La Paz,
En l’espace de quelques mois, le panorama politique bolivien a changé du tout au tout. En juin, à l’issue de référendums illégaux visant à faire approuver des statuts d’autonomie dans les départements de la « demi-lune » [1], la Bolivie paraissait au bord de l’abîme. Les agissements de la droite, cherchant à faire barrage à la future Constitution antilibérale et pacifiste, ont bouleversé la situation.
En acceptant, le 10 août, la tenue d’un référendum révocatoire [2], proposé par le gouvernement, le parti d’opposition Podemos (« Pouvoir démocratique et social ») espérait retarder l’approbation de la Constitution. Mais les résultats de ce référendum se sont convertis en un véritable plébiscite pour le gouvernement d’Evo Morales. Avec plus de 67 % des voix, le président a obtenu une incontestable légitimité, lui permettant de convoquer un nouveau référendum sur la Constitution, le 7 décembre.
Chasse à l’homme
Mais les gouverneurs départementaux d’opposition de la « demi-lune », eux aussi largement confirmés à leurs postes, continuèrent à tout mettre en œuvre pour faire échec à une Constitution qui menacerait certains privilèges des élites locales, tel l’accaparement de terres. Au soir du référendum du 10 août, alors que Morales appelait à un dialogue national entre le pouvoir exécutif et l’opposition, le gouverneur du département de Santa Cruz, Ruben Costas, dénonça « le totalitarisme du gouvernement » et il accusa « le macaque [Morales] », d’être instrumentalisé par « le grand macaque », une référence au président vénézuélien Hugo Chavez, dont la droite dénonce constamment l’ingérence. Ces propos d’un racisme éhonté – peu relevés par la presse internationale – furent le prélude à d’intenses mobilisations de l’opposition. Dès le lendemain, les élites orientales organisèrent des blocages de routes et des grèves de la faim, puis, début septembre, à l’appel de la fascisante Union des jeunesses de Santa Cruz, des occupations d’édifices publics et de sièges d’organisations paysannes, indigènes et populaires, ainsi que des agressions physiques contre leurs militants.
C’est dans ce contexte que le massacre d’El Porvenir s’est déroulé. Dans la nuit du 10 au 11 septembre 2008, plusieurs groupes de paysans convergeaient vers Cobija, capitale du département du Pando, au nord du pays, afin d’y tenir une assemblée générale. Le gouverneur départemental, Leopoldo Fernández, donna l’ordre de freiner l’avancée des syndicalistes vers la ville. Les premières escarmouches, vers trois heures du matin, dans la localité d’El Porvenir, à une heure de Cobija, prirent rapidement la forme d’une embuscade contre les paysans. Les employés départementaux, avec la complicité de mercenaires liés au narcotrafic local, ont tiré à vue sur une foule où se trouvaient femmes et enfants. La chasse à l’homme dura deux jours, les tueurs allant jusqu’à effectuer des battues dans les bois et tirer sur les paysans sans défense traversant le fleuve à la nage. À ce jour, on dénombre dix-huit victimes, dont quinze paysans et un enfant. Le nombre de disparus, une semaine après les faits, permet malheureusement de penser que d’autres victimes restent à découvrir.
Leopoldo Fernández est aujourd’hui emprisonné à La Paz pour complicité avec des groupes terroristes. Un fait inédit pour celui qui symbolise parfaitement la vieille et intouchable classe politique bolivienne, hier liée aux dictatures militaires et aujourd’hui convertie aux vertus du néolibéralisme. Le massacre d’El Porvenir marque un basculement de l’opinion contre des gouverneurs départementaux un peu plus acculés et isolés. Ainsi, dès l’annonce du massacre, les gouverneurs du Beni, de Santa Cruz, de Tarija et de Chuquisaca ont soudainement montré une disposition à négocier. C’est ainsi que s’est ouvert un dialogue national visant à discuter des articles de la Constitution relatifs aux autonomies départementales.
De quoi renforcer la position du gouvernement, qui est parvenu à faire accepter, pour la première fois, la légitimité d’un texte que ses opposants refusaient de reconnaître jusque-là. Reste à savoir ce qu’il est prêt à concéder, à un moment où le rapport de force lui est favorable, et comment réagiront des organisations paysannes qui voient avec réticence la possibilité que ce document, qu’ils considèrent comme le fruit de leur lutte, soit modifié substantiellement.
De La Paz, Hervé Do Alto
* Paru dans Rouge n° 2267, 25/09/2008.
Massacre en Bolivie
Malgré le résultat triomphal (67 % de voix) obtenu par le président bolivien Evo Morales, lors du référendum révocatoire du 10 août, la droite refuse toujours le dialogue auquel le pouvoir exécutif l’invite et mène, depuis un mois, une véritable réaction contre le gouvernement populaire de Morales.
On assiste à d’innombrables provocations des groupes fascisants opérant pour le compte de groupes patronaux, tel le Comité civique de Santa Cruz : occupations et saccages d’institutions publiques, d’aéroports, attentats contre les sièges des organisations paysannes et indigènes, agressions physiques des sympathisants du Mouvement vers le socialisme (MAS), etc.
Le 11 septembre, dans la petite localité du Porvenir, au nord du pays, un groupe de paysans et paysannes se rendant, avec des enfants, à une assemblée générale, a été pris pour cible par des francs-tireurs, faisant une trentaine de victimes. Huit morts furent annoncés, mais on découvrit ensuite les corps d’une vingtaine de paysans dans le fleuve.
Selon les éléments avancés par la police, l’embuscade est le fruit d’une opération coordonnée par le préfet, Leopoldo Fernández, avec la participation du Comité civique local et de paysans dissidents. Le massacre du Porvenir nous ramène brutalement à des temps funestes.
Dans ce combat, le peuple bolivien a plus que jamais besoin de la solidarité internationale, pour exiger que le préfet Fernández soit jugé et pour exercer la plus grande vigilance contre la réaction, qui peut aller jusqu’au coup d’État.
Rouge
* Paru dans Rouge n° 2266, 18/09/2008 (Au jour le jour).