« Nous avons décidé de ne pas constituer une coalition ou un front électoral, mais de commencer la construction d’un mouvement avec des structures propres et des espaces de démocratie. Ainsi nous avons voulu créer une nouvelle entité militante de gauche. »
Comment le Bloc de gauche a-t-il été créé ?
Jorge Costa : "Le Bloc de Gauche est un parti qui a été formé il y a 9 ans au Portugal. Dès le début, le Bloc a rassemblé plusieurs courants de la gauche portugaise afin de constituer une nouvelle force politique de gauche et de changer ainsi le paysage politique de la gauche au Portugal. Aujourd’hui on peut dire qu’on a réussi. La gauche portugaise a changé, le Bloc de Gauche a 8 députés, c’est une force politique présente dans les luttes politiques, au niveau parlementaire. Dans les luttes sociales, le Bloc de Gauche est une référence pour des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses. Si on fait le bilan, on a beaucoup appris avec le mouvement social et populaire au Portugal de ce que peut être une gauche de gauche, une gauche donc qui n’est ni social-démocrate, ni staliniste.
Au Portugal comme un peu partout en Europe, le bilan de la social-démocratie au gouvernement est un bilan tragique. Nous avons au Portugal un gouvernement social-libéral, un gouvernement avec des socialistes, qui a mené le pays à un taux de chômage record depuis ces 20 dernières années. 40% des travailleurs vivent dans la précarité. Par rapport à la hausse des prix, le gouvernement a montré une passivité, un manque total de sensibilité. Avec l’augmentation du prix des combustibles, de l’alimentation et du logement, cela fait, pour les travailleurs, 10% de plus à dépenser.
CONVERGENCE, ENSUITE ELARGISSEMENT
Le Bloc de Gauche a commencé comme expérience de convergence des courants de la gauche révolutionnaire portugaise. Au début, il y avait la section portugaise de la Quatrième Internationale, le PSR. Il y avait l’UDP, qui était pendant la révolution la plus grande organisation de la gauche radicale portugaise. L’UDP vient de la tradition marxiste-léniniste (maoïste). Il y avait aussi un groupe de dissidents du Parti communiste qui avaient quitté le PC au début des années 90. Il y avait aussi beaucoup d’indépendants qui venaient de différentes expériences révolutionnaires de la gauche portugaise depuis la révolution. Avec ces composantes initiales, nous avons décidé de ne pas constituer une coalition ou un front électoral, mais de commencer la construction d’un mouvement avec des structures propres, avec des espaces de démocratie, avec l’élection d’une direction, avec des structures de base et une intervention sociale et syndicale. Ainsi nous avons voulu créer une nouvelle entité militante de gauche.
Ce processus est maintenant très développé après tant d’années. Chaque année il y a eu un congrès, le Bloc de Gauche a une vie démocratique propre, il y a des tendances qui se constituent, il y a des minorités qui se font élire à la direction nationale et une expression libre. Il n’y a aucun autre parti politique au Portugal avec un niveau de liberté d’expression interne et publique tel que celui du Bloc de Gauche.
Et les deux principaux groupes qui ont constitué le Bloc : les trotskystes du PSR et les maoïstes d’UDP, ils existent toujours comme organisation politique ? Ca fonctionne ?
L’ambiance est plutôt détendue. La libre expression des idées est très respectée et la discussion est ouverte. Les courants sont permis. Tout le monde a le droit de créer une publication, de la diffuser au sein du parti. Les courants respectent ce droit. Ils organisent des cours de formation, ils invitent les militant(e)s du Bloc de Gauche à y participer. Les différents courants dans le Bloc de Gauche sont une richesse et c’est notre force. Ca se passe bien. Tout le monde a le droit d’adhérer ou ne pas adhérer à un courant du Bloc, à y participer ou à limiter sa participation au Bloc de Gauche sans être membre d’un de ses courants.
Le Portugal a vécu une révolution. Il y a eu beaucoup de courants révolutionnaires, qui se différenciaient sur des choses qui apparaissaient à l’époque comme très importantes, mais ces années sont révolues et donc une des choses que le Bloc a dû faire, c’était gérer cette expérience de conflit, de sectarisme dans la gauche, de faire un bilan de ça. Il était important de trouver et de définir ce qu’il y avait d’important à faire dans la société portugaise actuelle. Aujourd’hui au Portugal, on subit un dégât social total à cause de la politique libérale. Pour lutter contre la politique libérale, contre le capitalisme tel qu’il s’exprime aujourd’hui au Portugal avec une très grande brutalité sociale, l’extrême gauche, la gauche radicale, les révolutionnaires, les alternatives et ceux qui sont sortis du PC ont dû surmonter leurs différences antérieures et trouver ce qu’il fallait faire en commun…
Pourquoi le parti communiste portugais, le PCP, n’est-il pas dans le Bloc de Gauche ?
On voulait faire quelque chose de différent. Le Parti communiste portugais est nostalgique de l’Union Soviétique (ils ont la Corée du Nord comme modèle, ils disent que c’est une forme de démocratie). Ensuite pour eux la relation entre le PCP et la lutte sociale est une relation de tutelle. Ils conçoivent le mouvement syndical comme une prolongation du parti communiste. Cela a des conséquences très négatives au niveau des capacités de lutte du peuple et des travailleurs au Portugal. Cette erreur a eu des conséquences tragiques pour la mobilisation et pour la crédibilité de la gauche. Et pour finir, le PCP est très hostile au Bloc de Gauche. La presse du PCP est très agressive envers nous. Il existe un travail commun avec le PCP quand il y a des grandes mobilisations populaires, des grèves générales, des manifestations contre la guerre, mais notre culture politique, nos références concernant le socialisme, nos projets politiques sont très différents.
Quel type de relation avez-vous avec le mouvement social et syndical ?
Dans le mouvement des travailleurs, le Bloc de Gauche a souvent des élus. Nous sommes présents avec une large majorité dans la direction de la commission des travailleurs de la plus grande entreprise industrielle du pays : Volkswagen au sud du Lisbonne. Nous sommes aussi très engagés dans le mouvement des immigrés, des sans papiers. Nous essayons de nous lancer dans le mouvement des précaires et de le connecter avec le mouvement des travailleurs immigrés. Ainsi nous essayons de créer une stratégie de convergence entre les luttes des travailleurs en opposition à la fragmentation de la lutte et à la précarisation des relations au travail.
Vous êtes membres du Parti de la Gauche Européenne, tandis qu’ici vous participez à la rencontre de la gauche anticapitaliste européenne, n’est-ce pas contradictoire ?
Nous essayons d’écouter des voix différentes de la Gauche Européenne. Tout en participant au Parti de la Gauche européenne PGE, le Bloc de gauche portugais ne partage pas les options de participation au pouvoir de certains partis centraux dans le PGE, comme Rifundazione Comunista en Italie. Nous ne faisons pas ce choix-là. Nous avons un choix stratégique totalement différent. Nous voulons constituer une force d’opposition, d’antagonisme social. Nous refusons le capitalisme, donc notre stratégie est totalement différente.