L’activisme de Nicolas Sarkozy et la multiplication des réunions de crise sont à la mesure de la panique qui a saisi les cercles dirigeants du monde capitaliste. L’addition des plans de sauvetage décidés par les principaux États se chiffre à plus de 3 000 milliards d’euros. Une somme faramineuse qui, si elle était mobilisée pour satisfaire les besoins élémentaires de la population, permettrait d’éradiquer la faim et les principales épidémies, et de donner également accès à l’éducation et à l’eau potable, pour la totalité de la population humaine. Qu’apparaissent bien dérisoires les « trous » de l’assurance maladie, des caisses d’assurance vieillesse, des « sous-capitalisations » d’entreprises publiques, comme La Poste, qui rendrait nécessaire leur privatisation, trous qui ne se chiffrent qu’à quelques centaines de millions d’euros ou quelques milliards !
Le plan de sauvetage d’un système en faillite montre la collusion d’intérêts entre la sphère dirigeante politique et économique. Derrière les discours trompeurs sur la défense des petits épargnants, c’est au contraire une immense bouée de secours qui est lancée, au frais de la société, au grand capitalisme globalisé. Mais ces centaines de milliards sont finalement peu de chose face aux milliers de milliards de créances douteuses que ne veulent plus s’échanger les banques. La grande décision, prise les 11 et 12 octobre, la garantie d’État aux prêts interbancaires, après une longue série de réunions internationales et européennes, vise finalement à faire subir le coût de la folie du système bancaire à l’ensemble de la société. Rappelons que 180 000 ménages surendettés continuent à subir l’étranglement du remboursement de dettes, dont les banques et les crédits à la consommation sont les premiers responsables…
Nous ne participons pas à l’union sacrée qui vise, en dernier ressort, après avoir poussé quelques cris sur l’immoralité du système, à accepter le plan Sarkozy, concocté par les dirigeants de l’Eurogroupe et annoncés par un curieux aréopage. Dimanche 12 octobre, aux côtés de Sarkozy, s’affichaient les très importants présidents de la Commission de Bruxelles, de la Banque centrale européenne, et le principal dirigeant du plus important paradis fiscal de l’Union, le Premier ministre luxembourgeois… Tous ces dirigeants, dotés comme on le voit d’une très forte légitimité démocratique, sont bien représentatifs de l’opacité des institutions capitalistes européennes. Des pompiers prêts à tout pour sauver les intérêts des possédants qui, comme leurs amis américains, souhaitent conserver le néolibéralisme, mais sont également prêts, s’il le faut, à jeter celui-ci à la poubelle. Quel pragmatisme après vingt-cinq ans d’idéologie, de religion du tout-marché ! Et certains, à gauche, de se féliciter de l’apparition d’un directoire européen !
Nous nous battons pour un plan de sortie du capitalisme, pas un plan de sauvetage de celui-ci. Une riposte anticapitaliste, c’est finalement l’entrée en scène de celles et ceux qui paieront la crise s’ils en restent spectateurs. La question décisive des semaines et des mois qui viennent est la capacité du monde du travail à se mobiliser autour de ses propres perspectives, non seulement pour ne pas subir de nouvelles dégradations des conditions de vie, mais également pour tracer des perspectives de rupture. Aujourd’hui encore plus qu’hier, défendre ces intérêts, implique d’offrir une alternative globale au système. En commençant, très concrètement, par tout ce qui permet de défendre l’emploi, le pouvoir d’achat, les services publics, le droit de vivre ensemble le week-end…
C’est pourquoi le collectif d’animation nationale du NPA a proposé une réunion d’urgence de toute la gauche sociale et politique, afin de discuter ensemble des moyens de la riposte. Il est décisif qu’un front se constitue pour offrir des repères, des perspectives, dans une situation de crise profonde du système capitaliste, dont le coût de résolution pourrait s’avérer dramatique pour le plus grand nombre. Dans ce cadre de nécessaire riposte unitaire, nous proposons les mesures anticrise suivantes, le début de construction d’un front de mobilisation et de luttes pour rompre avec celui-ci : prendre le contrôle du système financier et bancaire en expropriant les décideurs et propriétaires actuels, en mettant à l’échelle nationale ou européenne un service public bancaire unifié, dirigé par la population et les salariés du secteur, et qui pourrait financer les priorités décidées par la population (services publics, mutation écologique…) ; augmenter le pouvoir d’achat immédiat de l’ensemble de la population de 300 euros net et fixer à 1 500 euros net le salaire et le revenu minimum ; bloquer tous les plans de licenciements en interdisant ceux-ci par la loi, et promouvoir l’emploi pour tous et toutes par la création d’emplois utiles socialement dans les services publics et par une réduction du temps de travail accompagnée, ce coup-ci, d’une embauche proportionnelle obligatoire ; un plan de sortie de la précarité, qui pourrait comporter la suppression de tous les contrats précaires, la mise en œuvre d’allocations pour la dépendance et pour les jeunes en formation, l’annulation de la dette des familles surendettées…
Pierre-François Grond
ILS VEULENT MAINTENIR LEURS DIVIDENDES : Aucun licenciement n’est tolérable
Les conséquences de la crise financière ne se font pas attendre. Les menaces de licenciements s’accumulent dans l’automobile et l’immobilier.
Les pompiers de la finance sauvent la maison en feu, mais ils sacrifient délibérément les habitants : telle est l’image de ce qui se passe depuis quelques jours. Seuls les cris d’alerte des ouvriers de Renault-Sandouville (lire ci-dessous) témoignent de cette vérité. Mais ils sont trop isolés. L’incendie s’est déjà propagé à « l’économie réelle », dans l’automobile, dans l’immobilier, dans une myriade d’entreprises sous-traitantes menacées de perdre des commandes. Les chiffres du chômage sont déjà montés en flèche, et les prévisions de croissance sont descendues à zéro pour de longs mois. La crise sociale va donc subir une amplification mondiale, pendant que les actionnaires vont, peut-être, retrouver le sourire ou se payer des repas à 150 000 euros, comme les courtiers de la banque Fortis à Monaco.
Dans l’automobile, la crise est d’ores et déjà gravissime. Les trois « géants » américains, GM, Ford et Chrysler, sont au bord de la faillite. L’action GM a perdu 80 % en quelques mois. Les ventes automobiles plongent de 27 % aux États-Unis. Les retombées en Europe se propagent à grande vitesse, avec des annonces en rafale de plans de licenciements ou de fermetures, amplifiant ceux qui sont en cours (Ford-Blanquefort, GM-Strasbourg).
À Renault-Sandouville, Sarkozy et le PDG de l’entreprise, Carlos Ghosn, essaient de soigner leur « com », Renault restant une entreprise politiquement sensible, qui pourrait donner le signal d’une résistance de dimension nationale. Mais il ne faut pas s’y tromper. Le « nouveau véhicule » annoncé pour 2012 consiste, en réalité, à pousser dehors le plus vite possible les 3 800 salariés de Sandouville, au moyen du chômage partiel et à coup de baisses de 400 euros de salaire par mois. Pour autant, Renault n’est nullement en faillite. Les 6 000 emplois supprimés ne visent qu’à imiter la stratégie de la finance en garantissant une rentabilité encore plus élevée. Mais tout cela se fait sur un marché occidental plus étroit, où la concurrence est prédatrice. Une étude du cabinet d’expertise Apex, fin 2007, annonce qu’une vingtaine de sites de constructeurs et d’équipementiers sont menacés et compare la branche automobile aux secteurs sinistrés de la sidérurgie et du textile.
Dans l’immobilier, les menaces sont peut-être encore plus sévères, car la brutalité des mouvements de prix et de capitaux y est forte. Le PDG de Nexity, plus gros promoteur de France, assis sur le capital des Caisses d’épargne (à 40 %), prévoit une chute des chantiers de 90 000 logements.Il indique que 180 000 salariés sont menacés de chômage (Le Monde 10 octobre). Toutes ces annonces se répercutent déjà sur les PME, où les faillites s’accélèrent et où « les licenciements pourraient arriver vite », selon Jean-François Roubaud, de la CGPME.
Alors que les financiers se protègent avec le bouclier des États, il est urgent d’imposer un plan de protection des emplois et des salaires. Les sommes astronomiques dépensées pour les banques prouvent qu’il y a des moyens, non pour que les propriétaires s’empiffrent de nouveau sous garantie publique, mais pour garantir le bien commun des populations.
Une coordination est nécessaire entre secteurs menacés, par exemple sous la forme d’une manifestation commune nationale. L’État n’hésite pas à « nationaliser » la finance, il n’y a pas de raison qu’il n’intervienne pas pour l’économie réelle dans l’automobile et le logement. 15 % du capital de Renault est public : il faut mettre l’entreprise sous tutelle, avec un plan alternatif global pour les transports, individuels et collectifs. De même, un pôle public bancaire est immédiatement possible avec la Caisse des dépôts, les Caisses d’épargne, La Banque postale, Dexia, afin de couvrir un plan de développement massif du logement, économe en énergie. Les grands groupes doivent garantir un fonds de sécurité des salaires, sans chômage partiel, sans licenciement, dans toute l’économie.
Dominique Mezzi
Tous antilibéraux ?
Si elle n’avait pas des conséquences dramatiques pour des millions de gens modestes, la crise financière actuelle pourrait nous réjouir par les déclarations surprenantes qu’elle suscite de la part de personnages inattendus dans ce registre. « Nous assistons aujourd’hui à une forme de hold-up démocratique, c’est-à-dire une tentative de dictature des marchés financiers pour imposer leur loi aux pouvoirs politiques. » Hold-up, dictature, comme il y va ! Qui ça ? Mais un anticapitaliste notoire : Étienne Mougeotte ! Et c’est dans Le Figaro.
« Banques : un casse à 1 700 milliards ». Ça, c’est la « une » de Libération, après l’annonce des plans européens de recapitalisation des banques. Quant au Nouvel Observateur, il n’est pas en reste : « La crise est aussi leur défaite : mais où sont passés les libéraux ? » Alors, les grands médias seraient-ils tous devenus antilibéraux ? Il est vrai qu’après avoir chanté, pendant des décennies, la modernité du capitalisme, ils ont beaucoup à se faire pardonner… Néanmoins, certains maintiennent le cap. Ainsi, dans Le Point, Claude Imbert s’inquiète : « Craignons aujourd’hui que notre antilibéralisme impénitent ne trouve dans la crise un funeste regain ! Déjà, ses porte-voix s’efforcent d’imputer au système la panade nationale. Absurde ! Ce n’est pas la crise financière actuelle qui a défoncé la productivité française, entretenu un chômage record et enflé les déficits. C’est au contraire l’excès antilibéral de la providence d’État. »
Pourtant, comme l’attestent les dernières décisions des gouvernements, c’est surtout pour les banquiers que l’État est providentiel. Mais, bien sûr, pour les défenseurs du système, si l’État doit payer, il ne doit pas s’incruster. Ainsi, Christophe Barbier, dans l’Express : « Il s’agit en cette crise de réaliser des interventions, non des immixtions, encore moins des nationalisations. Oui au recours, non au retour. » De même, Le Monde Économie nous présente son « analyse de la semaine » sous le titre : « Nationalisations à durée déterminée »… Que d’innovations théoriques et de subtilités sémantiques ! Pour enrober une politique finalement assez simple : défendre jusqu’au bout les intérêts des possédants (riches), grâce aux impôts des salariés (modestes).
François Duval