« Vous êtes fous les Italiens », c’est ce que disent beaucoup d’Européens après la réélection de Berlusconi...
Malheureusement nous ne sommes pas fous. Il y a par contre assez d’Italiens droitiers maintenant. Ce qui est évident c’est que les élections d’avril signifient une victoire nette de la droite au niveau politique, culturel et social. Tout le monde nous demande : « Qu’est-ce qui se passe en Italie ? Vous êtes fous ! Encore une fois avec Berlusconi ! », mais quand la gauche ne représente pas vraiment une alternative, quand on voit qu’après deux ans de gouvernement de centre gauche, aucun des besoins sociaux dans la société, aucune des revendications des travailleurs, des jeunes, des précaires n’a été satisfait, c’est la droite qui gagne. Si la gauche n’est pas à gauche, c’est la droite qui gagne. Ce n’est pas nouveau.
Concrètement, qu’a fait la gauche de Prodi ces deux dernières années, avec Rifundazione Comunista et vous dans le gouvernement ?
Après cinq ans de gouvernement de droite, il y a deux ans, aux élections, le centre gauche s’est présenté en coalition. Cette coalition comprenait le centre modéré de la démocratie chrétienne – dont Prodi est l’expression politique – et les forces de la gauche soit-disant alternative et radicale. Rifundazione Comunista, dans lequel on militait, en faisait partie. Rifundazione Comunista a été pendant 15 ans un point de référence important pour donner de l’espoir aux mouvements sociaux, aux luttes et pour envisager une force anticapitaliste, communiste, nouvelle etc... Mais l’expérience concrète de deux ans de gouvernement a montré que la politique sociale et économique n’était pas différente de celle des 15 années précédentes où on a du subir le néolibéralisme. Le gouvernement Prodi a confirmé la « loi du travail », décidée par le gouvernement de droite précédent. Ce qui veut dire la précarité totale et la satisfaction de toutes les demandes du patronat. Ensuite, les deux lois sur le budget du gouvernement Prodi ont donné beaucoup d’argent aux entreprises en terme de réduction d’impôts : 5 milliards d’euro par an comme cadeau aux entreprises, tandis que les salaires n’augmentent pas. Les métallos ont dû faire un an et demi de grève pour obtenir une augmentation de 30 euros par mois, tout en sachant que 20% de la population travaille pour moins de 1200 euros par mois et que 10% de la population travaille en dessous du seuil de pauvreté. En ce qui concerne la politique étrangère, les troupes italiennes ont été retirées d’Irak, mais elles ont été déplacées au Liban, soumises comme en Irak aux diktats des Américains.
Alors c’est la faute du sénateur trotskyste si Berlusconi est de nouveau chef du gouvernement en Italie ?
Non, ce n’est pas ça qui s’est passé. On était contre la participation de Rifondazione Comunista au gouvernement qu’on considérait comme un gouvernement bourgeois. Donc on a mené une bataille dans le parti et avec notre sénateur au sénat et notre député dans l’assemblée nationale contre toutes les lois qu’on considérait comme une trahison face au programme historique de Rifondazione Comunista. On a mené une bataille pendant un an en essayant de convaincre l’ensemble de Rifondazione Comunista que leur ligne politique était suicidaire, que la gauche allait assumer des responsabilités qui allaient à contre-courant des espoirs sociaux suscités auparavant. Et que tout ça allait produire une défaite, une débâcle de la gauche, et c’est ce qui a été confirmé aux dernières élections.
Mais après un an et demi de batailles internes, on a constaté qu’il n’y avait pas d’espace pour le changement de ligne politique de la majorité de Rifundazione Comunista et donc notre sénateur, Franco Turigliatto, a décidé de voter contre la politique étrangère du gouvernement, notamment après une grande manifestation la veille à Vicenza dans une ville du nord où la population a continué à manifester contre la base militaire de l’OTAN. Cette base était en quelque sorte le symbole de la participation italienne aux guerres américaines. Franco a voté contre la politique étrangère du gouvernement, le gouvernement Prodi est tombé, parce que le gouvernement Prodi avait gagné les élections avec seulement deux voix de différence au sénat en 2006. En réalité, le gouvernement a continué à gouverner encore pendant un an, mais pour nous il y a eu une rupture à ce moment-là avec le parti Rifondazione. Franco a été expulsé du parti Rifondazione Comunista pour avoir voté contre la guerre. Il y a eu un grand mouvement de solidarité parmi des militants du parti, mais aussi parmi des militants des mouvements sociaux. Tous les courants de la gauche critique ont entamé durant un an un processus qui a mené à la séparation avec Rifondazione Comunista. Ce n’était pas vraiment une scission. On a constaté que notre projet politique divergeait du projet politique de Rifondazione Comunista.
Alors vous êtes sortis de Rifundazione Comunista et vous avez participé aux élections suivantes avec 0,5% de votes obtenus, tandis que Rifundazione Comunista a aussi énormément perdu. Est-ce qu’il n’y a plus de gauche en Italie ? Et, est-ce que maintenant, vous êtes tous déprimés ?
On n’est pas déprimé, on est préoccupé par la situation très difficile de la gauche italienne. Sinistra Critica (la Gauche Critique) est née comme organisation indépendante en décembre 2007 seulement et juste un mois après le gouvernement Prodi est tombé définitivement et on est allé vers des élections anticipées. On a beaucoup discuté dans la Gauche Critique s’il fallait se présenter aux élections ou pas, parce qu’on n’était pas vraiment en mesure de gérer cette échéance au niveau organisationnel. Mais on s’est dit : « Ces élections-là vont montrer la catastrophe de la gauche radicale qui a pris des responsabilités dans le gouvernement libéral et donc il faut y aller en sachant que notre résultat ne sera pas énorme, mais pour montrer que tout le monde ne se résigne pas et qu’il y a une alternative. »
Notre résultat est mince -0,5%- mais c’est presque 200.000 voix, ce n’est pas négligeable. Notre campagne a été très bien accueillie, on a une zone de sympathie importante et on a beaucoup recruté pendant la campagne électorale. Le centre gauche a globalement perdu les élections, la droite a largement gagné, la Ligue du Nord a augmenté avec 1 million de voix, notamment dans les couches populaires. Ca veut dire que s’il n’y a pas une gauche qui organise la lutte des classes, les couches populaires peuvent basculer à droite. Et la gauche du centre gauche, la gauche de la gauche, donc Rifondazione Comunista est sortie du parlement avec un résultat qui est un des pires de l’histoire républicaine avec seulement 3,2% des voix. Elle venait de 12% à 15% des voix aux élections précédentes ! Elle n’a donc même pas passé la barre et elle n’a pas d’élus dans les institutions. C’est un tsunami. Notre 0,5%, nous l’avons défini comme un « certificat d’assurance vie ». Nous sommes vivants et il y en a d’autres qui sont morts.
Quelle est l’importance pour vous de la rencontre de la gauche anticapitaliste européenne ? Et quel est votre rapport avec le Parti de la Gauche Européenne – qui regroupe les partis communistes traditionnels, NDE – ? Les deux sont-ils complémentaires ou concurrentiels ?
Ce qui est capital c’est d’agir politiquement et économiquement d’une façon coordonnée au niveau européen. Toutes les forces politiques de la droite, de la gauche modérée, du social-libéralisme agissent au niveau européen, donc ce qu’il faut, c’est construire une gauche anticapitaliste qui soit à la mesure d’agir au niveau européen. Pour nous c’est très utile de pouvoir dire que ce qui s’est passé avec Rifondazione Comunista n’est pas une fatalité, qu’il peut y avoir d’autres choix. Le choix de la LCR française est à l’opposé de celui du groupe dirigeant de Rifondazione Comunista et ça marche aussi au niveau électoral.
Les partis de la Gauche Européenne ne me semblent pas vraiment en bonne santé, parce que les promoteurs de ce processus, notamment les Italiens de Rifondazione Comunista ou les Français du PCF ne se portent pas très bien. Les Espagnols non plus d’ailleurs. Izquierda Unida vient presque de disparaitre au niveau électoral. Die Linke par contre est membre du Parti de la Gauche Européenne, alors qu’il y a aussi en son sein des courants révolutionnaires. Je pense qu’il y a une contradiction de fond dans Die Linke qui tôt ou tard va exploser. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être dans Die Linke – on a été dans Rifondazione Comunista pendant 15 ans – mais il faut savoir que les contradictions entre réformistes et non réformistes, entre anticapitalistes et non anticapitalistes vont exploser tôt ou tard, il faut être prêt à savoir ça et saisir l’occasion pour clarifier le débat.
Donc je pense que le processus de construction d’une gauche anticapitaliste ne doit pas avoir une attitude sectaire vis-à-vis du Parti de la Gauche Européenne, mais une attitude offensive et des clarifications du débat, notamment sur une participation à des gouvernements avec des forces de la bourgeoisie ou du social-libéralisme. On va discuter avec tout le monde, mais il faut savoir qu’il y a des clivages entre un processus qui se situe dans la dynamique d’une force anticapitaliste et un autre qui va être « satellisé » par le social libéralisme.
Pour en savoir plus, voir le site de Sinistra Critica
http://www.sinistracritica.org/