Le 20 mars 1990 restera dans les mémoires comme une journée historique avec toutes les caractéristiques d’une journée banale. Pas d’explosion de joie, pas de grandes déclarations, le mouvement pour l’avortement est fatigué. Le parlement a repris le flambeau, après vingt années de lutte extra-parlementaire.
Eh oui, vingt années... A deux jours près, il y a exactement vingt ans, le 1er avril 1970, que le groupe féministe flamand Dolle Mina menait sa première action pour l’avortement et la contraception ! A la fin de la même année, l’Association Belge pour la Légalisation de 1’Avortement voyait le jour. Une longue lutte commençait - le terme n’est pas trop fort - dans laquelle le rôle moteur allait être joué par le mouvement des femmes, mais aussi par un certain nombre de médecins, d’infirmières et de membres du personnel médical en général.
Dr. Peers.
Début 1971, le docteur Peers fait savoir publiquement que depuis des années, il pratique des avortements sur demande de la femme. Le 18 février, le sénateur Calewaert (PS flamand) dépose une proposition de loi qui autorise l’avortement jusqu’à la quinzième semaine après la fécondation, y compris pour des raisons éthiques-sociales, mais moyennant l’avis de trois médecins. Le nouveau mouvement féministe, de même que les organisations féminines traditionnelles (Femmes Prévoyantes, commissions femmes de la FGTB...) saluent le courage de Calewaert, mais rejettent sa proposition. Toutes estiment que la femme doit décider.
Majorité
Début 1972 déjà, un sondage d’opinion révèle que la majorité de la population est gagnée à une modification de la loi (43,9% des personnes interrogées se prononcent même pour l’avortement pour des raisons médicales-sociales-psychologiques).
16 janvier 1973 : le docteur Peers est arrêté. Protestation massive, manifestations dans tout le pays et même à 1’étranger. Willy Peers est libéré après trente-trois jours de détention préventive.
Février 1973 : proposition de loi Dinant - l’avortement est autorisé jusqu’à la douzième semaine, à condition d’être pratiqué par un gynécologue dans un hôpital.
Juillet 1973 : Van Der Poorten, ministre libéral de la justice dans le gouvernement tripartite Leburton, propose au conseil des ministres un projet de loi autorisant l’avortement quand la vie de la femme est en danger, en cas de viol, d’inceste, ou de déformation grave du foetus. Il n’en sortira rien...
Tindemans
1974 : le Vrouwenoverlegkomitee, important comité de coordination des organisations de femmes en Flandre, sort un programme d’urgence qui reprend la revendication : avortement hors du code pénal. Le gouvernement Tindemans 1er renvoie le problème devant la commission du Sénat pour les problèmes éthiques.
Le 26/6/76, celle-ci remet un avis partagé : 13 pour la modification de la loi, 12 contre. Le gouvernement ne sait pas quoi faire. Le mouvement des femmes bien : la journée des femmes du 11 novembre 1976 est organisée sur le thème « Avortement, la femme décide ». C’est le point de départ des Comités Avortement et de leurs manifestations annuelles en 1977, 1978. 1979...
Tout de suite avant la journée des femmes de 1976, six médecins de la région bruxelloise déclarent publiquement avoir réalisé déjà près de 2.000 avortements.
Herman-Michielsens
En 1977-78, madame Herman-Michielsens introduit sa première proposition de loi, qui autorise l’avortement dans le cas où la santé de la femme (au sens large) est en danger. Au parlement, une fois de plus, rien n’en sort. Le mouvement des femmes est contre : mieux vaut pas de nouvelle loi qu’une mauvaise loi, répressive mais applicable. Le mouvement des femmes apporte par contre son soutien à la proposition de loi de la socialiste flamande Léona Detiège (1978) qui propose la dépénalisation totale de l’avortement. Et de critiquer les socialistes, qui traitent cette proposition comme un chiffon de papier...
Centres
Entre-temps, à Bruxelles et en Wallonie, de plus en plus de centres extra-hospitaliers pratiquent l’avortement ouvertement. En 1980, le premier centre flamand s’ouvre à Gand.
Les gouvernements successifs font de l’avortement un problème du parlement. En 1981, madame Herman-Michielsens réintroduit sa proposition de loi de 1977. Le mouvement des femmes maintient son opposition. La pratique concrète de l’avortement creuse un fossé de plus en plus profond entre la société et les élus. C’est au cours de cette période que la Chambre s’avère même incapable de suspendre temporairement les poursuites judiciaires pour avortement (proposition du PS et du FDF de 1979). Néanmoins, une trêve dans les poursuites est observée.
Après une période d’interventions arbitraires contre des médecins (Peers est interpellé une nouvelle fois en 1976 !), contre des femmes (Anne Léger, notamment, interpellée en 1977 pour avoir transporté un paquet de brochures d’information sur l’avortement !), les poursuites reprennent. Tout aussi arbitraires. En 1985 débute le procès monstre contre 52 collaborateurs et patients du centre extra-hospitalier de Gand, qui se terminera plus tard sur un acquittement. Chaque fois, le mouvement pour l’avortement riposte par la mobilisation.
Compromis
En 1985, finalement, le compromis Lallemand/Herman-Michielsens voit le jour. Sa clé de voûte est le libre choix de la femme. Mme Herman-Michielsens a changé : elle a été convaincue par la pratique des centres. La proposition reçoit un large soutien du mouvement pour l’avortement. Cinq années plus tard, la proposition est devenue loi... Contre l’avis du Roi Baudouin, mais cela, c’est une autre histoire...