Il y a peu, à la télé, lors d’un débat sur la crise alimentaire mondiale, dès que le nom d’une des trois nuisances mondiales (Banque Mondiale-BM, Fonds Monétaire International-FMI, Organisation Mondiale du Commerce-OMC) fut prononcé, il s’est trouvé immédiatement un des tenants du système pour déclarer, péremptoire, « ne cherchons pas des boucs émissaires ». Car, bien entendu, comme pour les phénomènes climatiques, il faut « régler les problèmes » sans remettre en cause le système, alors que c’est le système lui-même - c’est-à-dire pour l’appeler par son nom, le capitalisme - qui est à l’origine des maux alimentaires, sanitaires, écologiques et sociaux dont souffre l’humanité.
En chœur, les dirigeants de la BM, du FMI et de l’OMC comme ceux de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques, c’est-à-dire le bureau d’études intergouvernemental du capitalisme) insistent sur la nécessité de conclure le « Cycle de Doha » pour résoudre la crise alimentaire mondiale. Pour mémoire, le « Cycle de Doha » c’est le programme de négociations adopté en 2001 à Doha lors de la conférence ministérielle de l’OMC. Grâce à une formidable résistance des pays du Sud, ces négociations bloquent en dépit de toutes les pressions possibles et imaginables exercées par l’UE et les USA sur ces pays (pour plus de précisions, voir sur le site de l’URFIG).
La recette miracle, pour nourrir davantage et mieux, serait donc, selon les maîtres du monde, plus de libre-échange, plus de dérégulation, plus de privatisation, plus de concurrence. Et la plupart des médias - en ce compris chaînes de télévision et stations de radio publiques - de matraquer les opinions dans ce sens.
Un document intéressant circule dans les réseaux altermondialistes. Il émane de l’Institute for Agriculture et Trade Policy dont le bureau de Genève, véritable observatoire de ce qui se passe à l’OMC, accomplit un travail considérable de salubrité publique (même si on peut diverger sur les solutions alternatives proposées, leur site mérite le détour : www.iatp.org - il y a une version française). Ce document énumère les 7 raisons qui expliquent que le Cycle de Doha ne peut régler la crise alimentaire mondiale. Les voici :
1. Le Cycle de Doha augmentera la dépendance des pays pauvres aux importations alimentaires.
Deux tiers des pays en développement sont des importateurs alimentaires nets. Ce chiffre est encore plus élevé parmi les pays les plus pauvres. Au cours des vingt dernières années, la course à la libéralisation des marchés agricoles dans les pays en développement a laissé les producteurs pauvres sans aide publique. Une augmentation considérable des importations -dans de nombreux cas fortement subventionnées - a découragé la production locale et l’investissement dans le secteur agricole. Les propositions de libéralisation du commerce contenues dans le Cycle de Doha auraient pour conséquence d’augmenter la dépendance de ces pays aux importations alimentaires au lieu d’encourager les gouvernements à augmenter la production et à aider les systèmes alimentaires locaux à se relever.
2. Le Cycle de Doha aura pour effet d’augmenter la volatilité des prix alimentaires et agricoles.
Les accords d’investissement et de commerce actuels interdisent ou découragent les mesures dont disposaient les gouvernements auparavant pour atténuer les effets de la volatilité des prix (en contrôlant les volumes d’importation et d’exportation, en gérant les réserves internes, en utilisant des outils de contrôle et de soutien des prix, en créant des subventions aux consommateurs par des systèmes de rationnement, etc.). Les propositions contenues dans le Cycle de Doha vont continuer de limiter les outils dont les gouvernements pourraient se servir pour s’assurer que le commerce œuvre dans le sens de la sécurité alimentaire.
3. Le Cycle de Doha va renforcer le pouvoir de l’industrie agroalimentaire transnationale.
Depuis 2006, trois des fournisseurs de céréales les plus importants, Cargill, Archer Daniel Midlands (ADM) et Bunge, ont augmenté leur bénéfice de 36%, 67% et 49% respectivement. La déréglementation du commerce laisse de nombreuses zones grises dans le droit de la concurrence et a créé des opportunités colossales pour le secteur agroalimentaire transnational. Depuis la création de l’OMC, les règles de commerce multilatéral ont renforcé la position des acteurs dominants dans le système alimentaire au détriment des agriculteurs et des commerces locaux dans les pays en développement. La conclusion du Cycle de Doha ne ferait que consolider leur pouvoir.
4. Le Cycle de Doha ne va pas permettre de mettre un frein à la spéculation financière.
La spéculation financière sur les marchés des matières premières a considérablement augmenté depuis l’an 2000. La FAO et la CNUCED ont toutes deux identifié cet engouement pour les investissements financiers dans les matières premières comme l’une des causes principales de la hausse de la volatilité sur les marchés des matières premières. Le Cycle de Doha ne contient aucune proposition visant à surveiller l’investissement spéculatif sur les marchés alimentaires.
5. Le Cycle de Doha ne va pas se pencher sur la crise de l’environnement, en particulier le changement climatique.
De mauvaises conditions météorologiques ont contribué à la crise alimentaire. D’après le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC), des événements climatiques extrêmes vont continuer de perturber la production alimentaire. Quatorze ans après la création de l’OMC, les gouvernements ne sont pas plus avancés sur la question du développement de moyens permettant de freiner la pollution ou la réduction des ressources naturelles liées au commerce. En défendant avec insistance les mesures « les moins restrictives possibles par rapport au commerce », et en ignorant les impératifs liés à l’environnement, l’OMC est en désaccord avec les accords environnementaux des Nations Unies, ce qui inclut la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques.
6. Le Cycle de Doha ne fera pas baisser les prix du pétrole.
Le pétrole est un élément essentiel de l’industrie agricole. On l’emploie pour l’engrais, les pesticides, les pompes d’irrigation, les machines agricoles et le transport. Les conséquences de l’augmentation du prix du pétrole se répercutent donc très fortement sur les prix alimentaires. L’approvisionnement pétrolier est contrôlé en grande partie par un oligopole de fournisseurs, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). L’Agenda de Doha ne contient aucune proposition visant à redresser les distorsions du marché créées par cet oligopole.
7. Le Cycle de Doha ne va pas réglementer le commerce international des agro-carburants.
Au cours des dernières années, l’investissement en agro-carburants a augmenté de manière exponentielle, la hausse des prix pétroliers n’y étant pas étrangère. Dans certains pays, cette augmentation a créé des conflits directs entre l’utilisation de la terre et de l’eau pour les agro-carburants plutôt que pour l’alimentation. Le Cycle de Doha vise à étendre le commerce à tous les biens agricoles, indépendamment de leur utilisation, et ne fera rien pour aider les gouvernements à mettre la priorité sur la production alimentaire.
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Il faut quand même garder à l’esprit que le Cycle de Doha, c’est ce que défendent les socialistes et la droite en France et au Parlement européen, c’est ce que défendent les 27 gouvernements de l’Union européenne et la Commission européenne. Aux côtés des Etats-Unis.
L’IATP conclut que « l’obsession idéologique plaçant le marché mondial comme assurance optimale en matière de sécurité alimentaire a entraîné une réduction dramatique des réserves alimentaires publiques. Les réserves mondiales de riz et de maïs ont été réduites de près de 50% depuis 2000. Les gouvernements ont renoncé à leur responsabilité en matière de réserves et l’ont remise entre les mains des entreprises privées qui dominent les marchés mondiaux. Les priorités de ces entreprises sont bien différentes, cela va sans dire. »
La crise alimentaire mondiale confirme que a somme des intérêts privés ne contribue jamais là l’intérêt général. Cette crise souligne qu’il est impossible d’assurer le bien-être de l’humanité sans remettre en cause deux fondements du capitalisme : la propriété et le marché.