Plus de 3 000 maires d’une vingtaine de départements ont reçu, ces derniers jours, un dossier d’information adressé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Celle-ci a été chargée, début juin, par le ministre de l’écologie, Jean-Louis Borloo, de lancer un appel à candidatures. Il s’agit d’identifier des municipalités volontaires pour accueillir un centre de stockage de déchets radioactifs de faible activité à vie longue (FAVL). Cette installation, dont l’ouverture est l’un des objectifs fixés par la loi de juin 2006 sur la gestion des déchets radioactifs, devrait être mise en service en 2019. « Plusieurs élus se sont manifestés », indique-t-on à l’Andra.
La France dispose déjà de lieux de stockage pour ses déchets très faiblement radioactifs (Morvilliers, Aube) et de faible et moyenne activité à vie courte (Beaumont-Hague, Manche, et Soulaines, Aube). L’Andra prépare un stockage géologique des déchets de haute activité à vie longue - au-delà de trois cents ans - dans son laboratoire souterrain de Bure (Meuse). Les déchets FAVL représentent une situation intermédiaire : plus que l’intensité de leur radioactivité, c’est sa durée qui justifie un stockage spécifique.
La forme définitive de l’installation, qui devrait avoir une emprise en surface d’une centaine d’hectares, n’est pas encore validée. Mais elle devrait être souterraine, à une profondeur située entre 15 et 200 mètres, et creusée dans des formations géologiques censées garantir un confinement pendant des dizaines, voire des centaines de milliers d’années. L’Andra a présélectionné, avec l’aide du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), des zones de marnes et d’argiles qui courent sous une vingtaine de départements.
Les déchets FAVL sont de deux types, radifères ou « graphite ». Les premiers contiennent des isotopes du radium. Ils sont issus d’activités nucléaires (mines d’uranium) ou de l’extraction de terres rares. Les radifères, qui représenteront 70 000 m3 de colis à stocker, sont actuellement entreposés sur les sites du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et chez des producteurs industriels comme Rhodia et Cézus Chimie.
Les déchets de graphite proviennent, eux, des neuf réacteurs nucléaires de la filière dite uranium naturel-graphite-gaz (UNGG) qui ont fonctionné entre les années 1960 et 1990. Ces rebuts contiennent notamment du carbone 14, qui perd la moitié de sa radioactivité en 5 730 ans, et du chlore 26, dont la demi-vie est de 302 000 ans. Le volume des déchets graphite, une fois conditionnés, représentera 100 000 m3. Pourraient y être adjoints 50 000 m3 de déchets divers classés en FAVL.
Si l’échéance de 2019 paraît lointaine, le calendrier sera néanmoins serré : les collectivités locales intéressées ont jusqu’au 31 octobre pour se porter candidates. L’Andra espère procéder à une présélection des sites volontaires avant fin 2008, afin de mener des investigations complémentaires et de conduire des consultations publiques avant fin 2010. Les études et l’instruction du dossier se poursuivraient jusqu’en 2015, date à laquelle les travaux commenceraient. L’Andra est cependant bien placée pour savoir que ces dates butoirs peuvent glisser considérablement, en raison d’aléas techniques. Mais aussi sous la pression des opposants au nucléaire, qui sont parvenus par le passé à stopper des prospections et à ralentir des projets.
Dans l’éditorial du dossier adressé aux élus, le député UMP François-Michel Gonnot (Oise) et Marie-Claude Dupuis, respectivement président et directrice générale de l’Andra, soulignent que « ce projet constitue une véritable opportunité de développement économique ». Au chapitre 1, intitulé « une opportunité à saisir pour dynamiser votre territoire », le dossier détaille l’ampleur du projet : 200 à 350 millions d’euros de coût de construction ; 10 à 30 millions d’euros annuels d’exploitation pendant vingt ans ; 100 emplois en phase de construction, 50 en phase d’exploitation (jusque vers 2040), 5 en phase de surveillance. Dans sa lettre de mission, Jean-Louis Borloo souhaitait que l’Andra veille à ce que le stockage « se traduise par un développement harmonieux du territoire d’accueil ».
Pour le réseau Sortir du nucléaire, le projet de développement proposé aux collectivités territoriales s’apparente à de la « corruption légale ». « Nous refusons tout projet, a fortiori d’enfouissement, car c’est un cadeau empoisonné pour les générations futures, estime son porte-parole, Stéphane Lhomme, avant d’ajouter : nous discuterons des options une fois qu’on aura décidé de la sortie du nucléaire. »
Au contraire, dans un témoignage figurant dans le dossier de l’Andra, Jacky Bonnemains, président de l’association écologiste Robin des bois recommande « sous réserve de conformité géologique » le stockage ultime des déchets FAVL. « Il s’agit d’une question vitale, note-t-il, en attente d’une réponse depuis cent ans » pour les plus anciens de ces déchets.