Le peuple irlandais vient de mettre un grain de sable dans une mécanique pourtant bien
huilée. Les gouvernements européens et les dirigeants de l’Union semblaient avoir pris toutes
leurs précautions, suite au double non français et néerlandais au Traité constitutionnel
européen (TCE) en 2005. Le nouveau traité, frère jumeau du précédent serait rédigé et adopté
à la va-vite sans aucun débat public et ne serait soumis nulle part à consultation populaire.
Ainsi, on éviterait les surprises et l’affaire serait entendue. Las, la constitution irlandaise
prévoyait un référendum et ce qui devait arriver arriva. Un réel débat politique s’instaura et
malgré, ou à cause, de l’unanimité de la classe politique irlandaise qui s’était prononcée pour
le oui, le peuple irlandais a voté non et massivement non dans les classes populaires.
Ce que viennent de refuser les Irlandais, ce qu’avaient déjà refusé les Français et les
Néerlandais et ce qu’aurait probablement refusé la grande majorité des peuples d’Europe si
l’occasion leur en avait été donnée, c’est une Europe anti-sociale et anti-démocratique. Antisociale
car des derniers arrêts de la Cour européenne de justice qui autorisent le dumping
social, au récent projet de directive sur le temps de travail qui officialise, de fait, les 65 heures
par semaine, en passant par les directives d’ouverture à la concurrence des services publics,
l’Union européenne se construit autour de l’extension sans fin de la concurrence de tous
contre tous. Anti-démocratique car, la plupart du temps, les citoyens européens n’ont pas leur
mot à dire sur l’avenir de l’Union, sont exclus des décisions ou pire encore quand leur vote est
nié comme dans le cas du TCE.
Sous le coup de l’émotion, le ministre des Affaires européennes Jean-Pierre Jouey a déclaré
que « cela montre une différence entre le projet européen et les attentes et la compréhension
des citoyens ». Si contrairement à ce qu’il peut penser les citoyens ont parfaitement compris
la nature du projet européen actuel, l’éclair de lucidité dont il fait preuve pour le reste sera-t’il
suivi d’effet ? On peut en douter au vu de ce qui s’est passé après le double non français et
néerlandais au TCE et il est fort probable que, au-delà des mots, le cours donné à la
construction européenne ne change en rien.
Dans cette situation, le mouvement altermondialiste, le mouvement social et plus largement
les forces progressistes européennes ont une responsabilité considérable. D’abord, celle de se
saisir de cette occasion pour impulser à l’échelle de l’Union un réel débat public sur l’avenir
de la construction européenne. Nous ne devons pas laisser les gouvernements recoller les
morceaux comme cela s’est passé après le non français et néerlandais. A l’époque, pour de
multiples raisons, ce non était resté sans suite. Cela a été le grand échec d’une bataille
politique par ailleurs remarquable. Il faut aujourd’hui proposer un objectif et une méthode.
L’objectif doit être une refondation démocratique, sociale et écologique de l’Union
européenne qui casse la prééminence actuelle du droit de la concurrence. La méthode doit
permettre d’associer tous les habitant-es de l’Union et d’affirmer ainsi le destin commun des
peuples d’Europe. C’est donc un processus constituant populaire qu’il faut bâtir.
Une telle perspective peut permettre de montrer qu’une autre voie existe face aux manœuvres
des gouvernements et de la Commission européenne qui vont essayer de contourner le non
irlandais. Elle s’oppose à ceux qui, oubliant que l’Europe actuelle a été faite par les Etats, et
que le problème n’est pas l’Europe mais le néolibéralisme, parient simplement sur
l’éclatement l’Union européenne.
Mais une telle perspective doit aussi s’ancrer dans les mobilisations concrètes. Car traité de
Lisbonne ou pas, l’offensive néolibérale continue et s’accélère. Va-t’on laisser la Commission
préparer tranquillement ses projets pour accroître encore la flexibilité du travail ? Va-t’on
laisser les gouvernements augmenter la durée du travail ? Va-t’on laisser la Cour de justice
européenne détricoter arrêt après arrêt le droit du travail au niveau national ? Va-t’on laisser
la Banque centrale européenne mener une politique monétaire restrictive et prôner l’austérité
salariale ? Sur toutes ces questions, des alternatives existent, mais il faut des mobilisations
européennes pour les porter. Il faut pour cela être capable de construire les alliances les plus
vastes. Le Forum social européen (FSE) est aujourd’hui le cadre unitaire le plus large existant
à l’échelle européenne par le nombre et la diversité des organisations qui y participent. Le
FSE doit être le cadre où toutes ces questions soient discutées, où des processus de
mobilisation soient construits. C’est l’enjeu principal de la prochaine édition du FSE qui se
tiendra à Malmö en Suède du 17 au 21 septembre.