Dix soldats français ont donc trouvé la mort, ce 17 août, en Afghanistan, au cours d’une embuscade tendue par les talibans… Quelques mois seulement après que Nicolas Sarkozy a décidé d’augmenter de 700 hommes le contingent tricolore dans ce pays, à la seule fin d’être agréable à l’administration Bush.
Au-delà des questions que soulève légitimement l’opération au cours de laquelle sont tombés dix jeunes hommes manifestement impréparés aux conditions d’une guerre qui ne dit pas son nom, il n’est pas inutile de faire le bilan de sept ans de présence étrangère dans cette partie du monde. Présentée au départ comme un acte de légitime défense répondant aux attentats du 11 Septembre, se prévalant de surcroît du renversement d’une odieuse dictature intégriste, l’occupation des forces coalisées de l’Otan n’a en rien amélioré le sort des populations afghanes.
Dans un pays dont 35 % des habitants souffrent de malnutrition et où 70 % d’entre eux vit avec moins d’un dollar par jour, les Occidentaux dépensent dix fois plus pour leurs actions militaires que pour l’aide aux civils. Elles défendent de surcroît un pouvoir corrompu, celui d’Hamid Karzaï, aux mains de chefs de guerre qui reproduisent à l’infini les fractures tribales ou ethniques et se trouvent notoirement impliqués dans la vente et le trafic de l’opium (le frère du chef de l’État en est, lui-même, l’un des plus gros trafiquants). Loin d’être, par conséquent, un appui à l’instauration d’une indépendance nationale, comme le prétendent mensongèrement Hervé Morin ou Bernard Kouchner, la soldatesque de l’Otan ne fait que préparer de nouvelles guerres civiles. Ces guerres qui déchirent l’Afghanistan depuis des lustres et faisaient dire à Marx (dès la fin du xixe siècle !), que cette entité était « un terme poétique pour désigner diverses tribus et États comme s’il s’agissait d’un pays réel ».
Ajoutons à ce tableau que les espoirs de liberté, un temps soulevés par la chute du pouvoir taliban, ont vite été déçus par la domination que se sont arrogée les factions claniques et religieuses au détriment des partis défendant une perspective démocratique, laïque et interethnique. Que l’état du pays est indissociable de la situation au Pakistan, où les États-Unis ont largement contribué à l’essor des écoles coraniques, à l’infiltration intégriste de l’appareil d’État et à l’apparition du phénomène taliban. Que l’oppression religieuse ne s’est qu’à peine relâchée, les femmes continuant par exemple à se voir emprisonnées pour « relations sexuelles illégales »… lorsqu’elles sont victimes de viols. Que les bombardements aériens de l’Otan font d’innombrables victimes civiles (le dernier en date, à la fin du mois d’août, a ainsi coûté la vie à 90 personnes, des femmes et des enfants en majorité). Et, non seulement il ne restera rien de l’image d’Épinal d’armées qui accompliraient une mission de justice, mais chacun se convaincra que plus l’occupation perdure, plus elle renforce les talibans.
Même en portant à 600 000 le nombre de leurs soldats (comme l’hypothèse en est parfois évoquée), les Occidentaux n’ont donc pas plus de chance de gagner cette guerre qu’en leur temps l’Empire britannique ou la bureaucratie d’URSS.
En réalité, ce conflit embourbé ne fait qu’obéir à la funeste logique du « choc des civilisations ». La tonalité du discours de Sarkozy devant les ambassadeurs français réunis à Paris, le 27 août, est, à cet égard, des plus révélateurs. Évoquant l’engagement français, il y expliquait : « Il y a un an, je vous disais ici même qu’un des principaux enjeux des années à venir serait d’éviter la confrontation entre l’islam et l’Occident. Une confrontation que veulent provoquer ces extrémistes qui rejettent toute ouverture, toute modernité, toute diversité. » Une guerre placée sous l’égide d’un conflit opposant « l’islam » et « l’Occident » ne peut être qu’injuste et inutile, impérialiste pour tout dire. Une raison d’exiger le retrait des forces françaises d’Afghanistan.