La reprise du travail à KP1-Bédarieux
Reprenant le travail le 19 juin pendant les négociations au siège de Pujaut (Gard), les 65 grévistes de Bédarieux appliquaient leur ligne : « OK ! On reprend, mais on repart en grève si les négociations sont un échec ». C’était un compromis entre les courants exprimés par les grévistes. « Vous participez, dit le Président de KP1 dans une lettre personnelle envoyée à chaque gréviste, à un mouvement social sur l’usine de Bédarieux. Ce mouvement, qui a débuté à Grigny, l’a été sans préavis et sans revendications ». Les grévistes savent ce qu’ils refusent et sont partis en grève dans la foulée de Grigny et pour extérioriser leur ras-le-bol avant tout : « Les salaires permettent juste de vivre trois semaines. La dernière semaine du mois est très difficile. On attend des propositions concrètes, et tant que cela ne sera pas fait, nous continuerons notre mouvement ». Il est rare que des grévistes n’expriment pas d’abord leurs revendications. Les salariés de la production étaient à bout.
Les ouvriers ont obtenu à l’issue de ces négociations 67 € bruts mensuels d’augmentation réelle, soit à peu près ce que la direction proposait au préalable, à quoi s’ajoutent quelques clopinettes. Les jours de grèves seront déduits pendant 7 mois et étalés pour tous, sauf à Grigny où ils seront retenus en bloc pour sanctionner le comportement trop combatif des 220 ouvriers de ce site !
Un patronat riche mais peureux
La pingrerie de la direction de KP1 s’illustre par les salaires et la gestion sociale de l’entreprise. La majorité des salariés de la production, même avec 25 ans d’ancienneté, est payée au Smic horaire brut (8,63 euros). A ce salaire de base « s’ajoutent » toutes sortes de primes tellement nombreuses que deux salariés de KP1 n’arrivaient pas facilement à en faire le tour. On note :
– Prime de rendement (injuste car le procédé KP1 ne tolère pas d’accélération au-delà d’un certain seuil. Le béton doit avoir le temps de durcir. L’augmentation du rendement fait inévitablement chuter la qualité du travail et les refus) ;
– Prime de coulage. (Pour ceux qui participent aux opérations de coulage de béton) ;
– Prime de qualité (entre en conflit avec la prime de rendement) ;
– Prime de présence (aucune prime ne réduira les maladies et les douleurs liées au travail. Incite les ouvriers à travailler quand ils sont malades !) ;
– Prime de banc (c’est une forme de rendement selon le poste où vous travaillez) ;
– Prime de sécurité (la plus perverse. Vous la touchez si vous n’avez pas d’accidents, alors que ce devrait être l’inverse. Incite les ouvriers à ne pas se faire soigner pendant le travail et à ne pas déclarer une blessure dans l’entreprise ! La production comporte des risques incompressibles comme les dangereuses ruptures de câbles en prétention) ;
– Prime de chef d’équipe !
– Prime de panier (incite les ouvriers à casser la croûte sur place pour assurer la production en continu. C’est une cantine qu’il faudrait, avec repas équilibrés !).
– Prime de transport (vient d’être intégrée au salaire) ;
– Prime de croissance (incontrôlable sans l’ouverture des livres de compte).
Non content de pratiquer l’abattage avec ses ouvriers, KP1 comprime son capital tournant en augmentant les cadences, en réduisant le personnel. Il recourt aux primes- sanctions, avec des contradictions, comme un brave capitaliste du 19e siècle.
Cette division tatillonne des salaires est-elle une garantie de productivité ? Aucun ouvrier n’y croit et le rythme de la production reste dépendant, pour l’essentiel, de la technologie. De plus, comme pour les maçons de chantier, obligés de s’économiser, les travailleurs de KP1 adoptent un rythme de travail supportable, sans lequel ils devraient partir, épuisés ! On comprend pourquoi, à plusieurs reprises, j’ai entendu les ouvriers traiter leur direction de « négriers ». Mauvaise augure pour une entreprise top-modèle !
Une entreprise sous brevet
Pourquoi Sarkozy a-t-il visité le site de Grigny le 6 mai 2008 ? KP1 est emblématique du capitalisme décomplexé et conquérant comme Sarko l’aime, lui qui a crié à Pujaut son fameux : « Il faut laissez les gens bosser ! ». Au milieu du 20e siècle, le marché du plancher béton, en plein boum de la reconstruction, se partageait en France entre plus de 100 marques. L’invention des poutrelles en béton précontraint, supprimant les coffrages, accélérant les chantiers parce que fonctionnelles dès la pose, plus légères et donc transportables plus loin à moindre coût, fut un progrès considérable, technologique et financier pour les chantiers de BTP. Les nombreux sites KP1 en France sont à l’avant-garde de cette aventure depuis le lancement des poutres précontraintes en 1959, justement sur le site de Pujaut. Dans plusieurs régions, KP1 est en position de monopole et impose ses prix, c’est-à-dire réalise des super-profits. Avec cette percée technologique protégée par des brevets, KP1 a laminé la concurrence et vend 1/3 des planchers des maisons individuelles et 15 % des planchers des logements collectifs et de bâtiments non résidentiels en France.
Fort de ces progrès et de l’accumulation de son capital, KP1 diversifie son catalogue avec de nouvelles technologies comme les « prémurs », un procédé de mur à coffrage intégré augmentant la rapidité d’exécution en supprimant les appareillages de briques et parpaings, et même les enduits ! Ces progrès vont dans le sens d’une plus grande industrialisation du BTP.
Ces avancées de l’entreprise bénéficient de la « prime au premier installé ». La concurrence extérieure est pénalisée par le coût croissant des transports qui lui interdit de vendre au-delà d’une certaine distance, ce qui protège les sites de KP1 sur leur bassin ou territoire de marché. C’est pourquoi KP1 ne risque pas de se délocaliser. Mais KP1, riche entreprise d’avant-garde qui resserre les mailles de sa toile avec 32 usines en France et d’autres en perspective, paye ses ouvriers au rabais et les harcèle à coups de primes. Cette contradiction choquante va exacerber de nouvelles résistances.