BEYROUTH CORRESPONDANTE
C’est une fatwa (édit religieux musulman exécutoire) dont la gravité tient autant à son contenu qu’au statut de son auteur. Promulguée par le cheikh Saleh Al-Louheïdane, membre du Conseil supérieur des oulémas et président du Haut Conseil de la justice d’Arabie saoudite, elle autorise à « tuer par le biais de la justice » les propriétaires des chaînes de télévision qui suscitent « la fitna » (la discorde intra-musulmane) et/ou « la dépravation ». Le Haut Conseil de la justice est la plus haute autorité judiciaire de la monarchie saoudienne, guidée par le wahhabisme, une doctrine rigoriste de l’islam.
Le cheikh Saleh Al-Louheïdane répondait sur les ondes d’une radio saoudienne, la Radio du Coran, à la question d’un auditeur sur « l’immoralité » des chaînes satellitaires arabes, dans le cadre de l’émission « Lumière sur le chemin ». Sa réponse a été diffusée à plusieurs reprises.
« Il est licite de tuer quiconque appelle à la discorde s’il n’a pas été possible de l’en empêcher ; il est licite de tuer, par le biais de la justice, tout prédicateur de la dépravation des croyances ou des actes, s’il s’avère impossible de l’en empêcher par des sanctions moindres que le meurtre », a déclaré le cheikh Louheïdane, en se référant à un texte religieux. « L’appel à la dépravation des croyances et des moeurs est une forme de grave perversion sur terre », a ajouté le dignitaire religieux, dont les propos ont été rapportés, vendredi 12 septembre, par la chaîne satellitaire Al-Arabiya, aux capitaux saoudo-koweïtiens, et le lendemain par le quotidien saoudien Al-Hayat.
Un conseiller au ministère de la justice saoudien, le cheikh Abdel Mohsen Al-Ubaikane, a dénoncé dans un communiqué « un acte dangereux de nature à apporter de l’eau au moulin de la bande de déviants », expression utilisée pour désigner les djihadistes d’Al-Qaida. « C’est un cadeau aux terroristes, a-t-il poursuivi. Ils peuvent en profiter pour enrôler nos jeunes et les pousser à tuer et à faire exploser les stations de télévision. » Le cheikh Ubaikane a appelé son collègue à retirer sa fatwa et les milieux religieux saoudiens à réagir, estimant que « les retombées seront néfastes pour l’Etat, la réputation de l’islam et de la justice saoudienne ».
Le cheikh Louheïdane a informé Al-Hayat, « via une source qui lui est proche », que sa fatwa n’est pas « un appel au meurtre comme l’ont rapporté certains organes d’information ». C’est un texte « clair et dépouillé d’ambiguïté ». « Tuer via la justice intervient après un procès. Les propriétaires des chaînes satellitaires doivent être conseillés et blâmés, faute de quoi ils doivent être jugés et condamnés à des peines dissuasives », a fait valoir le cheikh, selon la même source.
La fatwa vise des émissions de variété et des séries télévisées arabes ou étrangères, jugées impudiques, voire carrément immorales et offensantes par des esprits ultra-conservateurs ou ultrareligieux.
Le mufti d’Arabie saoudite, la plus haute autorité religieuse officielle, avait récemment qualifié de « subversif » le feuilleton turc Nour, qui connaît un vif succès dans tous les pays arabes. Il avait promulgué une fatwa rejetant toute chaîne de télévision qui le diffuse dans la catégorie d’« ennemie de Dieu et de son prophète ».