Une rentabilité qui fait débat
L’installation d’éoliennes suit une courbe exponentielle, aidée en cela par des politiques publiques de soutien : en 2007, leur capacité mondiale de production a dépassé 100 000 mégawatts (MW) pour une production de 200 térawattheures (TWh), soit 1,3 % de la consommation planétaire d’électricité. Dans tous les pays, cette expansion est permise grâce à un soutien public important, sous forme d’un tarif de rachat de l’électricité produite par ces engins. En France, l’arrêté ministériel du 26 juillet 2006 garantit ainsi un prix d’achat de 8,2 centimes par kilowattheure, qui baissera progressivement jusqu’à 6,3 centimes en 2020. Chaque éolienne requiert un investissement d’environ 1,5 million d’euros par MW installé.
Dans plusieurs pays, cependant, notamment en France et en Angleterre, les aérogénérateurs suscitent un vif débat : leur impact sur le paysage est discuté, mais aussi leur intérêt économique et écologique. L’ancien président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, parle ainsi de « scandale financier et environnemental » et stigmatise « un gaspillage inacceptable des fonds publics, un discours officiel trompeur, un business souvent douteux » (dans sa préface du livre de Jean-Louis Butré, L’Imposture, éd. Du Toucan, 12 euros).
Selon les détracteurs des éoliennes, l’implantation de plusieurs milliers de celles-ci entraînera un surcoût important par rapport à d’autres modes de production d’énergie. En juillet 2008, l’Institut Montaigne, un cabinet de réflexion économique, a publié une étude calculant que « si 25 GW (gigawatts) d’éolien sont installés d’ici à 2020, le surcoût annuel serait égal en moyenne à 1 milliard d’euros sur la période 2008-2020 et dépasserait les 2,5 milliards au-delà de 2020 ». L’auteur de l’étude, Vincent Le Biez, concluait : « Le développement de l’éolien n’est pas la solution économique la plus appropriée pour limiter les émissions de gaz à effet de serre en France : d’autres solutions, comme le développement de la biomasse, l’installation de pompes à chaleur ou l’isolation des bâtiments anciens, permettent des diminutions d’émissions de C02 équivalentes à un coût moindre pour la collectivité. »
En septembre, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) a répondu à l’étude de l’Institut Montaigne. Selon lui, « un parc éolien de 20 000 MW permet d’éviter la construction de plusieurs milliers de MW de nouvelles centrales thermiques et nucléaires ». Le SER souligne surtout que l’éolien doit être considéré sur la durée : « L’augmentation sur le long terme du coût des énergies fossiles ne fait plus débat, et une estimation de cette évolution est indispensable pour tout travail prospectif crédible (...). Entre 2004 et 2008, le surcoût de l’éolien a ainsi été divisé par trois. Cette compétitivité sera renforcée à chaque hausse future du prix des énergies. »
IMPACT SUR LA FAUNE
Le débat reste ouvert. Il est intéressant de noter qu’aucune étude n’a tenté d’évaluer l’impact des éoliennes sur les paysages, sur la biodiversité (fragmentation des massifs forestiers liés aux voies d’accès) ou sur la faune (une étude parue dans la revue scientifique Current Biology du 26 août a analysé la mortalité provoquée par les pales des aérogénérateurs sur les chauves-souris, dont de nombreuses espèces sont en voie d’extinction).
Le débat économique se prolonge par une discussion sur l’intérêt des éoliennes dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle a été lancée par une étude de la Fédération environnement durable en janvier, constatant que les pays qui avaient implanté un grand nombre d’éoliennes n’avaient pas pour autant réduit significativement leurs émissions de gaz carbonique.
Dans une réponse publiée le 15 février, le ministère de l’écologie et l’Ademe confirmaient paradoxalement la pertinence de cette interrogation. Le texte indiquait que le programme d’éoliennes « permettrait une diminution de 15 % à 35 % des émissions de gaz carbonique du système électrique d’ici 2015 ». Or, en France, le secteur de la production d’électricité ne représente que moins de 7 % des émissions de CO2. Le programme d’implantation d’éoliennes ne permettrait ainsi de réduire que de 1 % à 2,45 % les émissions du pays. Le jeu en vaut-il la chandelle ? D’autres procédés moins coûteux de réduction des émissions existent, à commencer par les économies d’énergie. Au moment où la crise économique va soumettre les finances publiques à de nouvelles tensions, il convient de se demander s’il ne faut pas privilégier ces méthodes.
Hervé Kempf
Eole, dieu ou démon
Vendre du vent. Est-ce le dernier avatar d’une économie capitaliste en crise ou l’idée salvatrice pour une planète en péril ? De gré ou de force, la France s’est engagée, d’ici à 2020, à couvrir 20 % de ses besoins énergétiques grâce aux renouvelables. Pour y parvenir, l’Hexagone possède de nombreux atouts. Son réseau hydraulique couvre 10 % de ses besoins en énergie et son parc nucléaire en assume plus de 80 %. Revers de cette « exception française », le parc hydraulique a une marge de progression quasi nulle et le développement exceptionnel du nucléaire a stérilisé l’éclosion de toute autre technologie peu émettrice de CO2. Restent la biomasse, le solaire et l’éolien.
La biomasse a sa part à prendre parmi les sources d’énergie d’origine renouvelable. « On veut passer de 8 Mtep à 15 Mtep en 2020 pour la production de chaleur, et de 0,2 Mtep à 1,4 Mtep pour l’électricité », confirme la secrétaire d’Etat à l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet.
Le solaire croît à un rythme soutenu, de l’ordre de 40 % l’an. Simple d’installation, il apparaît comme le grand favori des énergies renouvelables, même s’il reste loin des objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement, qui suppose de multiplier par 100 la production d’énergie d’origine solaire d’ici à 2020. Autre handicap, « pour obtenir une puissance de 2 mégawatts (MW), il faut couvrir un stade de football de capteurs solaires », fait remarquer Nicolas Wolff, directeur général de la filiale française de Vestas, premier fabricant mondial de turbines. L’exemple n’est pas pris au hasard : 2 MW, c’est la puissance d’une éolienne.
Avec le deuxième potentiel de vent, derrière le Royaume-Uni, l’éolien est-il « la » solution ? Actuellement, 2 200 aérogénérateurs fournissent moins de 1 % de l’énergie totale en France, soit 2 500 MW, bien peu au regard des productions de l’Allemagne ou du Danemark. Une « matière première » disponible, propre et gratuite - le vent -, un retard à combler : cette filière industrielle devrait être en plein boum...
Eh bien non. D’une part, comme le souligne Mme Kosciusko-Morizet, parce qu’il n’y a pas de réelle « filière industrielle » française de l’éolien. D’autre part, le prix de l’acier qui s’envole et des tarifs de rachat complexes freinent son développement. Autre bâton dans les pales, l’importante campagne de dénigrement qui sévit depuis le printemps : de la part du comité d’orientation stratégique, présidé par Valéry Giscard d’Estaing - dont Marcel Boiteux, ex-patron d’EDF, est membre -, de l’Institut Montaigne, qui dénonce le coût des éoliennes, ou de l’Etat, qui projette de soumettre les parcs éoliens à la procédure d’autorisation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). « Au même titre que les activités les plus polluantes ! », s’étonne Nicolas Wolff.
Alors faut-il avoir peur des éoliennes ? Eole, dieu ou démon ? « On en a besoin pour attendre notre engagement européen », tranche Mme Kosciusko-Morizet. « Il est évident que dans les années à venir, si l’énergie devient plus chère encore, l’éolien pourrait exploser en France », surenchérit Geoffroy Bouhier de L’Ecluse, directeur d’Odislor Innovations.
Pas besoin d’un seuil critique du coût énergétique élevé pour trouver des solutions, fait remarquer benoîtement Bernard Laponche, polytechnicien et expert énergétique : « Même à 20 dollars le baril de brut, un programme d’économies d’énergie est rentable. » Alors pourquoi ne le fait-on pas ? D’abord, parce que cela va à l’encontre d’idées reçues. Exemple : les Californiens consomment moins d’électricité par habitant que les Français, grâce justement à un plan d’économies. Mais surtout, parce que, dans nos sociétés de consommation, analyse M. Laponche, « dire qu’il faut considérablement réduire la consommation choque ». Choquant, vraiment ?
Catherine Pacary
La mer, nouvel horizon du vent
L’éolien maritime est-il l’avenir de l’énergie du vent ? Beaucoup le pensent, au moins en Europe, où les pays équipés, comme l’Allemagne et le Danemark, arrivent à saturation d’espace. En septembre, Greenpeace vient ainsi de proposer, dans un rapport, « A North Sea electricity grid (R)evolution », de construire en mer du Nord 100 parcs éoliens géants. Dotés chacun de dizaines d’aérogénérateurs et représentant une capacité totale de 68 gigawatts (GW), ils pourraient produire au total chaque année 247 terawattheures, soit environ la moitié de la consommation électrique d’un pays comme la France. Un réseau de câbles sous-marins les relierait, palliant un défaut de l’énergie du vent : son intermittence. En effet, assure l’étude de Greenpeace, « les variations de production à un endroit pourraient être partiellement compensées par la production d’autres parcs situés à des centaines de kilomètres ». L’investissement nécessaire serait de 15 à 20 milliards d’euros.
Cette perspective n’est pas utopique. En décembre 2007, le ministre anglais de l’énergie, John Hutton, avait annoncé que son pays visait, à l’horizon 2020, d’installer offshore de quoi produire une puissance de 33 GW. La Norvège a, de son côté, mené des études montrant que le potentiel éolien en mer du Nord était immense. Au large de la Belgique se prépare la mise en service de Thornton Bank un parc de 300 MW, le plus important au monde. Et, au mois d’octobre, la Commission européenne devrait présenter un plan éolien maritime prescrivant des objectifs de production au large des côtes. Selon l’agence Euractiv, M. Van Steen, fonctionnaire chargé des renouvelables à la Commission européenne, aurait jugé le rapport de Greenpeace « très bon » et « convaincant ».
Plusieurs arguments plaident en faveur de l’installation en mer des aérogénérateurs. D’une part, les progrès techniques ont permis d’améliorer la puissance et la fiabilité des machines. Ensuite, il est possible d’obtenir en mer des rendements bien supérieurs à ce que l’on atteint sur terre : environ 40 % contre 25 %, c’est-à-dire qu’une éolienne maritime fonctionne plus de 3 500 heures par an quand sa cousine terrestre est limitée à 2 500 heures. Enfin, la question du paysage est beaucoup moins sensible : il n’y a pas d’habitants humains en mer pour protester. L’impact sur les oiseaux de mer demande cependant à être mieux connu.
Toutefois, les conditions maritimes - la salinité, notamment, qui abîme les machines - créent des difficultés spécifiques. L’installation et la maintenance des éoliennes maritimes sont difficiles et requièrent l’emploi de câbles sous-marins. De surcroît, les plans d’expansion sont contraints par des goulots d’étranglement spécifiques : le nombre de bateaux capables de porter les grues immenses nécessaires pour monter les éoliennes de plus de 100 mètres de haut est limité, ainsi que les ports pouvant les accueillir. Le développement d’éoliennes en mer suppose en fait la création d’une nouvelle infrastructure industrielle.
Hervé Kempf
Le marché des éoliennes privées pourrait exploser, si...
Après le soleil, le vent. Après les panneaux solaires, les éoliennes. Depuis le début de 2008, l’intérêt des Français pour cet appareil à hélices ne cesse de grandir. Ils sont nombreux à se rendre chez les fabricants, installateurs ou distributeurs, à consulter les sites Internet, prendre conseil et, de plus en plus souvent, se décider à acheter.
« Actuellement, nous installons une ou deux éoliennes par semaine, précise Geoffroy Bouhier de L’Ecluse, directeur d’Odislor Innovation, société spécialisée dans l’électronique et les solutions d’énergie. La demande est très élevée mais encore freinée par le prix d’achat, qui correspond tout de même à celui d’une voiture. » Le coût d’une éolienne varie, selon sa puissance, de 10 000 à 90 000 euros. Une éolienne d’une puissance de 2,5 et 3 kilowatts, qui permet à une maison occupée par 4 personnes d’accéder à son autonomie énergétique (hors chauffage et eau chaude) coûte entre 24 000 et 30 000 euros TTC.
De quoi y réfléchir à deux fois, même si la motivation est là. D’autant que les consommateurs intéressés sont nombreux à penser qu’ils vont rapidement amortir leur achat. Or il faut de dix à quinze ans pour y parvenir, à condition que le diamètre soit suffisant (de 3 à 4 mètres) et les vents assez forts (5 m/s, soit 18 km/h). « Il est primordial d’être attentif à ne pas dépasser le seuil psychologique du coût, remarque M. Bouhier de L’Ecluse. Car le souci de préserver la nature est désormais très ancré dans la tête des gens. Il ne faut pas freiner cet élan, mais au contraire l’encourager sérieusement et rester attractif. »
Le risque, en effet, à proposer des éoliennes trop chères serait de voir ces clients pleins de bonne volonté se tourner vers des produits exotiques, meilleur marché mais moins sûrs, plutôt que de privilégier les éoliennes de fabricants européens ou américains, qui offrent plus de garantie de qualité.
Le problème financier franchi, le reste se passe plus facilement. Ceux qui craignent, par exemple, de défigurer leur jardin peuvent se rassurer. A l’usage des particuliers, les éoliennes sont de taille très raisonnables : en moyenne 10 mètres - loin des 100 mètres et plus qu’atteignent celles qui fleurissent dans nos campagnes. De plus, jusqu’à 12 mètres, l’implantation n’exige aucune autorisation particulière. Au-delà, un permis de construire est nécessaire.
L’esthétique est loin d’être anecdotique, comme le souligne Marianne Smati, assistante commerciale au département éolien chez Joliet Technology, spécialiste des énergies renouvelables : « Les priorités des clients portent sur la rentabilité et l’intégration dans l’environnement. Les réticences s’expriment le plus souvent sur le bruit - et la peur des formalités, qui n’a pas lieu d’être. »
Quant au bruit, il n’est pas si élevé, puisque le vent dans les pales produit 45 décibels, soit moins que l’intérieur d’une maison calme (50 décibels) ou un aspirateur en marche (80 décibels).
En France, le marché se concentre logiquement dans les régions les plus ventées, comme la vallée du Rhône et les régions côtières de l’Ouest.
Et, selon les fabricants, il n’en est encore qu’à ses balbutiements. « Comparé au solaire, solution largement mise en avant et souvent plus onéreuse, l’énergie éolienne, une fois mieux connue, risque de connaître un développement important », prévoit Marianne Smati. Propos confirmés par M. Bouhier de L’Ecluse : « Il est évident que dans les années à venir, si l’énergie devient plus chère encore, comme c’est le cas dans d’autres pays, l’éolien pourrait bien exploser en France. »
Véronique Cauhapé
Pour les maires ruraux, une manne tombée du ciel
Pour beaucoup de maires ruraux, qui voient fondre leurs ressources fiscales et augmenter leurs charges, les éoliennes constituent une manne inespérée tombée du ciel. « Ce sont nos usines, c’est l’industrialisation du monde rural », n’hésite pas à dire un maire de l’Aisne.
Sans aller jusque-là, beaucoup d’élus, qui accueillent des éoliennes sur le territoire de leur commune, témoignent de leur satisfaction. C’est le cas de Jacques Pallas, maire de Saint-Georges-sur-Arnon, dans l’Indre. Ce village de 524 habitants compte 14 éoliennes, qui seront mises en service en mars 2009. Cet équipement va rapporter 400 000 euros par an de taxe professionnelle à la commune, qui n’en percevait jusqu’à présent que 47 000 euros. L’argent va servir à la construction d’une maison des associations, qui rassemblera en un même lieu une bibliothèque, un accès Internet et une salle d’exposition. Il servira aussi à financer la troisième tranche du réseau d’assainissement de la commune. « Sans cet argent, nous n’avions plus qu’à mettre la clé sous la porte, affirme M. Pallas. Nous avons du personnel municipal à payer, des charges qui augmentent et une dotation de l’Etat qui diminue. L’argent des éoliennes va nous permettre de passer ce cap. » Située à 8 km d’Issoudun, la commune connaît un relatif essor démographique, gagnant une centaine d’habitants en dix ans.
L’intérêt du maire pour l’éolien n’est pas seulement financier. Il est porté aussi par un discours en faveur du développement durable. « Nous voulons sauver la planète, réduire les gaz à effet de serre, affirme M. Pallas. La commune est engagée dans une démarche éco-citoyenne. La maison des associations est construite selon les normes environnementales. » L’élu insiste aussi sur la concertation qui a accompagné en amont le projet éolien. « Nous sommes sur ce dossier depuis novembre 2004. Il a été modifié quatre fois pour tenir compte des remarques des habitants, qui ont été étroitement associés à la décision. »
Alain Cabanes, conseiller municipal de Saint-Agrève (Ardèche), est l’un des fondateurs du réseau Cleo (Collectivités locales éoliennes), né en septembre à Lyon et qui rassemble une quarantaine de communes. Pour lui, la construction d’éoliennes est à la fois un acte écologique militant et un élément économique du développement local, grâce aux recettes fiscales qu’elle génère. Son village de 2 700 habitants accueille 6 éoliennes et perçoit 80 000 euros de taxe professionnelle par an. De quoi financer la construction d’une maison de la santé, pour attirer des jeunes médecins et lutter contre la désertification médicale. L’élu reconnaît que l’éolien ne crée pas d’emplois : tout juste un demi-emploi pour le superviseur chargé de surveiller l’installation. Et celui-ci n’a même pas été recruté parmi les habitants de la commune. Le village de Saint-Agrève se situe à proximité du mont Mézenc et du Gerbier-de-Jonc. Cependant, affirme l’élu, « les éoliennes ont été construites de telle sorte qu’elles ne viennent pas s’imprimer devant ce paysage ». La commune a même réalisé un circuit éolien pour faire visiter l’installation. Il a accueilli 1 600 visiteurs en 2007.
Tous les maires ruraux ne partagent pas cet enthousiasme. Vanik Berberian, président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), s’interroge sur les motivations des élus : « Les maires ruraux sont fortement démarchés par les installateurs d’éoliennes. Leurs motivations sont d’abord financières. Ils voient d’abord dans l’éolien un effet d’aubaine, largement exploité par les professionnels du secteur. »
Le développement de l’éolien creuse une ligne de fracture entre deux regards sur le monde rural. D’un côté, les habitants de la ruralité, qui voient dans cette manne financière le moyen de ne pas mourir. De l’autre, les néoruraux et les touristes, qui conçoivent le rural comme le conservatoire d’une nature vierge et s’alarment de la dégradation des paysages.
Xavier Ternisien
Après le règne du nucléaire, place à la « cohabitation énergétique »
En matière énergétique aussi, il y a une « exception française ». Quand un observateur étranger se penche sur une carte de France, qu’observe-t-il ? Un chapelet de centrales nucléaires au bord des fleuves et sur les côtes, de la Manche ou de l’Atlantique. L’exception française est là : 58 réacteurs regroupés dans 19 centrales produisent plus de 80 % de l’électricité (vendue ou exportée) de l’Hexagone, loin de la moyenne mondiale tombée ces dernières années à 15 %. L’atome civil assure au pays un approvisionnement électrique fiable et relativement bon marché. EDF c’est la France. « Ou la France c’est EDF », raillent ses détracteurs.
On comprend pourquoi la France s’inquiète moins de sa sécurité énergétique que l’Italie, l’Allemagne ou les pays d’Europe centrale, tous soucieux de leur dépendance au gaz russe, dont la part va de 39 % pour l’Italie à 100 % pour la Slovaquie ou les pays baltes.
Pourtant, la France est loin d’être à l’abri. Elle importe encore la moitié de ses matières premières énergétiques (pétrole, gaz, charbon...) et même 70 % si l’on retient l’énergie consommée, qui a atteint 275 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) en 2006. Dans cette consommation finale, les centrales électriques en représentent plus du tiers (98 Mtep), suivies du résidentiel tertiaire (71 Mtep), du transport (51 Mtep) et de l’industrie (37 Mtep).
Les pronucléaire ont beau jeu de rappeler que « leurs » centrales, en limitant l’importation d’hydrocarbures, ont permis d’alléger la facture énergétique de 10 milliards d’euros en 2006 - et plus en 2007 avec l’envolée des prix de l’or noir. L’atome a aussi évité le rejet de 80 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, faisant de la France l’un des pays industrialisés les plus performants en termes d’émission de gaz carbonique (par habitant ou par unité de richesse créée).
C’est dire la difficulté rencontrée pour changer de « mix énergétique » et pour ramener la part de l’électricité d’origine nucléaire à 50 %, comme le préconisait la candidate socialiste Ségolène Royal durant sa campagne présidentielle.
Les associations hostiles au nucléaire croient, et proposent une politique très ambitieuse de soutien aux énergies renouvelables, accompagnée - surtout - d’efforts pour renforcer l’efficacité énergétique et les économies d’énergie. Il s’agirait ni plus ni moins d’un changement de mode de vie, mais qui, assurent-elles, ne serait pas pénalisant.
Impensable, rétorquent les pro-nucléaire : pour remplacer seulement 12 réacteurs de 900 MW (mégawatts) et revenir à 60 % d’électricité nucléaire, il faudrait ériger 5 400 éoliennes et construire 20 centrales au gaz, calcule le député socialiste Christian Bataille, chef de file des pro-nucléaire dans son parti.
En France, l’omnipotence du lobby nucléaire a stérilisé la recherche dans d’autres domaines énergétiques. « On a laissé tomber parce qu’on avait le nucléaire et qu’on n’avait besoin de rien d’autre », reconnaît Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat à l’écologie. Apparemment à tort, si l’on compare par exemple à l’Allemagne, où la création d’importantes filières éoliennes et solaires a généré de nombreux emplois. En France, les lourdeurs liées au poids de l’Etat ont fait le reste, dans les années 2000, pour empêcher l’émergence d’une filière éolienne. Areva a ainsi vu filer le danois Bonus en 2004, puis l’allemand Repower en 2007, deux gros fabricants d’éoliennes. Aujourd’hui, leurs exploitants doivent acheter des turbines allemandes, américaines, indiennes ou espagnoles.
On s’oriente, à l’horizon 2020 et au-delà, vers une cohabitation de toutes les sources d’énergie pour produire de l’électricité. Avec une préférence pour les énergies non émettrices de CO2. Le rapport Syrota « Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020- 2050 », remis au premier ministre en 2007, souligne que la France doit se placer dès maintenant - et résolument - sur une « trajectoire vertueuse » pour prendre sa part de l’objectif mondial de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.
Les grands acteurs du nucléaire (EDF, GDF Suez, Areva...) et les autres groupes d’énergie (Total, Alstom, Poweo...) se lancent ou accroissent leurs investissements dans les renouvelables, soit pour fabriquer les équipements (éoliennes, centrales biomasses, panneaux solaires...), soit pour les exploiter. L’effort est considérable. Le chiffrage du Syndicat des énergies renouvelables (SER) est ambitieux. Pour la biomasse (bois et déchets) servant à produire de la chaleur et, accessoirement, de l’électricité, on passerait d’une production de 1,5 Mtep à 7,8 Mtep en 2020, tandis que les parcs éoliens auraient une puissance installée de 25 000 MW et que le solaire permettrait de chauffer 6 millions de logements (contre 200 000 actuellement).
Une révolution ? Non, le pétrole dominera encore de façon écrasante le secteur des transports. Et le nucléaire celui de l’électricité, sauf revirement politique qui mettrait un terme à l’« exception française ». Faudra-t-il couvrir l’Hexagone de nouveaux réacteurs ? Selon l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, les centrales actuelles « peuvent fonctionner quarante, voire cinquante ans », au lieu des trente initialement prévus. Cela repousserait la fermeture de la plus ancienne (Fessenheim) à 2028 et l’arrêt de la plus récente (Civaux) à 2052.
Jean-Michel Bezat