Cette phrase du caricaturiste de Charlie Hebdo est-t-elle condamnable, en droit ?
Christophe Bigot. « On plaiderait sur cette expression de Siné, je pense qu’elle ne serait pas condamnée. Pour qu’elle le soit, il faudrait une assimilation claire entre le judaïsme et le fait d’être avide d’argent. Il faudrait en effet prêter un trait de caractère, attentatoire à l’honneur, à une communauté de personnes en raison de sa religion, ou de son origine. Ici, seule la religion est concernée. Laurent Joffrin utilise un mot impropre lorsqu’il parle de « race », c’est bien de religion dont il s’agit.
Cette lecture est, en l’espèce, très contestable. Lorsque je lis : « Jean Sarkozy vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée juive, et héritière des fondateurs Darty. Il fera du chemin dans la vie ce petit », je comprends que ce dernier est prêt à tout pour faire du chemin, y compris changer de religion. Qu’il s’agisse du judaïsme, du bouddhisme ou du catholicisme, peu importe.
Philippe Val va-t-il trop loin en licenciant Siné ?
Philippe Val voit de l’antisémitisme subliminal. Cette phrase de Siné n’induit absolument pas ce cliché des juifs qui seraient « prêts à tout ». C’est une interprétation très extensive de l’antisémitisme, qui n’est pas en principe celle de la loi. Et c’est dangereux. Il faut faire attention avec cette infraction d’injure à raison de la religion. A force d’en voir partout, on ne pourra plus parler de religion du tout. Il faut laisser la place à une certaine critique et ne pas faire une interprétation extensive de la loi, surtout pour Charlie Hebdo qui se prévaut de brocarder la religion. Pour moi c’est une forme de terrorisme intellectuel que de considérer ce message comme faisant l’analogie entre judaïsme et goût de l’argent.
Contrairement à l’affaire des caricatures, Charlie Hebdo choisit cette fois-ci le parti des religions…
J’ai déjà été opposé à Charlie Hebdo dans l’affaire des caricatures, où je plaidais pour la Grande Mosquée, en première instance. Philippe Val possède un épiderme à géométrie variable. Cela ne lui posait en effet aucun problème de faire le parallèle entre Mahomet et les poseurs de bombes. Et d’assimiler, par là-même, les musulmans aux terroristes. Bien que le journal s’en défende, on ne traite pas les religions de la même manière à Charlie Hebdo. Cette affaire montre de manière éclatante que les appréciations sont très différentes selon qu’il s’agisse du judaïsme ou de l’islam.
Charlie Hebdo est-il un objet journalistique particulier, qui peut aller plus loin que les autres ?
Charlie non. La caricature, très présente dans cet hebdo, oui. Cette dernière dispose en effet d’un statut particulier, avec une liberté beaucoup plus large. Lorsque l’intention du dessinateur est de faire rire, cela va anéantir l’intention raciste, qui peut être présente. Cela s’est produit de nombreuses fois, pour des caricatures sur des catholiques ou des musulmans.
Lors du procès des caricatures, le jugement du tribunal de première instance a reconnu que ces dessins faisaient le lien entre la religion musulmane et le terrorisme. Ils étaient donc injurieux, mais dans le cadre de Charlie Hebdo et avec l’intention humoristique, le journal a été relaxé. La Cour d’appel a finalement modifié ce jugement, en affirmant que ces caricatures visaient seulement les intégristes. Dieudonné s’est fait relaxer sur ce moyen plusieurs fois, la cour considérant qu’il visait uniquement les intégristes juifs.
Mais dans l’affaire Siné, il n’y a pas d’outrage ou d’injure envers un groupe religieux dans son entier, la volonté de Val est d’aller au-delà de la loi. »