardement ne vient pas de Chine. Elle trouve sa source en Inde, à laquelle le royaume hindou népalais a souvent emprunté ses modèles politiques. Les maoïstes du Népal sont les héritiers d’un Parti communiste né en 1949 à Calcutta. Et ils trahissent un cousinage prononcé avec les naxalites (maoïstes) indiens. Comme ces derniers, ils sont l’avatar d’une extrême gauche qui n’a cessé de se fragmenter au fil de scissions provoquées par des chocs externes ou internes : schisme sino-soviétique ou controverse sur la participation au processus électoral.
L’année 1996 marque le baptême du feu de la rébellion maoïste. Cette année-là, une poignée d’agitateurs radicalisés de souche brahmane déclenche, dans les collines du centre-ouest du pays, une lutte armée en s’inspirant expressément de la stratégie militaire de Mao consistant à « encercler les villes par les campagnes ». Les insurgés capitalisent sur les désillusions, notamment en matière sociale, de l’expérience de la monarchie parlementaire des années 1990. Le gros de leurs troupes est fourni par les tribus marginalisées de langue tibéto-birmane et de tradition guerrière (Magar, Tamang...), qui alimentaient naguère les contingents gurkhas de l’armée britannique.
La rébellion s’étend au fil des années. Elle se nourrit de la brutalité de la répression policière. En matière de violence, les maoïstes ne sont pas en reste : ils recourent eux aussi à une coercition relevant parfois de la terreur. Mais les réformes sociales qu’ils ébauchent dans leurs « zones libérées » leur valent la sympathie d’une frange de la population.
NATIONALISME NOSTALGIQUE
En 2001, une nouvelle rupture se produit avec le massacre du roi Birendra et de la famille royale par le prince héritier. Dès lors, les maoïstes changent de stratégie. Ils comprennent que cette tuerie exceptionnelle vient d’instiller un bacille mortel au cœur même de l’institution monarchique. Aussi brandissent-ils un nouveau mot d’ordre : l’abolition immédiate d’une royauté présentée comme décadente, à l’image du nouveau souverain, Gyanendra, rejeté par la population. L’insurrection, qui compte jusqu’à 25 000 soldats, franchit alors un « saut qualitatif » : elle s’attaque frontalement à l’armée royale alors qu’elle ne visait, jusqu’alors, que des postes de police. L’escalade est sanglante. Le conflit s’épuisant, les dirigeants maoïstes, réalistes, finissent par guetter un débouché politique. Il se présente sous la forme d’une alliance avec les vieux partis parlementaires, coalisés contre l’autocratisme du roi Gyanendra. Ainsi s’est conclu l’accord de paix de novembre 2006.
Que vont faire les maoïstes de leur nouveau pouvoir ? A décoder leur parcours historique, un trait de caractère doit être relevé : si le maoïsme a fourni de précieuses recettes militaires, l’idéologie de base des dirigeants du PCN-M relève davantage d’un nationalisme nostalgique de la grandeur passée du Népal que des classiques du communisme. Ce tropisme autorise bien des accommodements, comme le suggèrent les appels du pied aux « patriotes » et un programme économique plutôt pragmatique.