L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé, vendredi 11 juillet, à la Socatri (filiale d’Areva) de suspendre une partie de l’activité de sa station de traitement de Tricastin (Drôme), à l’origine d’un rejet accidentel d’uranium lundi soir, au cours duquel environ 20 m3 d’effluents, contenant 240 kg d’uranium, ont fui dans l’environnement depuis une cuve d’effluents radioactifs. La Socatri a immédiatement annoncé vendredi la fermeture d’une partie de sa station de traitement d’effluents uranifères.
« C’est une unité vétuste qui avait vocation à être arrêtée », a indiqué Philippe Lendevic, délégué territorial de l’ASN. A l’issue des inspections menées jeudi par l’ASN, « nous avons constaté une série de dysfonctionnements et de négligences humaines qui n’est pas acceptable », a-t-il ajouté, indiquant que l’organisme « demandera à l’exploitant d’en tirer les conséquences sur l’ensemble du site ».
« Le collège de l’ASN s’est réuni ce matin [vendredi] pour prendre une décision imposant à Socatri la suspension de l’arrivée d’effluents dans la station de traitement à l’origine de la pollution et des mesures immédiates de mise en sécurité », indique l’organisme dans un communiqué.
Les inspections menées jeudi par l’ASN ont notamment révélé que « la mise en sécurité » engagée par l’exploitant, filiale de retraitement de déchets du géant français du nucléaire Areva et « destinée à empêcher toute nouvelle pollution », n’était « pas complètement satisfaisante » . « Ces constats donneront lieu à l’établissement d’un procès-verbal qui sera transmis à monsieur le procureur de la République », ajoute l’ASN dans son communiqué. Le procureur de la République de Carpentras devra ensuite décider des suites judiciaires a donné à cette affaire.
ÉCARTS RÉPÉTÉS
L’ASN estime également que « la gestion de la crise par l’exploitant a montré des lacunes en matière d’information des pouvoirs publics ». « Nous estimons que l’information a été tardive et qu’il y a eu un certain nombre de manquements à la réglementation de la part de l’exploitant », a déclaré Charles-Antoine Louët, chef de la division de l’ASN de Lyon.
Dans l’attente de la réunion de l’ASN, les autorités préfectorales avaient décidé, jeudi, de maintenir les précautions prises mardi, interdisant la consommation et l’usage d’eau issue de captages privés sur les communes de Bollène, Lapalud et Lamotte-du-Rhône (Vaucluse). La pêche, la consommation de poissons, les activités nautiques et la baignade sont interdites dans trois cours d’eau et étangs, ainsi que l’irrigation provenant de ces cours.
Par le passé, la Socatri a déjà été épinglée plusieurs fois par les inspecteurs de l’Autorité de sûreté nucléaire pour « fuites et écarts répétés ». L’ASN qui avait ainsi déjà signalé en mai dernier que « la canalisation qui évacue les effluents liquides de Socatri a fait l’objet de fuites répétées en 2007 », a également demandé vendredi à la filiale d’Areva de mettre en place « un plan de surveillance renforcée comprenant notamment des analyses dans les rivières et la nappe phréatique environnantes ».
* LEMONDE.FR avec AFP | 11.07.08 | 11h51 • Mis à jour le 11.07.08 | 16h12.
Interrogations sur la réaction des autorités
« Il faut rester vigilant et prudent », répète Jean-Pierre Lambertin, le maire de Lapalud (Vaucluse). Pour la troisième fois, il a réuni, jeudi 10 juillet au soir, son « cabinet de crise ». Il lui faut gérer les conséquences de l’incident nucléaire qui s’est produit au cours de la nuit du mardi 8 juillet à la Socatri (filiale d’Areva) sur le site voisin du Tricastin. Environ 20 m3 d’effluents contenant 240 kg d’uranium ont fui dans l’environnement depuis une cuve d’effluents radioactifs.
Depuis ce jour, la consommation et l’usage d’eau issue de captages privés sont interdits sur sa commune et sur celles de Bollène et Lamotte-du-Rhône. La pêche, la consommation de poisson, les activités nautiques et la baignade sont interdites dans trois cours d’eau et étangs, ainsi que l’irrigation provenant de ces rivières.
A l’issue de la réunion avec ses adjoints et autres élus, le maire rédige un communiqué à l’intention de ses 3 400 administrés. Distribué et affiché rapidement dans tous les commerces de la ville, il comporte les dernières analyses officielles sur la qualité de l’eau, et rappelle les mesures de précautions préconisées par les préfectures de la Drôme et du Vaucluse, toujours en vigueur, vendredi 11 juillet.
PALETTES D’EAU MINÉRALE
Dans la zone sous surveillance, une centaine de foyers ne sont pas raccordés au réseau d’eau potable. « Mes salades ne pourront pas supporter un jour supplémentaire de diète », s’inquiète un maraîcher qui ne peut plus utiliser un forage privé pour arroser ses jardins. Une entreprise qui fabrique du béton en utilisant également de l’eau de forage a dû cesser provisoirement son activité. Les policiers municipaux sillonnent ces quartiers ruraux où l’eau est interdite à la consommation et à l’irrigation. Ils distribuent des packs d’eau minérale achetés par palettes entières par la mairie. « On ne sait pas qui va payer, dans l’immédiat on gère la crise ; pour la facture on verra plus tard », dit M. Lambertin, qui observe que « pour le moment, ce sont les élus qui assurent ».
Le maire de Lapalud estime que les autorités ont « trop attendu » pour informer les élus. Ils ont été prévenus le mardi à 13h30, alors que l’incident s’était produit la veille. « La question qui se pose, c’est la rapidité d’information et de réaction », a admis Jean-Louis Borloo, ministre de l’écologie, jeudi 10 juillet sur Europe 1. Le ministre a indiqué vouloir s’appuyer sur le rapport issu d’une inspection sur place menée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le même jour.
Les inspecteurs de l’ASN avaient déjà eu l’occasion d’épingler la Socatri pour « fuites et écarts répétés » et réclamé une « surveillance renforcée » des installations. Ils ont reconstitué l’origine de l’accident : une vanne mal fermée a causé le débordement d’une cuve, tandis que le bassin de rétention censé prévenir la fuite avait été endommagé lors d’un chantier.
La chronologie présentée par l’ASN est la suivante : à 19 heures lundi, une alarme se déclenche, mais l’exploitant part sur une « fausse piste ». A 22 heures, un opérateur repère du liquide sous une cuve. A 23 heures, une ronde met en lumière un écoulement. Vers 4 heures le lendemain, la Socatri réalise que du liquide est passé dans le canal des eaux pluviales. A 5h30, le plan d’urgence interne est déclenché. A 7h30, l’antenne lyonnaise de l’ASN est alertée et prend contact avec les préfectures et les procureurs.
Au-delà, le déroulement des opérations est plus flou. « C’est en principe à l’opérateur de prévenir les élus locaux, en lien avec la préfecture », fait valoir Philippe Ledenvic, délégué de Lyon de l’ASN, mise en accusation par des associations écologistes. « Il y a eu du flottement, juge pour sa part M. Lambertin. On nous dit que ce n’est pas grave puisqu’il n’y a pas de conséquence sanitaire, mais si l’accident avait été très grave, serait-on allé plus vite ? »
Gérard Méjean (correspondant à Valence) et Hervé Morin
* LE MONDE | 11.07.08 | 11h36 • Mis à jour le 11.07.08 | 12h01.
La Criirad dénonce « une série de dysfonctionnements » sur le site nucléaire du Tricastin
Bruno Chareyron est responsable de laboratoire à la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). Selon lui, l’incident survenu, dans la nuit du 7 au 8 juillet, sur le site nucléaire du Tricastin, dans le Vaucluse, n’a « rien d’une catastrophe nucléaire » mais ne doit pas, pour autant, être minimisé. Il révèle toute une suite de dysfonctionnements dans la sécurité du site, des dysfonctionnements que la Criirad signalait depuis plusieurs années.
M. Chareyron estime que la préfecture a pris les mesures de sécurité nécessaire, mais insiste sur l’importance de l’incident et ses éventuels conséquences environnementales. La concentration en uranium des rejets est importante, d’autant plus que la diffusion s’est faite dans le sol ou dans des petits ruisseaux, soit des milieux à faible dilution.
Pour la Criirad, la communication sur cet incident, comme sur la plupart des incidents de ce type, a trop tendance à minimiser l’importance des risques nucléaires : « Areva insiste sur le fait que c’est l’uranium naturel, il n’en est pas moins radioactif et toxique. »
Propos recueillis par Thibaud Vuitton
* LEMONDE.FR | 09.07.08 | 15h20.
Les autorités nucléaires se veulent rassurantes face au rejet d’uranium sur le site de Tricastin
Quelque 360 kg d’uranium se sont déversés dans l’environnement du site nucléaire du Tricastin, sur la commune de Bollène (Vaucluse), dans la nuit du 7 au 8 juillet. L’accident est survenu dans une installation de la société Socatri, filiale d’Areva, qui assure la décontamination de matériels et la récupération de l’uranium traité par l’usine d’enrichissement d’Eurodif, installée sur le même site. Les circonstances du déversement accidentel de 30 m3 de solution contenant 12 grammes d’uranium par litre restent encore à élucider.
Les préfets du Vaucluse et de la Drôme ont interdit, jusqu’à nouvel ordre, la consommation d’eau potable issue de captages privés sur trois communes, mais aussi la baignade et la pêche dans les cours et plans d’eau avoisinants. L’irrigation agricole est stoppée. Les effluents radioactifs se sont en effet infiltrés pour partie dans le sol à l’intérieur même de l’établissement. Mais une quantité mal évaluée a rejoint par le réseau des eaux pluviales les rivières de la Gaffière, puis du Lauzon qui se déverse dans le Rhône. La société Socatri, qui a immédiatement effectué des mesures, « a constaté un dépassement de la valeur préconisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les eaux destinées à la consommation humaine d’un facteur 1000 pendant une courte période correspondant au passage du pic de pollution », indique l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Chargé de l’expertise en cas d’accident, cet organisme estime cependant que les « conséquences radiologiques pour les populations devraient être négligeables ».
100 FOIS LE REJET ANNUEL
« Dans la mesure où les gens ne consomment pas l’eau de la nappe phréatique, les risques de contamination sont inexistants », estime Thierry Charles, directeur de la sûreté des usines à l’IRSN. Un plan de surveillance sur 12 points de prélèvement d’eau va être mis en place pour vérifier l’évolution des teneurs dans les semaines et les mois à venir. Ces analyses permettront de déterminer à quelle échéance les mesures de restrictions pourront être levées. Elles pourraient l’être à plus faible délai dans les cours d’eau, qui assurent une dilution plus rapide, « lorsque nous serons assurés que l’uranium ne s’est pas fixé sur les sédiments », précise Charles-Antoine Louet, chef de division de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à Lyon.
Si les autorités se veulent rassurantes, les associations de défense de l’environnement s’inquiètent de l’ampleur de la pollution. Sortir du nucléaire évoque le risque de cancer lié aux contaminations de ce type. Bruno Chareyron, responsable du laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), note que « la radioactivité contenue dans ce rejet a été plus de 100 fois supérieure à la limite annuelle fixée pour cet établissement ». Il ne veut pas encore se prononcer sur l’impact environnemental et sanitaire de l’accident, « attendant plus de données pour l’évaluer ». Il y a quelques jours, la Criirad s’était inquiétée de l’entreposage sous un tumulus de terre de 770tonnes de déchets radioactifs d’origine militaire au Tricastin. « Cela fait beaucoup pour un site qui est la deuxième plate-forme nucléaire française, après La Hague », note-t-il.
Hervé Morin
* LE MONDE | 09.07.08 | 05h46 • Mis à jour le 09.07.08 | 17h44.