Face à la politique de démolition sociale du gouvernement, les luttes et les résistances existent bel et bien dans ce pays. Depuis la victoire électorale de Sarkozy, il n’y a pas eu un mois, voire une semaine, sans grèves, sans mobilisations touchant l’ensemble des salariés du privé comme du public. Mais ces résistances, ces grèves se font en ordre dispersé, branche par branche, catégorie par catégorie empêchant ainsi de mettre en place un véritable rapport de force avec le gouvernement et lui laissant les « mains libres » pour continuer sa politique antisociale et réactionnaire, imposant ainsi toujours plus de précarité et de flexibilité à l’ensemble des salariés.
Depuis des mois, on se retrouve ainsi appelés à se battre un jour pour le pouvoir d’achat, un autre jour contre l’allongement du temps de travail et les retraites, et plus tard pour la défense des services publics et des emplois. Cette semaine encore, il y eut plusieurs appels dispersés à des journées d’action spécifiques, les salariés du ministère de la Défense un jour, ceux du ministère de la Santé le lendemain, sans parler des dockers et des taxis parisiens. Et il y eut, le 17 juin, un appel à une journée d’action pour l’ensemble des salariés sur les 35 heures et les retraites. Mais cet appel, qui était l’un des premiers de l’année concernant les salariés du privé comme du public, avait été fait par la CFDT, la CGT, la FSU et Solidaires. Force ouvrière et la CFTC ont préféré, dans leur coin, appeler, à la veille de cette journée de grève interprofessionnelle, à une nouvelle journée d’action et de mobilisations sur les retraites, sans donner de date précise et éloignant ainsi un peu plus toute perspective unifiante permettant d’avancer vers un mouvement d’ensemble, un front syndical.
À l’heure actuelle, on voit que les directions syndicales refusent un positionnement global et une alternative de transformation sociale. Pourtant, les luttes récentes montrent que la demande d’action collective, de revendications offensives, de convergences de luttes et de mouvement d’ensemble existent chez de nombreux salariés et équipes syndicales. Au-delà des difficultés à construire un front syndical, persiste également la difficulté à ce que les militants et courants syndicaux attachés à développer un syndicalisme de lutte se rencontrent et conjuguent leurs efforts. D’autant que la volonté de dialogue social au sommet affichée par le gouvernement et les directions syndicales signifie que le syndicalisme de lutte, de mobilisation n’a plus sa place dans le décor et que, désormais, le syndicalisme institutionnel et de négociation est la norme.
Une chose est certaine : dans les semaines et les mois qui viennent, au vu des attaques patronales et gouvernementales programmées et de la stratégie actuelle des directions syndicales, il est urgent de mettre en place des initiatives concertées autour de réponses alternatives et de propositions de mobilisation pour s’opposer réellement à ce gouvernement. ■
Sandra Demarcq
17 JUIN : Désunion, confusion, colère
Face aux provocations gouvernementales, les mobilisations du 17 juin sont très loin d’être à la hauteur. La confusion bloque les possibilités de contre-offensive sociale.
« Un socle solide de mobilisation », dit la CGT au soir du 17 juin, tout en reconnaissant qu’avec 500 000 personnes, l’objectif du « million » annoncé par Bernard Thibault n’est donc pas atteint. Un socle solide ? Le mot est sans doute trop fort. Nos correspondants décrivent une « ambiance morose » (Limoges), « triste » (Guéret), « désabusée et peu active » (Auch), « peu motivée » (Reims). À Paris, le cortège désorganisé n’avait pas de dynamique collective, sauf aux abords immédiats des camions sonos. Partout ou presque, les cortèges étaient moitié moins nombreux que le 22 mai, voire « cinq fois moins » (Valenciennes). La CGT fait état d’une « majorité de salariés du privé » qui ne correspond pas à la réalité, même si le nombre des arrêts de travail a augmenté depuis le 22 mai. À Strasbourg, le cortège était emmené par des salariés des brasseries Fischer et Heineken, menacés de licenciements. À Paris, les banderoles du secteur privé CGT restaient isolées : quelques dizaines de personnes derrière celles de Renault-Flins ou de Citroën-Aulnay, mais aussi du commerce (débrayage significatif à Monoprix). Au Havre, on retrouve les mobilisations portuaires, et à Valenciennes, 60 % de métallurgistes. Mais à Caen, « on ne retrouve pas la participation du privé du 22 mai » (petites boîtes).
L’élément réellement nouveau est évidemment la visibilité CFDT, oubliée depuis longtemps (1995). À Paris, la mobilisation CFDT (environ 10 000) était animée (« Oui aux 35 h, non aux 60 h », « Sarko, si tu savais, tes heures sup’ où on se les met »). Les cortèges très féminisés, structurés par fédérations professionnelles (banques, métallurgie, services) mélangeaient les entreprises, certainement pour beaucoup du secteur privé. Des militants de la CFDT (transport) expliquent :« Il y a vingt ans, à la CFDT, nous avons fait un tournant par rapport à Mai 68. Nous avons opté pour la négociation. Mais cela suppose des relations de confiance. Or, avec Sarkozy, c’est fini. Donc nous sommes dans la rue. » Et d’ajouter : « Il y a trop de syndicats. »
Et les suites ? François Chérèque parle de « rupture » et explique que, dans « aucun pays d’Europe », on ne pratique comme Sarkozy le fait accompli. Bernard Thibault décrit un « changement de situation » dans les rapports au gouvernement, annonce « une rentrée en fanfare » (avec une date européenne le 7 octobre sur le « travail décent ») et, en juillet, des « initiatives » en direction des parlementaires. Maryse Dumas (CGT) pratique la méthode Coué dans l’Humanité du 17 juin, comparant la mobilisation actuelle avec celle qui a mené au retrait du CPE : « Même votées, les lois peuvent être défaites. Il n’est jamais trop tard. » Certes, mais a-t-on le droit de sous-estimer son adversaire au point de dire que « nous ne sommes pas impressionnés par l’intransigeance du gouvernement. En général, ceux qui sont sûrs d’eux acceptent de négocier » ? En général, au contraire, les patrons et la droite ne négocient que si le rapport de force les y oblige.
Mais trop de confusion règne actuellement dans le syndicalisme – le 16 juin, CFTC et FO appelaient à la grève en septembre ! –, pour que les salariés repèrent une ligne de conduite gagnante et se sentent en confiance, malgré leur colère. Trop de journées éclatées, sans doute. Mais, surtout, aucun plan de résistance ferme et durable, ce qui permet à la droite de réaliser des manœuvres d’instrumentalisation.
Dominique Mezzi
60 HEURES PAR SEMAINE…
Qui parle encore des 35 heures ? En Europe, les ministres des Affaires sociales veulent nous faire travailler 60 heures, voire 65 pour certaines tâches (médecins hospitaliers) et même 78 selon les modes de calcul. Le ministre du Travail, Xavier Bertrand, tueur des 35 heures, a signé ce recul scélérat. Il a même déclaré, sans rire : « L’heure est clairement à la relance de l’Europe sociale. »
L’affaire n’est pas close, car elle doit passer au Parlement européen. Mais une digue est rompue, celle des gouvernements qui, jusqu’ici, résistaient majoritairement à cette offensive relayée opiniâtrement par les ultralibéraux. Ceux-ci veulent pouvoir déroger à la règle des 48 heures maximum en vigueur dans l’Union. Déroger au droit, c’est le mot d’ordre. Il s’agit d’obtenir la possibilité, avec le consentement des salariés, ou un accord collectif, d’aller beaucoup plus loin que 48 heures. Seule la Grande-Bretagne avait jusqu’ici cette possibilité de sortir (opt out) du droit. Cette fois, grâce à la France qui lève son veto, cela peut se généraliser.
Dominique Mezzi
Le refus de travailler plus
Un an après la victoire de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle, il s’insinue comme du dépit chez les plus libéraux de nos commentateurs. À preuve, la chronique d’Yves de Kerdrel dans Le Figaro du 17 juin. Intitulée « Guizot, réveille-toi, ils sont devenus fous », elle ne peut plus ignorer que les exhortations présidentielles à « travailler plus pour gagner plus » font désormais « flop ». Sondages à l’appui (comme ceux qui établissent que 79 % des salariés refusent de monétiser leurs RTT), notre penseur des élites en conclue avec justesse : « En l’espace d’un an, le nouveau gouvernement n’a pas réussi à faire passer dans l’esprit des Français qu’il fallait effectivement travailler plus. »
Plus grave à ses yeux, ce ne sont pas seulement les ouvriers et les employés qui regimbent à exposer toujours davantage leurs vies à la surexploitation du travail, mais également un encadrement revenu de l’illusion selon laquelle il pourrait profiter des largesses du système. « Voilà, depuis quelques années, constate tristement de Kerdrel, les cadres ne sont plus ce qu’ils étaient. La crise économique des années 1980 leur a fait toucher du doigt la précarité de leur statut. » Et d’ajouter que « la financiarisation de l’économie et la distorsion injustifiée de l’échelle des salaires ont créé un énorme fossé avec leurs dirigeants. Ils sont devenus une sorte de super-prolétariat… »
Évidemment, notre éminent rédacteur de la presse Dassault ne peut, au passage, s’empêcher de fustiger cette France qui baignerait dans l’opulence, où « plus de 100 000 piscines privées se construisent chaque année » (les 7 millions de pauvres recensés par les statistiques officielles apprécieront) et qu’il faudrait plonger au plus vite dans le bain glacé de destructions sociales accrues, en laissant par exemple « sur le côté une politique compassionnelle à l’égard de toutes les corporations qui refusent de s’adapter à un univers mondialisé ». D’où l’invocation des mannes de Guizot, figure de proue de cette droite orléaniste qui, depuis le xixe siècle, prône les vertus de la « main invisible du marché ». Il n’empêche ! Tant de dépit affiché révèle la prise de conscience que la classe possédante est très loin d’avoir gagné la partie. Merci à M. de Kerdrel d’apporter de l’eau à notre moulin…
Christian Picquet (La gazette des gazettes)