Début septembre, démarrait en Colombie une grève illimitée des personnels du secteur judiciaire. Ce secteur subit en permanence les pressions de l’exécutif, que facilite la précarité de nombreux contrats de travail des personnels, notamment des juges. Il se trouve à l’épicentre des affaires touchant le président Alvaro Uribe, notamment avec l’enquête du service pénal de la Cour suprême de justice sur les liens d’une soixantaine de parlementaires de la majorité présidentielle (la plupart sont en prison) avec les paramilitaires. En outre, la visite, cet été, du procureur général de la Cour pénale internationale avertissant que, si l’impunité pour les crimes contre l’humanité persistait, il se chargerait de poursuivre les plus hauts responsables politiques, a poussé la tension à son maximum.
Pour briser cette grève, d’une durée historique, qui bloquait les tribunaux du pays entier, le président Alvaro Uribe a décrété, le 9 octobre, l’état d’urgence. D’autres secteurs ont cependant suivi, en plaçant les libertés syndicales, démocratiques et les salaires au centre de leurs revendications.
Dans le Cauca (sud du pays), 18 000 travailleurs de la canne à sucre paralysent la production sucrière et d’agrocarburants depuis le 15 septembre. Ce jour-là, une centaine d’ouvriers ont été blessés à la suite d’une action concertée de l’armée, de la police anti-émeute et de la sécurité privée des usines sucrières. Ce secteur de l’agro-industrie, qui occupe 50 % des terres du département, s’avère florissant côté patronal, bénéficiant d’exemptions fiscales et du boom de l’éthanol. Côté travailleurs, c’est de l’esclavage moderne, synonyme de faim et de misère. Ceux-ci travaillent à la pièce, quatorze heures par jour, et ils ne sont pas liés par un contrat de travail (ce qu’ils veulent), mais par le biais de coopératives de travail associé : ils doivent payer outils, frais de santé, retraite, congés, etc. Malgré la répression, les menaces de perdre leur travail, les arrestations et l’expulsion d’observateurs internationaux, leur lutte continue, grâce à la solidarité politique et matérielle de nombreuses organisations sociales.
À son tour, le 12 octobre, la Minga nationale de résistance indigène et populaire (marche nationale de résistance) s’est soulevée dans seize départements contre les traités de libre commerce, la loi sur le statut du développement rural, qui légalise le vol des terres par les paramilitaires, et pour obtenir des terres cultivables. La Colombie compte une population indienne de 1,3 million d’individus, dont plus d’un tiers sont sans terre. Du fait de l’intérêt stratégique de leurs territoires, ces populations se trouvent confrontés à l’avancée des projets d’exploitation des ressources naturelles par les multinationales. Ce sommet itinérant dénonce l’assassinat de plus de 1 200 Indiens et le déplacement forcé de plus de 50 000 autres, en six ans de gouvernement Uribe.
Dans le Cauca, la Minga a coupé la route panaméricaine. La répression des forces armées a fait trois morts et 101 blessés, la plupart par balles. Jeudi 23 octobre, environ 500 000 travailleurs ont cessé le travail en solidarité et contre l’état d’urgence, à l’appel de la Centrale unitaire des travailleurs. Dans le même temps, la Minga est arrivée à Cali, où 40 000 Indiens et coupeurs de cannes à sucre se sont concentrés, bien décidés à ne pas rompre l’unité, en dépit des manœuvres gouvernementales pour diviser et discréditer le mouvement.
Ce redoublement de mobilisations sociales, leur ampleur et leur convergence déstabilisent ceux qui pensaient museler les luttes civiles par la guerre sale. La répression risque fortement de se renforcer dans les jours à venir. À l’état d’exception, il convient donc de répondre par l’état d’urgence de la solidarité.