La guerre menée en Afghanistan pousse-t-elle l’armée américaine à violer la souveraineté territoriale de son allié contre le terrorisme, le Pakistan, pays frontalier où se réfugient les talibans ? La question fait débat et l’alliance scellée, après les attentats du 11-Septembre, entre ces deux nations s’en ressent. Les incursions américaines venant d’Afghanistan, et leurs dommages collatéraux sur le sol pakistanais, ont conduit, le 4 septembre, pour la première fois, Islamabad à accuser « les forces internationales d’avoir violé la souveraineté de son pays ».
Le grief vise, en réalité, les seuls Etats-Unis, en charge de la région Est de l’Afghanistan, frontalière avec le Pakistan. Le 6 septembre, la Maison Blanche s’est défendue en niant « toute violation de la souveraineté territoriale du Pakistan ».
Cette divergence souligne les contradictions entre le mandat de l’intervention de l’OTAN en Afghanistan et la nécessité de s’adapter à une guerre qui déborde sur le sol pakistanais, dans les zones tribales, transformées en refuge pour talibans.
« Le mandat de la force internationale est très clair, explique le lieutenant Goetz Haffke, au quartier général de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), à Kaboul, nos troupes opèrent dans les seules frontières de l’Afghanistan. » La FIAS agit dans le cadre d’une résolution de l’ONU qui n’accorde « aucun droit de poursuite », dit-on au siège.
Néanmoins, il a été convenu avec le Pakistan, précise-t-on à la FIAS, que les soldats de la coalition pouvaient, « au titre de légitime défense » et lorsque la menace « est réelle et imminente », répondre aux attaques venant des zones tribales. « On peut intervenir jusqu’à un ou deux kilomètres sur le sol pakistanais, a expliqué au Monde un officier américain, en poste à la frontière, si on se fait tirer dessus ou si on reçoit des missiles. »
D’autres troupes américaines, agissant dans le cadre de l’opération « Liberté immuable », ne rendent compte qu’à Washington et s’affranchissent de ces règles. Selon plusieurs sources, à l’OTAN, elles mènent des missions clandestines contre les repères des insurgés dans les zones tribales pakistanaises, elles guident les frappes aériennes contre des camps d’entraînement. Des accords entre l’armée américaine et le Pakistan, noués lorsque Pervez Musharraf présidait le pays, ont autorisé le recours à ces frappes de drones Predator, avions sans pilote, dans les zones tribales. Les autorités d’Islamabad se refusaient néanmoins à confirmer ces accords de peur de renforcer un sentiment antiaméricain vivace.
Le changement de majorité parlementaire au Pakistan, en février, la démission de M. Musharraf mi-août et l’intensification des frappes dans les zones tribales ont conduit les nouvelles autorités pakistanaises à durcir le ton face aux libertés prises par les Etats-Unis sur leur sol.
Le 12 juin, après un accrochage à la frontière entre la province afghane de Kunar et le district de Bajaur, dans la zone tribale, un missile a tué onze gardes frontières pakistanais. L’état-major pakistanais a alors coupé tout contact avec ses interlocuteurs américains pendant plusieurs jours. Les Etats-Unis se sont excusés mais en privé, la hiérarchie militaire américaine confiait que ces gardes frontières sous-payés et favorables aux talibans joignent leurs tirs aux insurgés et leur offrent de l’eau quand ils reviennent d’opération sur le sol afghan.
Lorsqu’il est arrivé, le 28 juillet, à Washington, le premier ministre pakistanais, Yousouf Gilani, a eu, pour sa part, la surprise d’apprendre, par ses hôtes, qu’au même moment, une opération aérienne, dans le Sud-Waziristan, avait permis de tuer Abou Khabab Al-Masri, un cadre d’Al-Qaida expert en explosif.
Jacques Follorou
* Article paru dans le Monde, édition du 10.09.08.
LE MONDE | 09.09.08 | 14h25 • Mis à jour le 09.09.08 | 14h25
GEORGE BUSH DÉPLORE LES BAVURES AMÉRICAINES EN AFGHANISTAN
Le président américain George Bush a déploré les pertes civiles causées par les combats en Afghanistan et donné l’assurance qu’il veillait à ce que les opérations contre les insurgés épargnent les populations, selon le texte d’un discours distribué lundi 8 septembre par la Maison Blanche et qu’il devait prononcer mardi. « Malheureusement, il arrivera que la traque de notre ennemi cause accidentellement la mort de civils. Cela est arrivé tout au long de l’histoire de la guerre, pourtant notre pays pleure chaque vie innocente », devait dire M. Bush. Selon le gouvernement afghan et l’ONU, un bombardement des forces internationales visant des insurgés aurait tué au moins 90 civils le 22 août. Les forces américaines, qui jusqu’alors niaient, ont indiqué réexaminer les conclusions de leur enquête à partir de nouveaux éléments. Le 2 septembre, la coalition avait affirmé qu’une enquête interne avait confirmé la mort de « cinq à sept » civils. - (AFP.)
Le nouveau président pakistanais est confronté à une grave crise économique
ISLAMABAD ENVOYÉ SPÉCIAL
Le nouveau président pakistanais, Asif Ali Zardari, a prêté serment, mardi 9 septembre à Islamabad, dans un climat d’inquiétude où les difficultés économiques, tout autant que le défi taliban, promettent de lui causer bien des soucis. Lors de son investiture en grande pompe, le veuf de Benazir Bhutto - assassinée fin décembre 2007 - s’est gardé de lancer des promesses inconsidérées à une population prise à la gorge par une inflation record.
Sobre et fort discret sur ses intentions - ce qui fait dire aux commentateurs sceptiques qu’il n’a guère de programme -, il a annoncé qu’il ne sollicitera pas l’assistance financière du Fonds monétaire international (FMI) dont les conseils, a-t-il précisé, seront toutefois les bienvenus.
M. Zardari prend les rênes du Pakistan à un moment où l’économie est frappée par une crise gravissime. Tous les indicateurs sont au rouge. L’heure est à la déprime à la Bourse de Karachi, qui fut sous la présidence du général Pervez Musharraf - alors la coqueluche des milieux d’affaires -, une des plus performantes d’Asie. L’indice boursier a chuté de 41 % depuis avril, au point d’acculer un certain nombre de petits investisseurs ruinés à des gestes de protestation violente.
Signe de la défiance ambiante, les étrangers fuient en masse le marché des capitaux pakistanais : leurs investissements en portefeuille ont plongé de 234 % de juillet 2007 à juillet 2008. La roupie pakistanaise ne cesse de perdre du terrain : elle a cédé près de 20 % face au dollar américain depuis le début de l’année, alourdissant d’autant une dette publique qui vient de franchir le seuil des 8 milliards de dollars.
Le Pakistan, qui importe près des deux tiers de ses besoins en pétrole, paie lourdement le prix de l’envolée du brut. La facture pétrolière, qui a crû de 55 % en un an, représente aujourd’hui le tiers de la valeur globale de ses importations.
Résultat, les réserves de change ont fondu. Elles ont chuté à 9,6 milliards de dollars, à peine de quoi payer trois mois d’importations. Le gouvernement cherche à soulager la pression en négociant avec l’Arabie saoudite, dont des concessions sur les prix sont attendues. En outre, il cherche à limiter la consommation. Il vient de décider de fermer les stations-service le vendredi et d’imposer deux jours de vacances par semaine.
Cette note pétrolière vient aggraver une crise énergétique qui se traduit par des coupures d’électricité incessantes. Après avoir longtemps subventionné les prix, au risque d’alourdir un déficit budgétaire déjà préoccupant, le gouvernement du premier ministre, Yousouf Raza Gilani, vient de décider de relever les tarifs de l’électricité de 40 %.
Cette politique de vérité des prix promet d’être douloureuse pour une population déjà en butte à une inflation à deux chiffres. Le prix des seules céréales augmente désormais au rythme annuel de 25 %. Une telle situation, dans un pays exportateur de produits agricoles, est le fruit d’erreurs de gestion répétées.
M. Zardari devra trouver un équilibre délicat entre la nécessité d’assainir les comptes et le souci de préserver la stabilité sociale dans un pays dont près de 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Entre la banqueroute financière et la révolte sociale, la voie est étroite. Certains analystes pakistanais mettent en garde contre le risque d’un retour en force de l’armée si le pouvoir civil se montre incapable de redresser l’économie.
Frédéric Bobin
* Article paru dans le Monde, édition du 11.09.08.
LE MONDE | 10.09.08 | 14h21 • Mis à jour le 10.09.08 | 14h21
Asif Ali Zardari, nouveau président du Pakistan, a prêté serment
Asif Ali Zardari, nouveau président du Pakistan au profil très controversé, a prêté serment, mardi 9 septembre, au moment où la violence s’intensifie dans le pays.
Le veuf de Benazir Bhutto, ex-première ministre assassinée fin décembre 2007, est ainsi devenu, pour cinq ans, le 14e président de cette République islamique, seule puissance militaire nucléaire du monde musulman. Il succède à l’ancien général Pervez Musharraf, poussé à la démission il y a trois semaines par la nouvelle coalition issue des législatives du 18 février. M. Zardari, 53 ans, chef du principal pilier de cette coalition, le Parti du peuple pakistanais (PPP) dirigé par Mme Bhutto jusqu’à son assassinat fin 2007, avait, sans surprise, recueilli samedi plus de 70 % des suffrages du Parlement et des quatre assemblées provinciales. Les alliés d’Islamabad et les investisseurs espèrent que la confortable élection de M. Zardari marque un pas en direction d’une stabilisation du pays.
« M. 10 % »
Ce personnage est très controversé et relativement impopulaire dans son pays, où il est souvent désigné par le sobriquet de « M. 10 % » et demeure le symbole de la corruption sous les gouvernements de son épouse dans les années 1990, même si la justice a récemment abandonné opportunément toute poursuite.
Mais les défis qu’il va devoir relever apparaissent monumentaux. M. Zardari se hisse au sommet du pouvoir dans un pays en plein chaos économique, politique et militaire : les combats font rage entre l’armée et les islamistes proches d’Al-Qaida dans les zones tribales du Nord-Ouest, et ces derniers répliquent en intensifiant chaque jour une campagne sans précédent d’attentats-suicides, qui ont déjà fait près de 1 200 morts en quatorze mois.
Après la prestation de serment, le nouveau président a ensuite rencontré son homologue afghan, Hamid Karzaï. Ils ont affirmé que leurs deux peuples étaient « victimes du terrorisme » et promis de le combattre « ensemble ».
Au Pakistan, les talibans défient le nouveau président Asif Zardari
AP/Anjum Naveed
Le candidat à la présidence pakistanaise, Ali Zardari, estime que « les talibans ont pris le dessus » dans les conflits au Pakistan et en Afghanistan.
Islamabad, envoyé spécial
Les talibans pakistanais ont célébré à leur manière, samedi 6 septembre, l’élection à la présidence de la République, obtenue avec plus de 70 % des suffrages, d’Asif Ali Zardari, veuf de Benazir Bhutto – assassinée le 27 décembre 2007 – et chef du Parti du peuple pakistanais (PPP). Au moment même où les deux tiers du collège de grands électeurs, composé du Parlement central et des quatre assemblées provinciales, plébiscitaient la candidature de M. Zardari, un attentat-suicide faisait 33 morts à Peshawar, ville frontière avec l’Afghanistan. L’attaque a été revendiquée par le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), le Mouvement des talibans du Pakistan, réputé proche d’Al-Qaida et interdit le 25 août par le gouvernement après avoir assumé la paternité de nombreux attentats.
La simultanéité des deux événements est un cruel rappel au nouveau chef de l’Etat du principal défi qui l’attend : la lutte contre une rébellion islamiste qui, de son foyer pachtoun à la frontière afghane, propage ses effets débilitants sur l’ensemble de la société pakistanaise. A quelques jours du scrutin présidentiel, M. Zardari, qui tient un discours libéral pro-occidental, avait signé dans le Washington Post une tribune dans laquelle il clamait sa volonté de « combattre et de vaincre l’insurrection intérieure des talibans et de [s’] assurer que le territoire pakistanais n’est pas utilisé pour lancer des attaques terroristes contre nos voisins ou les forces de l’OTAN en Afghanistan ».
Ce type de profession de foi suffira-t-il à rassurer les dirigeants occidentaux qui doutent ostensiblement de la sincérité de l’engagement du Pakistan à éradiquer des groupes qui opèrent des deux côtés de la frontière ? En tout cas, le gouvernement pakistanais dirigé par le PPP, après avoir initialement envisagé de négocier avec les insurgés, a opté ces dernières semaines pour la manière forte sous l’évidente pression américaine.
Les frappes aériennes se sont multipliées dans la zone tribale de Bajaur, provoquant le déplacement de près de 300 000 habitants, et des combats terrestres s’intensifient dans la vallée de Swat. Le nombre de victimes se compte par centaines.
S’ASSURER DE LA LOYAUTÉ DES MILITAIRES
A long terme, l’efficacité de cette offensive anti-taliban dépendra en grande partie de la qualité de la relation entre le nouveau pouvoir civil et l’armée. L’affaire est sensible, la nomenklatura militaire ayant toujours dans le passé cherché à déstabiliser le PPP. Pour l’heure, l’armée semble jouer le jeu comme l’a montré le refus de son patron, le général Ashfaq Kayani, de voler au secours de l’ex-président Pervez Musharraf, acculé à la démission en août. Les neuf années du règne militaire de M. Musharraf l’ont échaudée. « L’armée n’a plus guère envie pour le moment de faire de la politique car l’expérience a prouvé que son passage au pouvoir lui aliène le soutien du peuple », analyse le général à la retraite Talat Massoud.
Le nouveau président Asif Ali Zardari devra toutefois jouer finement pour s’assurer de la loyauté des militaires. Un incident récent a montré que la méfiance demeure vive entre les deux parties. Fin juillet, le gouvernement a dû faire machine arrière trois jours après avoir annoncé que l’Inter Services Intelligence (ISI), les omnipotents services secrets militaires souvent dénoncés pour leur connivence avec les groupes islamistes, passerait sous la tutelle du ministère de l’intérieur. La mesure avait ulcéré les généraux qui ont finalement conservé leur forteresse d’espions.
La relation avec les Etats-Unis est l’autre facteur qui pèsera lourd dans la lutte antiterroriste. Or l’attaque conduite le 3 septembre par des troupes américaines contre un village pakistanais du Sud-Waziristan, qui a fait une vingtaine de morts, complique la tâche de M. Zardari. Cet assaut aérien avec dépose de soldats sur le sol du Pakistan a enragé la classe politique et l’opinion. Les appels à riposter pour protéger « la souveraineté du Pakistan » se sont multipliés.
Jamais la défiance entre les deux pays n’a été aussi élevée. « Les Américains ne font pas confiance aux Pakistanais pour lutter contre les talibans », admet le général Massoud. Ecartelé entre l’impatience américaine et le nationalisme de son opinion, M. Zardari est sur la corde raide.
Frédéric Bobin