A l’heure où nous écrivons, nous ne connaissons pas le sort réservé par les eurodéputés à la honteuse « directive retour ». Quelques manifestations ont eu lieu, samedi 14 juin, mais la mobilisation n’a pas encore atteint l’ampleur nécessaire (environ 3 000 manifestants à Paris). Pour autant, le rejet de cette directive, combiné aux grèves, prend une dimension internationale.
Ainsi, le président bolivien, Evo Morales, dit l’essentiel, et il n’y va pas par quatre chemins dans une lettre à l’Union européenne (UE) : « Nous subissons une intense pression de la Commission européenne pour accepter des conditions de profonde libéralisation pour le commerce, les services financiers, la propriété intellectuelle ou nos services publics. [...] Promouvoir d’un côté la liberté de circulation des marchandises et des flux financiers, alors qu’en face nous voyons des emprisonnements sans jugement pour nos frères qui ont essayé de circuler librement, c’est nier les fondements de la liberté et des droits démocratiques. Dans ces conditions, si cette “directive retour” devait être approuvée, nous serions dans l’impossibilité éthique d’approfondir les négociations avec l’Union européenne. » [1]
Le 17 juin, Patrick Stefanini, chef de cabinet du ministre de l’Identité nationale, Brice Hortefeux, s’est rendu à Bamako (Mali) pour tenter de faire signer un accord bilatéral d’« immigration choisie », en échange d’une collaboration dans la chasse aux sans-papiers. Pour essayer d’empêcher la ratification de cet accord néocolonial, l’Association des Maliens expulsés (AME) a organisé, le même jour, à Bamako, un sit-in devant l’Assemblée nationale. Une mobilisation a été organisée, en France aussi, devant le consulat du Mali. C’est donc ici et là-bas que la lutte se développe contre l’Europe forteresse et son « immigration choisie », esclavage des temps modernes.
La première vague de grèves, débutée le 15 avril, n’a abouti qu’à 63 régularisations en cinq semaines. Trois semaines plus tard, à la suite de la deuxième vague du 20 mai, le gouvernement a lâché 340 nouvelles régularisations. Si des préfectures font traîner les choses, en réclamant, comme à Paris, cinq ans de présence en France, d’autres finissent par céder. Ainsi, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), les dix-neuf travailleurs du restaurant L’Île, en grève depuis le 30 mai (lire Rouge n° 2256), ont tous fini par arracher leur régularisation. Douze d’entre eux n’étaient pas en poste et avaient été licenciés pour défaut de titre de séjour, l’un d’eux depuis 2003. Leur régularisation a été obtenue sans condition d’ancienneté, ni sur le territoire, ni dans l’entreprise (l’un d’entre eux est en France depuis deux ans ; un autre en poste depuis deux mois). Tous ont désormais un CDI débutant à leur première date d’embauche. La lutte paye donc. Sans la grève, aucun des 400 régularisés d’aujourd’hui n’aurait obtenu un titre de séjour par le seul effet de la loi.
Elargir la brèche
Il n’y a pas que les secteurs considérés « en tension » qui entrent en lutte. À Pontault-Combault (Seine-et-Marne), le siège de Quebecor (multinationale du livre) est occupé par 90 travailleurs sans papiers, souvent intérimaires. La diversité des situations était visible au meeting réussi du 12 juin, qui a rempli la Halle Carpentier (Paris 13e). Hommes et femmes grévistes de Fabio Lucci, de Metal couleur, de Manet (nettoyage de chambres d’hôtels, lire page 16) ont parlé à la tribune. Raymond Chauveau (CGT) a annoncé l’imminence d’une « troisième vague qui, cette fois, sera une déferlante ». Jean-Claude Amara (Droits devant !!) a précisé que le mouvement s’étendra à la province, et peut-être aux exploitations agricoles. Anna Azaria (collectif Femmes égalité) a évoqué la surexploitation dans le secteur très féminisé du service à la personne, que le gouvernement méprise, parce que sans contrat, sans fiche de paye et à temps partiel. Francine Blanche (secrétaire confédérale CGT) a interpellé le gouvernement : « N’inventez pas de nouveaux critères [Smic, CDI, temps complet...]. Dépêchez-vous de régulariser avant que ça n’explose. »
Au nom des composantes d’Uni(e)s contre une immigration jetable, Emmanuel Terray (LDH) a salué le « tournant essentiel » que représente ce mouvement dans l’histoire des sans-papiers. Il a ouvert une brèche, comme en 2006, avec le RESF, pour les familles d’enfants scolarisés. « À nous d’élargir cette brèche, et d’y faire entrer, après les grévistes d’aujourd’hui, tous les isolés, tous ceux qui sont payés de la main à la main, en liquide, à la commande ou à la journée. Car tous les sans-papiers sont des travailleurs, il faudra bien que tous soient régularisés. »