La libération d’Ingrid Betancourt et de quatorze otages (dont les trois mercenaires américains) est une grande réussite pour le président de la République colombien, Alvaro Uribe. L’opération a eu un effet dévastateur chez les Farc, qui perdent leur principal instrument de négociation. Celles-ci ont développé, ces dernières années, une stratégie fondée, d’une part, sur le combat de petites unités retranchées dans les montagnes et des localités rurales éloignées et, d’autre part, l’utilisation de l’enlèvement politique comme arme de pression. Même si elles demeurent militairement actives dans certains départements, leur capacité de résistance est aujourd’hui compromise (les communications entre les commandants et les fronts sont pratiquement rompues) et leur défaite apparaît irréversible.
Ayant échoué à prendre pied dans les grandes villes, les Farc se sont de plus en plus éloignées des luttes et revendications populaires, et elles ont progressivement perdu tout crédit dans la majorité de la population. La guérilla n’a même pas su obtenir l’adhésion des couches les plus exploitées comme, par exemple, les jeunes radicalisés des quartiers les plus pauvres des grandes villes. À cet isolement social et à ce que Fidel Castro a appelé leur « sectarisme hermétique », s’ajoutent leurs liens assumés avec les mafias régionales de narcotrafiquants. Tout cela a fini par accélérer leur décomposition.
Grâce au soutien des États-Unis, matérialisé par les énormes appuis financiers et militaires du plan Colombie (6 millions de dollars, armes, avions, système d’espionnage de haute technologie, bataillons spéciaux antiguérilla, mercenaires américains et israéliens), Uribe et les classes dominantes colombiennes se rapprochent d’un de leurs principaux objectifs, la destruction de la principale force insurrectionnelle armée.
L’oligarchie et son État, l’impérialisme et les multinationales mènent une offensive politique, économique et militaire contre le peuple travailleur, offensive à laquelle doivent faire face les syndicats, le mouvement paysan et indigène, les communautés noires, les étudiants, les organisations de droits de l’Homme et de femmes. La majorité des victimes du terrorisme d’État et des massacres des paramilitaires sont les acteurs des luttes, les militants des mouvements populaires et des partis de gauche légalisés. Le bilan des dix dernières années est terrifiant : 15 000 disparus, des assassinats (2 500 syndicalistes, 1 700 indigènes et 5 000 militants de gauche), plus de 3 500 massacres commis par les paramilitaires.
Cette extermination planifiée par l’État a permis de concentrer 10 millions d’hectares de terres aux mains des latifundistes et des « seigneurs de guerre » narco-paramilitaires. La mise en place d’un modèle de monoculture a conduit au déplacement de 4 millions de personnes, détruisant non seulement la biodiversité, mais aussi des projets communautaires et des organisations sociales de descendants d’Africains et d’indigènes. Les syndicalistes sont pourchassés et assassinés par les forces de sécurité de l’État, les paramilitaires et des tueurs à gages payés par les patrons locaux ou les multinationales. La « sécurité démocratique » d’Uribe, qui n’a d’égal que ce qui a été fait au Guatemala durant les années 1970 et 1980, commence à être prise pour modèle au niveau continental.
Uribe a reçu des félicitations de Bush et de Sarkozy. Mais aussi du camp « progressiste ». La condamnation de la lutte armée par Chávez et Correa conforte politiquement et judiciairement la criminalisation de la révolte sociale, et elle vise tous ceux qui se rebellent avec des « moyens révolutionnaires » dans les entreprises, la campagne, les universités ou les favelas. L’appropriation des biens communs par l’oligarchie continue. Pendant ce temps, l’impérialisme américain recompose sa stratégie, déployant sa IVe Flotte dans les eaux d’Amérique latine et des Caraïbes.