Il faut bien le dire, le palais des Congrès, vaste bloc d’acier, de verre et de béton, au demeurant ne manquant pas d’allure, est inaccessible. Même lorsqu’on est accrédité, on est passés aux rayons X, on n’a droit qu’à certaines entrées, notre sac est ouvert, et les vigiles vont pousser l’attention jusqu’à respirer notre eau en bouteille (Hongkong est une ville fascinante où se déplacer à pieds est quasi impossible, où la propreté des rues est assurée par des armées de balayeurs et le bon ordre par des milliers de policiers omniprésents, où la population s’entasse, où le bonheur est de consommer, consommation soutenue par une publicité omniprésente de néons, de sons, de clignotements, et où l’eau n’est pas potable). Ce qui, donc, n’empêche pas les vigiles de la respirer, si par hasard nous voudrions jeter là un coquetèle Molotov. Et les déplacements à l’intérieur de l’enceinte sont étroitement contrôlés, les délégués sont inatteignables, l’assistance à certains briefing est limitée, drastiquement, bref, une belle maison opaque qui joue la transparence.
Dans ce contexte, un événement franco-français, en apparence, a été répercuté partout, y compris dans les médias locaux (qui d’ailleurs font un peu mieux leur travail que d’autres, notamment français) : José Bové a été bloqué 6 heures à l’aéroport. Téléphonant à sa compagne pour lui annoncer qu’il n’allait pas rester en Chine autant que prévu, elle lui a indiqué qu’à la même minute, Pascal Lamy, DG de l’OMC, passait sur France-Inter. Il a téléphoné dare-dare à la station et après avoir montré patte blanche en donnant au standard des détails personnels, il a interpellé Pascal Lamy en direct sur le thème de la démocratie dans l’OMC. Quelques heures plus tard, le Consul général lui-même venait le chercher. José a pu se répandre sur les médias, l’air malicieux, que les libéraux au pouvoir se trahissent par certains actes.
Mais la séance d’ouverture a surtout été perturbée de deux façons. Comme à Cancun en 2003, quelques représentants d’ONG admis dans la salle, on pu brandir des panneaux « mieux vaut un mauvais accord que pas d’accord du tout ». Et une manifestation spectaculaire a eu lieu.
Rassemblant en grand nombre des paysans coréens, des paysans japonais, d’Amérique du sud et d’ailleurs, quelques étudiants, quelques occidentaux, la manifestation a eu un retentissement comme seuls savent donner les paysans asiatiques, et spécialement coréens : en même temps incroyablement disciplinés (ils se lèvent, brandissent le poing, chantent) et décidés, évoluant en groupes selon leur provenance, avec tous, une couleur reconnaissable, ils se servent des tambours, des cymbales, de leurs voix avec une force et dans un ensemble impressionnants. Percutant, c’est le cas de le dire. Et, dans ce havre de démocratie connue pour la flexibilité magnanime de sa police à côtés de laquelle les élucubrations sarkosiennes font office de poésie d’adolescent boutonneux, il n’est évidemment pas que les allées et venues des congressistes qui soient contrôlées, celles des manifestants sont lourdement encadrées. Le tracé des manifestations évite le blockhaus des congrès d’assez loin, et au plus, s’approche de lui que de vue. Aujourd’hui, la manifestation était prévue pour arriver que la rive proche du Palais. Hongkong est au bord de la mer, une succession d’îles. A quelques encablures du Palais, certains coréens, arrivés au bout de la manif autorisée, se sont dévêtus, se sont recouverts de gilets de sauvetage oranges, et ont plongés à l’eau, dans l’idée impossible de franchir à la nage des trois ou quatre kilomètres interdits. Devant les caméras du monde entier...
La police, dans un soucis louable de désescalade, a indiqué n’avoir pas tenté de réprimer les gens repêchés. Ce geste symbolique montre assez la distance que tentent de mettre l’OMC et les populations frappées par ses décisions injustes. Il montre aussi la complémentarité entre l’action à l’intérieur de l’OMC et l’extérieur, celle de l’extérieur revêtant une importance cruciale dans la prise de conscience générale de ce que nous dénonçons.