« Vivant, il ne nous aurait jamais quittés. » C’est par ces mots qu’un collectif de réfugiés italiens en France a annoncé le décès de l’avocat parisien Jean-Jacques de Felice, dans la nuit du 26 au 27 juillet, à l’âge de 80 ans.
Militant des droits de l’homme - il fut vice-président de la Ligue des droits de l’homme (LDH) de 1983 à 1986 -, Jean-Jacques de Felice a été jusqu’au bout de ses forces l’un des avocats de Marina Petrella, ancienne membre des Brigades rouges aujourd’hui menacée d’extradition vers l’Italie, après avoir été celui de Cesare Battisti et de plusieurs anciens activistes italiens.
Né le 15 mai 1928, il était le fils de Pierre de Felice, avocat lui-même et ancien secrétaire d’Etat sous la IVe République. Protestant, ex-responsable de mouvements éclaireurs unionistes, il s’était d’abord spécialisé dans la défense des mineurs, dont les enfants algériens des bidonvilles de Nanterre, avant de s’engager à la fin des années 1950 aux côtés des militants du FLN et des objecteurs de conscience.
Il travaille ensuite avec le Groupement d’information et de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti) et la Cimade. On le retrouve aussi partageant le combat de l’abbé Pierre en faveur des mal logés, mais aussi aux côtés des paysans du Larzac, des Kanak de Nouvelle-Calédonie ou des sans-papiers.
Parallèlement à ces engagements politiques, Jean-Jacques de Felice poursuit une carrière d’avocat pénaliste. L’un de ses clients s’appelle Lucien Léger, condamné en 1966 à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre d’un enfant de 11 ans, Luc Taron.
Jean-Jacques de Felice se bat afin d’obtenir la remise en liberté de celui qui est devenu le plus ancien détenu de France. Elle interviendra finalement, après quarante et un ans de détention, en octobre 2005. « Il y a une durée de détention au-delà de laquelle la justice se mue en vengeance », disait-il. Lucien Léger a été retrouvé mort le 18 juillet à son domicile de Laon.
Dans l’hommage qu’elle rend à Jean-Jacques de Felice, la LDH évoque celui qui « a porté la faculté d’entendre, de comprendre et d’aimer à un degré rarement atteint ». « Chaque homme, chaque femme était à ses yeux revêtu de la même humanité et méritait le même respect », écrit-elle dans un communiqué. « A chaque fois, les magistrats et les avocats ont été et restent, me semble-t-il, du côté de l’ordre établi et contre toute contestation qui crée finalement le droit des périodes à venir », déplorait-il. Jean-Jacques de Felice a consacré sa vie à prouver qu’il existait des exceptions.
Pascal Robert-Diard
DATES-CLÉS
15 mai 1928
Naissance.
1966
Avocat de Lucien Léger.
1983
Vice-président de la Ligue des droits de l’homme.
26-27 juillet 2008
Mort à Paris.
* Article paru dans le Monde, édition du 31.07.08.
LE MONDE | 30.07.08 | 15h05 • Mis à jour le 30.07.08 | 15h54
Jean-Jacques de Felice fût bien plus qu’un militant
COMMUNIQUÉ LDH
Paris, le 28 juillet 2008
En perdant Jean-Jacques de Felice, la LDH perd bien plus qu’un de ses
anciens vice-présidents et membre du Comité central. Jean-Jacques de
Felice a participé à tous les combats de la LDH : depuis la guerre
d’Algérie où il défendit les militants du FLN, à la défense des réfugiés
italiens et encore ces derniers mois de Marina Petrella, il n’est pas
possible de citer l’infinité diversité des combats pour les droits de
l’Homme et la dignité de chacun auxquels Jean-Jacques de Felice a pris
part.
Avocat, il avait fait de son métier le moyen de cette lutte
permanente en faveur des plus faibles, qu’ils soient paysans du Larzac
en lutte contre l’extension du camp militaire, Kanaks ou Tahitiens, mal
logés aux côtés de l’abbé Pierre, étrangers en péril, ou tout simplement
hommes et femmes broyés par la machine judiciaire. Profondément
convaincu que le refus de la violence était la seule voie éthiquement
possible et politiquement utile, Jean-Jacques de Felice avait obtenu le
statut d’objecteur de conscience à un moment où ceux-ci, qu’il défendit
à de nombreuses reprises, faisaient l’objet de poursuites judiciaires
quasi systématiques.
Puisant dans le protestantisme son ouverture aux
autres, Jean-Jacques de Felice fût bien plus qu’un militant. Cet homme a
porté la faculté d’entendre, de comprendre et d’aimer à un degré
rarement atteint. Chaque homme, chaque femme était à ses yeux revêtu de
la même humanité et méritait le même respect, et chacun le ressentait
ainsi tout simplement parce que c’était vrai. Jean-Jacques de Felice est
de ces hommes dont le souvenir ne s’efface pas parce que ses actes
demeurent comme autant de moments de la conscience humaine.
L’hommage
que la LDH lui rend est d’autant plus fort et affectueux que nous savons
ce que nous lui devons. A sa femme, à ses enfants et à sa famille, nous
présentons nos condoléances et nous leur disons toute notre sympathie.
Solidaires salue la mémoire de Jean-Jacques de Felice
UNION SYNDICALE SOLIDAIRES
COMMUNIQUE
30 juillet 2008
L’Union syndicale Solidaires a appris avec une grande tristesse le décès, ce week-end, de Maître Jean-Jacques de Felice.
Il a mis son métier d’avocat au service de tous ceux et celles qui par leur combat, leur engagement social, syndical ou politique, se retrouvaient poursuivis, emprisonnés, condamnés.
Tout au long de sa vie, il a pris part à la défense de nombreuses causes, même quand celles-ci étaient isolées. Il était animé d’une volonté inébranlable de s’attaquer à toutes les injustices, à tout ce qui mettait en cause la dignité humaine.
L’Union syndicale Solidaires s’est retrouvée dans de nombreux combats à ses côtés. Nous avons pu apprécié sa grande humanité.
Jean-Jacques de Felice manquera aux mouvements sociaux, à tous ceux et celles qui s’engagent pour un monde plus juste.
L’Union syndicale présente toutes ses condoléances et sa sympathie à sa famille, à ses amis et à la LDH dont il était un grand militant.
Hommage à M° De Felice
Communiqué LCR
La LCR tient à saluer la mémoire de Jean-Jacques De Felice qui fut, durant toute sa vie, l’avocat militant de toutes les grands combats d’émancipation : Algérie, Kanaky, droits des immigrés, etc... Nous n’oublierons jamais son dévouement,sa gentillesse et son humilité.
Montreuil, le 28 juillet 2008
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Jean-Jacques de Felice
Au moment de boucler ce numéro, nous apprenions la disparition de Jean-Jacques de Felice, [qui fut] l’un des vice-présidents de la Ligue des droits de l’Homme, à l’âge de 80 ans.
Depuis que ce militant des causes anticoloniales, défenseur passionné des libertés et avocat au professionnalisme intransigeant, s’était engagé dans la défense des Algériens du FLN, nous n’avions cessé d’agir de concert. Pour les paysans du Larzac ou pour les militants d’une Kanaky indépendante, pour les mal-logés ou les réfugiés italiens, pour les objecteurs de conscience comme pour les sans-papiers ou, plus généralement, pour les victimes de l’arbitraire ou du racisme… Dans les prétoires autant d’ailleurs que dans la rue…
Nous n’oublierons ni cette silhouette reconnaissable entre toutes dans les manifestations, ni cette profonde humanité qui nous faisait systématiquement nous retrouver dans les batailles les plus difficiles, ni cette conscience aiguë que le combat pour les droits et la dignité ne souffre aucune tergiversation, aucune compromission avec la raison d’État. À la famille de Jean-Jacques, à ses proches, à ses amis de la LDH, nous voulons exprimer notre profonde sympathie.
Christian Picquet
* Paru dans Rouge n° 2263, 31/07/2008 (Au jour le jour).