1. Selon les cours de la bourse, la valeur d’une entreprise peut s’effondrer du jour au lendemain. Est-il
possible de s’émanciper de la bourse ? Comment ?
Dans la logique d’une économie capitaliste régie par la loi de la valeur, le cours boursier reflète les
anticipations de profit : c’est une sorte de droit de tirage sur la plus-value à venir. Jusqu’au milieu des
années 1990, les indices boursiers sont bien corrélés avec des indicateurs de profit. Le lien est ensuite
rompu, et les cours boursiers se mettent à croître exponentiellement en décrochant complètement de la
rentabilité réelle. Cette « exubérance irrationnelle », pour reprendre l’expression de Greenspan, repose sur
un socle objectif, qui est le flux permanent de capitaux « libres » à la recherche d’une hyper-rentabilité
engendré par la croissance des profits non investis. La déréglementation permet à ces capitaux de circuler
et de fondre, tels des oiseaux de proie, sur les segments les plus rentables.
Ainsi naissent les bulles qui
reposent sur une illusion fondamentale, celle que l’instrument qui leur permet de prétendre à une fraction
de la plus-value est aussi un moyen de la produire effectivement. Ce n’est qu’en tarissant la source qui
approvisionne ces capitaux que l’on peut imaginer un retour (improbable) à un fonctionnement normal
des Bourses.
2. En particulier, les entreprises doivent-elles se soumettre aux normes comptables qui en dépendent ?
Les nouvelles normes comptables (IFRS – International Financial Reporting Standard) conduisent à réévaluer
trimestriellement les actifs à leur valeur de marché, baptisée « juste valeur ». Tout le monde ou presque
s’accorde aujourd’hui à dire qu’elles accroissent la volatilité des cours et sont procycliques, notamment en
raison de leur interaction avec les règles prudentielles (dites Bâle 2). On se demande bien comment cette
monstrueuse absurdité a pu s’imposer à l’échelle européenne.
3. Est-on obligé de passer par la bourse pour assurer le financement des entreprises ?
Non, et d’ailleurs la Bourse n’assure que très partiellement le financement des entreprises. Sa contribution
a même pu être négative quand les entreprises pratiquaient à grande échelle le rachat de leurs propres
actions. Jusqu’au début des années 1980, l’investissement était financé à 70-80 % par autofinancement, le
reste étant fourni par le crédit ; les marchés financiers jouaient un rôle très marginal. Revenir à cette
configuration serait souhaitable, mais cela irait à l’encontre des intérêts des possédants, qui repose sur
une imbrication très étroite de la finance et des entreprises. En France, les sociétés non financières ont
ainsi versé 196 milliards d’euros de dividendes en 2007, mais elles en ont reçu 148 milliards.
4. Des entreprises (par exemple Clarins) annoncent qu’elles vont sortir de la bourse. Si ce mouvement
se développait, quelles pourraient en être les conséquences ?
Clarins est sorti de Bourse grâce à une OPA sur ses propres actions, après que leur cours ait perdu 36 % en
un an. C’est un moyen de sauver les meubles qui ne devrait tenter qu’un petit nombre d’entreprises parce
qu’il est évidemment risqué. On ne peut donc attendre une sortie en masse mais on pourrait en tirer
argument contre les privatisations. En Allemagne, l’Etat vient de renoncer à mettre sur le marché les 24,9 %
qu’il détient dans le capital deDeutsche Bahn - l’équivalent de la SNCF - « étant donné l’évolution actuelle
des marchés boursiers ». C’est un argument supplémentaire contre « l’ouverture du capital » de la poste.
5. Est-ce que cette crise, qui a entraîné des nationalisations partielles de banques, ne plaide pas en
faveur de la constitution d’un pôle financier public et de critères de gestion des banques distribuant le
crédit qui soient favorables à la création de richesses réelles et à l’emploi ?
Evidemment, parce qu’un pôle financier public permettrait d’orienter le crédit en fonction de priorités
définies selon d’autres critères que la rentabilité : ce qui est le plus rentable n’est pas forcément le plus
utile socialement. Puisque les gouvernements, même les plus libéraux, sont contraints dans l’urgence de
« nationaliser », il faut réhabiliter l’idée même de nationalisation, en disant que le crédit et l’assurance
devraient être des services publics gérés démocratiquement. Et si l’on veut être cohérent, il faudrait même
avancer l’idée d’une nationalisation intégrale parce que ce serait le seul moyen de s’assurer que l’argent
public injecté serve à autre chose qu’à éponger les dettes et rétablir le profit des banques.