Renault et Peugeot annoncent de nombreux jours de fermeture. En Allemagne, Daimler annonce un arrêt du 11 décembre au 12 janvier, cinq semaines pendant lesquelles aucune voiture ne sera montée. Les ventes de l’industrie automobile américaine ont baissé de 12,8 % cette année, et les patrons de la branche sabrent dans les emplois, évoquant une aide de l’État. Dans la sidérurgie, Arcelor-Mittal programme une baisse de 15 % de sa production en Europe, avec des arrêts différenciés selon les sites. Ainsi, l’usine de Florange (Moselle) s’arrêterait du 18-20 décembre jusqu’au 4-5 janvier. En fait, c’est l’industrie dans son ensemble, avec la construction et une partie des services, qui est emportée par la crise.
Il est désormais clair que l’ampleur de la crise renvoie à des facteurs « endogènes », pour reprendre le vocabulaire des économistes. Pour expliquer une situation, ceux-ci distinguent les facteurs « endogènes » (ceux qui tiennent au fonctionnement même de l’économie) des facteurs « exogènes » (politiques, par exemple). Les économistes libéraux tendent à attribuer les crises à des facteurs exogènes : ils sont tellement persuadés que les marchés, laissés libres de fonctionner, permettent d’aboutir à une situation « optimale », que les crises ne peuvent venir que de l’extérieur du système. Lors de la récession de 1974-1975, ils ont incriminé le choc pétrolier. En 1993, ils ont mis en cause Saddam Hussein et la première guerre du Golfe et, en Europe, l’impact de l’unification allemande. Alors que, dans les deux cas, les crises renvoyaient bien au fonctionnement de l’économie.
Cette fois, plus question de faire le coup du pétrole : le cours du baril est passé de 150 dollars en juillet à moins de 61 dollars le 23 octobre, malgré la décision des pays exportateurs de réduire leur production. La crise vient du système lui-même et, plus précisément, du partage salaires/profits. Comme l’a expliqué à maintes reprises Michel Husson, dans tous les grands pays capitalistes, sous des gouvernements de droite comme de gauche, depuis les années 1980, la part des salaires dans le PIB a baissé sans que l’investissement ne reparte. Pendant des années, on a dit aux salariés que « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Et cela n’a pas fonctionné : les investissements se sont ajustés à des débouchés comprimés par la rigueur salariale et le surcroît de profit est allé aux placements financiers ! Ceux-ci se sont développés dans un contexte de déréglementation financière, laissant les banquiers libres d’imaginer des produits de plus en plus compliqués et spéculatifs. D’où, d’abord, l’éclatement de la bulle financière, puis la propagation de la crise par un mécanisme de réactions en chaîne, du fait de la baisse de la demande des ménages et de l’investissement.
Ne pas toucher au partage entre salaires et profits, refuser la revalorisation des salaires, des pensions de retraite et des allocations-chômage : tel est le dénominateur commun des mesures prises aujourd’hui, en France et dans les autres pays capitalistes : des transferts massifs d’argent aux banques et, désormais, aux entreprises s’opèrent par des canaux variés. Sarkozy, le 23 octobre, a annoncé 275 milliards d’euros d’aide aux entreprises, dont 100 milliards par le biais d’un « fonds stratégique d’investissement ».
Par ailleurs, les affaires continuent. Certains groupes, tout en licenciant, se rapprochent ou se partagent les dépouilles de leurs concurrents ébranlés par la tourmente, notamment dans la banque et dans l’automobile. Ce n’est qu’un début : cette crise, comme les précédentes, stimulera le grand Monopoly capitaliste, dont les joueurs ne se font pas de cadeaux tout en étant d’accord sur l’essentiel.