La campagne présidentielle aura été percutée par la crise, qui marque la fin d’un modèle [1]. Depuis
au moins dix ans, la croissance US était fondée sur une sur-consommation des ménages, tirée par
l’endettement qui était lui-même « légitimé » par l’illusion de l’enrichissement boursier. Le déficit
commercial qui en résultait était financé par un afflux permanent de capitaux venant du reste du
monde. Ce modèle avait subi un premier choc en 2000, avec l’éclatement de la « bulle Internet ».
Les Etats-Unis n’en étaient sortis que grâce aux dépenses militaires, au déficit budgétaire, et à une
nouvelle fuite en avant dans l’endettement avec la bulle immobilière. Ce modèle est au bout du
rouleau, parce que le recours à l’endettement est bloqué pour longtemps et que l’incertitude la plus
grande pèse sur la capacité des Etats-Unis à attirer des capitaux.
Le nouveau président va se trouver confronté à une véritable débâcle. L’économie est entrée en
récession, les retraités sont en grande partie ruinés par les fonds de pension, le système de santé est
trop cher pour un nombre croissant de salariés, et le déficit budgétaire va être plombé par le coût
du sauvetage des banques. Dans ces conditions, la crise économique va forcément prendre la forme
d’une crise sociale très profonde. L’une des caractéristiques du modèle US est en effet un
creusement spectaculaire des inégalités : la part du revenu total allant aux 10 % les plus riches a
considérablement augmenté depuis l’arrivée de Reagan, passant de 35 % à près de 50 % (comme en
1928 !). Cela veut dire que la croissance récente n’a pas profité à l’écrasante majorité de la
population, dont le niveau de vie a stagné, voire reculé. La crise de ce modèle va entraîner une
augmentation du taux d’épargne, donc un ralentissement durable de la consommation et de la
croissance, qui pourrait d’ailleurs être une issue au déséquilibre extérieur. Mais ce nouveau modèle
ne serait viable qu’à la condition d’une réduction considérable des inégalités. McCain n’envisage
évidement pas une telle possibilité, et Obama ne propose qu’une réforme fiscale trop modeste pour
infléchir significativement la répartition des revenus.
C’est la grande contradiction. La seconde en est un corollaire : sans profonde réforme fiscale, il n’y
aura pas de marge de manœuvre budgétaire pour agir réellement sur l’emploi, la santé et les
pensions, et la crise sociale s’approfondira. Bien qu’Obama ait fait campagne sur la question
sociale, son programme n’apporte pas de réponses substantielles, et on peut donc partager
l’analyse de deux économistes américains qui montrent pourquoi « les politiques de l’un ou l’autre
des deux candidats ne seraient pas très différentes, une fois arrivé au pouvoir » [2].
Face à l’ampleur de la crise, le programme d’Obama est sous-dimensionné et celui de McCain est
inconsistant. Deux scénarios sont alors possibles. Le premier – business as usual – viserait à
reconduire le même modèle, en lui trouvant un nouveau point d’application avec l’aide des
milliards de dollars du plan Paulson. Cela pourrait prendre la forme d’une « bulle verte », dont la
destinée serait la même que les précédentes. Il faudrait y ajouter quelques réformes fiscales, une
dose de protectionnisme, une nouvelle baisse du dollar et des pressions politiques exercées sur les
pays pourvoyeurs de financement. Cela implique l’entrée dans une véritable guerre commerciale et
économique avec la majeure partie de la planète, en commençant par l’Europe et le Japon. L’autre
scénario verrait la mutation d’Obama, s’il est élu, en nouveau Roosevelt, contraint à un New Deal
bis allant à l’encontre des intérêts sociaux dominants. Il n’est pas complètement exclu mais dépend
d’autre chose que la bonne volonté d’Obama, à savoir la trajectoire de la crise et l’essor des luttes
sociales aux Etats-Unis.