La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) continue à demander à l’OMC d’imposer le respect des normes fondamentales du travail dans les accords de commerce. Cette proposition, soutenue à Seattle par l’Union européenne et les Etats-Unis, s’est à nouveau heurtée à une forte opposition des pays en développement, ceux-ci qualifiant cette démarche de protectionniste.
Comment L’OMC, fondée pour mieux imposer sur le plan commercial les politiques néolibérales, pourrait-elle faire une chose et son contraire : s’attaquer à toute les entraves au « libre jeu de la concurrence » et imposer le respect des droits humains fondamentaux ?
Les termes du débat
La demande d’inclure, dans les relations commerciales internationales, des normes sociales, et plus précisément des clauses sociales, environnementales et démocratiques, est avancée, surtout au Nord, aussi bien par des associations patronales, des Etats que par des organisations syndicales, sociales et non gouvernementales.
Les éléments qui nourrissent le débat sur les clauses sociales sont essentiellement de deux ordres.
Il y a d’une part le « dumping social ( concurrence dite déloyale) lié à une différence de coût de la main-d’œuvre entre certaines zones géographiques.
Dans la mesure où les pays du Sud et de l’Est bénéficient d’avantages concurrentiels indus, en raison de bas salaires et de systèmes de protection sociale moins avancés, il serait équitable d’instituer un impôt visant à effacer tout ou partie de cet « avantage » injustifié.
D’aucuns n’hésitent pas à attribuer à ce « dumping social » une des causes majeures du développement du chômage dans les pays industrialisés.
Dans le monde patronal du Nord, ce sont les secteurs les plus exposés aux importations de produits fabriqués à faible coût de main - d’œuvre (ex. T-H-C, textile, habillement, cuir) qui prônent les clauses sociales.
Pour les organisations syndicales et humanitaires qui proposent les clauses sociales, il s’agit surtout d’imposer l’obligation de garantir les droits sociaux fondamentaux (droits syndicaux, abolition du travail des enfants, etc) définis par l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Ce sont les pays en développement qui sont de fait les premiers visés par la demande de clauses sociales.
La Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) insiste toutefois sur le double objectif de la clause sociale : forcer le respect des droits humains fondamentaux et empêcher des sociétés sans scrupules à obtenir un avantage concurrentiel.
La clause environnementale joue, quant à elle, exactement le même rôle, mais dans son domaine. Par son instauration, il s’agit de s’opposer à la commercialisation de biens et de services dont les composantes ou les procédés de finalisation se révéleraient contraires à une gestion soutenable de l’environnement.
Dans le sillage des deux premières, la clause démocratique fustige les pays qui ne respectent pas les règles élémentaires des droits de l’Homme en les mettant au banc du marché international.
Sensibilisées plus particulièrement à la situation intolérable de la main-d’œuvre enfantine dans le monde, des organisations syndicales et humanitaires avancent des propositions telles qu’un fonds social international ou encore une banque de solidarité qui seraient alimentés par des taxes douanières imposées aux pays qui ne respectent pas les normes établies par l’Organisation internationale du Travail. Cet argent devrait être ristourné à ces mêmes pays pour servir dans des programmes de développement.
Constatant que l’OIT ne dispose pas d’un système de sanctions pour inciter les pays à faire respecter ses conventions, les organisations syndicales internationales suggèrent la création d’un comité consultatif conjoint de l’OIT et de l’OMC capable, s’il le faut, d’imposer des mesures de rétorsions commerciales à l’encontre des pays récalcitrants.
Des questions de fond
Le débat et les propositions liés à la clause sociale soulèvent incontestablement des questions de fond, surtout si l’on se place dans une démarche de solidarité internationale, de transformation sociale, de réponse aux intérêts communs des travailleurs et des populations du Nord, du Sud et de l’Est de la planète.
Comment lutter contre le chômage, les délocalisations d’entreprises ? Comment préserver et renfor-cer les droits sociaux fondamentaux, la liberté d’association et de négociation, l’interdiction du tra-vail des enfants... ?
L’application de sanctions commerciales, sous l’égide de l’Organisation Mondiale du Commerce et destinées d’abord aux pays du Tiers Monde, peut-elle contribuer à apporter une solution juste, équitable et adéquate à ces problèmes ?
Dans le cadre des rapports de force actuels sur le plan mondial, l’introduction de clauses sociale, environnementale et démocratique ne risque-t-elle pas plutôt de pénaliser lourdement les travailleurs et les populations ?
C’est plus fondamentalement le débat sur l’ingérence et la conditionnalité qui est ici posé.
Prôner le droit d’ingérence sociale ou encore le protectionnisme économique ... à but social, comme le proposent certaines organisations syndicales vis-à-vis d’Etats du Sud et de l’Est, qui tolèrent le dumping social et le non respect des normes de l’OIT, n’est-ce pas prendre le risque de jeter la con-fusion sur les vrais responsables du chômage, de la misère, aussi bien au Nord qu’à l’Est et dans le Tiers Monde, à savoir de puissants groupes financiers et économiques (avant tout les sociétés trans-nationales) qui opèrent sur le terrain mondial ?
N’est-ce pas cautionner, sans le vouloir, le renforcement du protectionnisme économique au détriment des pays dits en développement (PeD) ?
N’est- ce pas également prendre le risque d’occulter la responsabilité écrasante des institutions du Nord, financières ( FMI, Banque mondiale), économiques (OMC) et politiques ( G7) dans l’appauvrissement généralisé du Tiers-Monde ?
Et, finalement, une telle attitude ne tend-elle pas à opposer les travailleurs de différents secteurs, régions et pays, en provoquant ou en aiguisant encore davantage la concurrence entre eux ?
Le débat sur les clauses sociales renvoie en quelque sorte à la question de fond : comment concréti-ser aujourd’hui la solidarité entre travailleurs, syndicats, organisations sociales, populations du Nord et du Sud, sur quels objectifs mettre en œuvre cette solidarité ?
Dumping social
Le dumping social lié au faible coût de la main d’œuvre doit être apprécié en référence au coût unitaire de la main-d’œuvre, donc à la productivité.
Il serait bien hasardeux de parler de « concurrence déloyale » quand la différence du coût salarial chez des producteurs locaux au Sud et à l’Est (mais aussi au Nord) , se combine à une productivité bien inférieure à celle de multinationales (ou de sous-traitants).
Dans ces entreprises, les bas salaires reflètent pour l’essentiel les différences de niveaux de productivité, et toute mesure tarifaire (prélèvements douaniers) et non tarifaire(limitation des quota d’importation) tendrait à freiner les ventes des pays du Sud, voire à les éliminer totalement en cas de mise à niveau intégrale des coûts salariaux.
Par contre, si Nike et Adidas sous-traitent en Asie 99% de leur production, c’est bien évidemment parce que les salaires payés aux ouvrier(e)s asiatiques est dérisoire en comparaison avec une productivité élevée.
Les rapports entretenus par les multinationales avec les sous-traitants, surtout dans le Tiers Monde, éclairent les responsabilités dans le dumping social. Ce sont les sous-traitants qui doivent répondre des risques liés à la production. Ils sont systématiquement poussés à rechercher les coûts les plus bas. Ceci aboutit à de nombreux déplacements et délocalisations de la production, les multinationales ne se privant pas de chantage, d’intimidation et de répression de l’activité syndicale. Cela force également de nombreux sous-traitants à violer les législations nationales et les normes de l’OIT, malgré l’existence de « codes de bonne conduite », adoptés par Nike ou d’autres firmes réseaux.
Le débat sur les clauses sociales, environnementales et démocratiques ne peut se faire en dehors de leur contexte économique, politique, institutionnel, et plus précisément en dehors de la mondialisation du capital, de la mondialisation « excluante ».
Cette mondialisation se caractérise surtout par une concurrence acharnée entre les grands groupes industriels, et d’abord les sociétés transnationales, au sein de la Triade (Union européenne, Amérique du Nord, Japon). Les STN (surtout les 200 premières) contrôlent d’une manière ou d’une autre plus de 70% des investissements et du commerce mondial.
Cette mondialisation se réalise plutôt par un processus d’intégration sélective dans un marché mondialisé.
Protectionnisme des nantis
« Les firmes transnationales et les pays de la Triade ne sont intéressés que par des rapports sélectifs qui ne concernent plus qu’un nombre limité de pays du Tiers-Monde. Certains pays sont éventuellement encore requis comme sources de matières premières (en fait de moins en moins). D’autres le sont surtout par le capital commercial concentré, comme bases de sous-traitance délocalisée à très bas coûts de salaires. Un petit nombre d’autres pays enfin sont attractifs du fait de leur marché intérieur potentiel énorme (la Chine par exemple). Mais, en dehors de ces cas précis, les firmes de la Triade ont besoin de marchés et n’ont surtout pas besoin de concurrents industriels de premier plan... » ( F. Chesnais, La mondialisation du capital, 1994).
Sous couvert de bonnes intentions, la clause sociale avancée pour faire échec au « dumping social » peut justifier le pire des protectionnismes : celui des nantis.
Ce protectionnisme existe déjà bel et bien.
Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) le dénonçait déjà, on ne peut plus clairement, dans son rapport 1992 : « Sur 24 pays industrialisés, 20 sont dans l’ensemble plus protectionnistes qu’ils ne l’étaient il y a dix ans, et leur protectionnisme s’exerce principalement à l’encontre des biens des pays en développement(...). Dans l’ensemble, on peut estimer très approximativement à 500 milliards de dollars par an le coût des restrictions des marchés mondiaux pour les pays en développement. Ces 500 milliards de dollars de pertes représentent environ 20% du PNB global actuel des pays en développement et environ sept fois leurs dépenses actuelles allouées aux priorités en matière de développement humain » ( pp. 69 et 74).
S’il y a des clauses sociales, écologiques et démocratiques à mettre en application, s’il y a des mesures de rétorsion à prendre pour concurrence déloyale et surexploitation de la main-d’œuvre, c’est bien avant tout à l’égard des sociétés transnationales qui contrôlent plus de 70% des investissements et du commerce mondial, qui vont de délocalisations en délocalisations, qui poussent systématiquement leurs sous-traitants à la recherche de coûts de production les plus bas, qui pratiquent la répression syndicale dans les zones franches industrielles...
Clause sociale et droits sociaux fondamentaux
Les organisations syndicales, sociales et humanitaires qui prônent les clauses sociales, le font surtout en référence aux droits sociaux fondamentaux.
La préoccupation de ces organisations est de se doter d’outils efficaces et contraignants pour le respect des normes sociales fondamentales (conventions de l’Organisation internationale du Travail : liberté d’association, de négociation, interdiction du travail des enfants, du travail forcé, non discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion, l’opinion politique, etc).
La distinction entre normes sociales et clauses sociales est ici importante à faire.
L’OMC et la clause sociale
La clause sociale pourrait-elle relever des traités commerciaux et par conséquent de la compétence d’organismes internationaux comme l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ?
Dans une déclaration commune, les trois organisations syndicales internationales (CISL, CMT et CES) ont proposé la mise sur pied d’un comité consultatif conjoint de l’OIT et de l’OMC pour la mise en œuvre de la clause sociale. Et, souligne un document de la CISL, s’il s’avère qu’un pays n’est pas décidé à respecter les principes contenus dans les normes de l’OIT, alors « l’OMC pourra décider de la réponse commerciale multilatérale appropriée » (document de travail de la CISL pour la première réunion ministérielle de l’OMC, Singapour 9-13 décembre 1996 ).
Cela pose le problème de la fonction, du rôle, de la légitimité de l’OMC comme organisme garant des droits sociaux fondamentaux.
Comment l’OMC, qui est exécutrice du dogme libéral, pourrait-elle faire une chose et son contraire : s’attaquer à toutes les entraves au « libre jeu de la concurrence » et, en même temps, réglementer cette dernière ? Comment pourrait-elle prendre en considération les droits économiques, sociaux et culturels des individus et des peuples, alors que toute la « logique » de la concurrence (y compris la concurrence entre travailleurs), de la compétitivité vont à l’encontre de ces droits ?
Afin de mieux imposer les politiques néolibérales, l’OMC doit leur donner forme et force de loi. Sa conception, sa Constitution et son fonctionnement (s’appuyant sur l’Organe de règlement des différents - ORD - et sur l’Organe d’examen des politiques commerciales, avec le FMI et la Banque mondiale) en sont l’illustration.
Le FMI, la Banque Mondiale et les droits de l’Homme
Les organisations syndicales internationales, de même que certaines organisations humanitaires sont favorables à une coopération non seulement entre l’OIT et l’OMC, mais plus largement avec d’autres institutions internationales comme la Banque Mondiale, voire également le FMI.
On ne peut prôner les clauses sociales, environnementales et humanitaires pour le respect des normes sociales fondamentales et les droits de l’Homme sans se poser la question de la responsabilité du FMI et de la Banque Mondiale dans la mise en question de ces droits fondamentaux.
Les réformes macro-économiques prônées et imposées par le FMI et la Bm vont de fait à l’encontre des droits de l’Homme, droits économiques, sociaux, culturels et politiques.
La mondialisation de l’économie capitaliste est conduite par une réorganisation des investissements directs contrôlés par les grandes multinationales qui utilisent la libéralisation des marchés financiers. Ces investissements directs réorganisent en profondeur le travail à l’échelle mondiale, mettant en compétition, en concurrence chaque système social, chaque unité productive.
La politique d’ajustement structurel du FMI est une politique d’ajustement à cette réalité. Le rôle « régulateur » du FMI n’est pas conçu pour limiter le pouvoir des marchés financiers, spéculatifs, mais bien pour surveiller les politiques financières des pays en développement.
Tout le monde le sait, depuis la crise mexicaine de la dette de 1982, le FMI et la Banque Mondiale ont pour fonction la mise sous tutelle-de facto, la négation de la souveraineté- des pays endettés du Sud et de l’Est.
Les programmes d’ajustement structurel sont un ajustement des pays pauvres aux exigences des pays riches. Ou, plus exactement, c’est un ajustement des populations pauvres des pays pauvres aux exigences de la réorganisation des investissements directs contrôlés par les grands groupes économiques internationaux. C’est également un ajustement au sein des pays pauvres, des couches pauvres ou paupérisées aux exigences des couches aisées tirant profit de cette nouvelle dépendance.
Cet ajustement se fait dans un contexte de décrochage de secteurs entiers de l’économie mondiale au plan des échanges, d’une mondialisation excluante.
Ces mêmes mécanismes sont à l’œuvre un peu partout dans le monde. Au Nord comme au Sud et à l’Est, ils se traduisent pas la diminution du niveau de vie , l’augmentation du chômage, la dégradation des conditions de vie, l’exclusion sociale...
Une fois campé ce cadre d’analyse, on peut décoder la relation entre les PAS et les droits de l’Homme.
Quatre générations des droits de l’homme ou de la personne humaine- car l’émergence des droits de l’homme au plan conceptuel, puis constitutionnel s’est faite en excluant les droits des femmes- peuvent être repérés.
La première génération a trait aux droits civils et politiques individuels.
La deuxième concerne les droits sociaux, culturels, économiques (droit au travail, au revenu, au logement, à l’éducation, la santé, etc.). Ces droits furent inscrits dans les législations sociales de l’après seconde guerre mondiale.
La troisième génération apparaît dans les années 60. Symboliquement, elle est portée sur les fonds baptismaux par la résolution 1514 de l’Organisation des Nations unies contre le colonialisme. Le droit à l’autodétermination des peuples devient alors un droit de l’Homme. Après 1968, une nouvelle série de résolutions de l’ONU consacre de nouveaux droits aussi bien pour les individus que pour des groupes sociaux. Ce sont les conventions contre le racisme, les droits des femmes, les droits des enfants, etc.
Une dernière génération apparaît avec une sorte de droit de l’humanité, le droit à la survie. Ce sont les droits faisant référence non seulement à l’alimentation, à l’énergie, mais aux grands problèmes dits écologiques. Le Sommet de Rio, au-delà de son hypocrisie officielle, consacre la reconnaissance de ce nouveau type de droit.
Ces quatre générations de droits ne peuvent être dissociées.
« Ajustement structurel » et respect de la personne
Si l’on mesure les PAS du FMI (en coordination avec la Bm) à ces diverses générations de droits de la personne humaine, on se rend rapidement compte de la contradiction intrinsèque entre le respect de ces droits et les politiques menées par ces deux institutions spécialisées de l’ONU.
Ces droits sont un à un battus en brèche par les effets directs et indirects des « modèles » macro-économiques proposés par le FMI et appliqués sous la contrainte de la conditionnalité des prêts (l’application des PAS est une condition imposée pour avoir accès aux prêts du FMI et de la Bm).
Il est tout d’abord important de remarquer la déconnexion opérée dans les discours du FMI, de la Bm ou encore du G7 (le groupe des 7 pays les plus puissants de la planète) entre les droits individuels (liberté d’expression, d’association, élections, etc.) et les droits sociaux. Le concept de « bonne gouvernance », pour avoir accès aux prêts, renvoie en fait à la priorité du respect, tout à fait superficiel d’ailleurs, des droits individuels. Par exemple, les élections « libres » doivent concrétiser ce type de droits. Par contre, les droits sociaux sont des buts à atteindre, sans échéance, ou alors quand les PAS seront bien appliqués. Mais il est bien difficile de connaître le critère réel d’une bonne application.
A propos de droits individuels, il est singulier de constater que le FMI comme la Bm fonctionnent sur le régime censitaire. Le fonctionnement interne (pouvoir de décision) est fondé sur les apports financiers des pays membres : « un dollar égale une voix ». C’est ainsi que 49 Etats africains disposent ensemble d’un pourcentage de voix inférieur aux quelque 5% de la Belgique. Neuf pays, les plus industrialisés, possèdent 56% des droits de vote au sein du groupe des 24 administrateurs du FMI.Les Etats-Unis, le pays le plus endetté du monde, dispose de près de 20% des voix au FMI et à la Bm.
Ce régime censitaire est donc une négation du droit à l’autodétermination, droit de la troisième génération reconnu par l’ONU.
Ce régime implique l’irresponsabilité des gérants des PAS. En d’autres termes, le FMI et la Bm n’ont aucun compte à rendre aux pays placés sous ajustement structurel. Ces deux institutions sont d’autant moins portées à se remettre en cause que leurs programmes et réalisations ne sont soumis à aucun audit ni bilan critique indépendant.
Les chocs socio-économiques qu’imposent les PAS font que la mondialisation excluante se prolonge en exclusions brutales de couches entières de la population qui, de fait, sont exclues de l’exercice des droits civiques et politiques.
Quand, dans le monde (rapport PNUD 1997, p.26), il y a officiellement 1 milliard d’analphabètes dont 840 millions sont des adultes du Tiers Monde (dont 2/3 de femmes), ce sont les droits civils et civiques qui sont directement attaqués.
Toute la politique des PAS va également à l’encontre des droits sociaux. La suppression des subventions aux biens de première nécessité, les politiques budgétaires dictées par le FMI et qui conduisent à une destruction des services publics, le « tout à l’exportation » pour le service de la dette, etc., ces différentes mesures déclenchent des mécanismes d’appauvrissement et de paupérisation absolue, simultanément à l’amélioration du statut de quelques couches intermédiaires et privilégiées.
Un des aspects les plus graves, qui touche directement à la troisième génération des droits de la personne, a trait au droit des enfants.
Ainsi est-il courant d’entendre parler de malnutrition. La Banque mondiale le reconnaît, elle qui parle de « filets de sécurité » pour parer à l’appauvrissement provoqué par les programmes d’ajustement structurel. Ces « filets » sont d’ailleurs largement inefficaces.
Mais, chose plus grave encore, une dénutrition ou une malnutrition, durant trois ou quatre ans, a des effets de longue durée intergénérationnels. C’est le droit le plus élémentaire à l’existence future qui est mis en question par les pertes de capacité sur tous les plans, infligées aux enfants sous-alimentés. Ces effets sont cumulatifs et sur le long terme.
Quel fonctionnaire du FMI répondra de cette atteinte-là devant un tribunal des droits des enfants ?
Les PAS ont également des effets sur l’environnement et l’urbanisation. Il y a atteinte à la dernière génération des droits de l’Homme, aux droits de l’humanité, au droit à la survie.
Les programmes d’ajustement structurel mis en place par le FMI et la Bm ont ajouté aux contraintes qui pesaient sur les écosystèmes déjà fragiles (Susan George, L’effet boomerang, choc en retour de la dette, 1992).
Les lourds emprunts des années soixante-dix ont financé d’énormes projets, écologiquement dommageables. Quand le paiement de la facture fut exigé, comme cela a été le cas, surtout après que la crise de la dette eut éclaté en 1982, des quantités plus grandes encore de ressources naturelles furent liquidées pour l’honorer. Dans l’ensemble du monde, 43% de la forêt d’origine des pays en voie de développement sont déjà irrémédiablement perdus.
« Ainsi, la destruction des forêts du Tiers Monde est responsable d’à peu près un cinquième du changement climatique général qui nous menace et le taux d’émission de gaz à effet de serre résultant de la déforestation a augmenté de quelque 50% en dix ans seulement" (Susan George).
Ce rapport entre les PAS et les droits de l’Homme jette un éclairage particulier sur le Système de Préférences Généralisées (SPG) avancé par l’Union Européenne. Celui-ci vise à subordonner au respect de quelques normes sociales fondamentales de l’OIT l’octroi d’avantages commerciaux supplémentaires. Ce sont en quelque sorte des clauses sociales incitatives pour des pays du Sud introduisant dans leur législation des mesures visant la protection sociale, le respect de l’environnement ou encore l’abolition du travail esclavagiste.
Les bonnes intentions présidant à ce type de démarche ne peuvent toutefois laisser dans l’ombre la responsabilité écrasante des institutions financières et économiques internationales, des multinationales et des politiques néolibérales dans la violation des droits sociaux fondamentaux.
Normes, mobilisations et législations sociales
Faire respecter les normes sociales de l’OIT ou encore essayer de préserver l’emploi par des clauses impliquant des sanctions commerciales n’est pas nécessairement la solution la plus juste, équitable et adéquate pour mener à bien ces objectifs.
Du « protectionnisme à but social » à l’alliance tactique avec des patrons pour défendre « nos » entreprises, il n’y a qu’un pas vite franchi. Et celui-ci ne peut que conduire tôt ou tard à de plus grandes régressions sociales dans nos pays mêmes.
De même, des sanctions commerciales (blocus, boycott...) exercées à l’encontre de pays du Sud ou de l’Est risquent bien, comme nous pouvons le constater, d’être au seul désavantage des populations.
Certes, des mesures de boycott ou des sanctions vis-à-vis de pays, voire de sociétés, ne sont pas à exclure. L’important, c’est qu’elles soient décidées et réalisées à la demande des acteurs syndicaux et sociaux des entreprises et des pays concernés.
Il n’y a pas de raccourcis magiques : les avancées sociales et juridiques, tant au Sud qu’à l’Est et au Nord, se réalisent avant tout à travers les mobilisations sociales.
Dans un système économique largement internationalisé, tout repli social en un lieu est mis à profit par les acteurs dominants et entraîne bien souvent un recul généralisé sous le prétexte de la course à la compétitivité.
Et cette course, on ne sait où elle s’arrête. Par contre, ce qu’on sait, c’est qu’elle est porteuse d’une logique de guerre : « si vous n’êtes pas assez compétitif, c’est quelqu’un d’autre, acceptant un salaire moindre, des horaires flexibles et des conditions de travail plus pénibles, qui récupérera votre emploi ».
Le bien-être des uns ne se nourrit pas de la misère des autres, et la mise en concurrence débouche en réalité sur une dégradation d’ensemble.
De même, toute avancée sociale, dans une entreprise, un secteur, un pays, en matière de conditions salariales et de travail, de liberté syndicale ou d’âge de la main-d’œuvre, ne peut qu’être bénéfique aux travailleurs des autres entreprises, des autres secteurs et aux populations des autres pays. Elle ne peut qu’être favorable à un changement des rapports de force et à des rapports de coopération.
Et ces avancées sociales impliquent la liberté d’organisation des travailleurs et des mouvements sociaux, la solidarité entre mouvements sociaux et humanitaires à l’échelle internationale, la coordination des actions entre organisations démocratiques et progressistes.
Les mobilisations et les avancées juridiques et législatives sont étroitement liées, les premières étant bien souvent à la base de ces dernières.
Autant il est important de codifier, dans les chartes et les accords internationaux, les droits fondamentaux des personnes et des peuples, autant il est indispensable pour les organisations progressistes, politiques, syndicales et sociales de se doter d’outils autonomes, indépendants pour exercer un véritable contrôle social.
Se pose ici la notion de contre-pouvoir exerçant des missions d’enquêtes, dénonçant les situations d’injustice, mobilisant pour l’application et le respect droits fondamentaux.
Par exemple, la dénonciation des orientations et des pratiques du FMI et de la Bm peut revêtir une véritable dimension mobilisatrice si elle repose sur des faits, des enquêtes, des évaluations menées par un contre-pouvoir indépendant reposant sur les organisations de résistance sociale.
De même, peut-on proposer un autre cadre international de régulation des échanges en s’inspirant des recommandations des 1200 associations, organisations non gouvernementales et syndicats qui se sont mobilisés à Seattle. Ce nouveau mouvement social international exige le respect par l’OMC de la déclaration universelle des Droits de l’Homme, des résolutions de l’Organisation internationale du travail (OIT), des conférences de Rio et de Kyoto, etc. Il ne s’agit pas de s’illusionner sur les possibilités de transformer l’OMC en une institution progressiste. Il s’agit plutôt de la placer son contrôle social et citoyen en attendant son remplacement.
Les associations de la solidarité internationale portent une responsabilité particulière dans la mise en place de ce contre-pouvoir, dans l’exigence de transparence et dans l’exercice d’un contrôle démocratique.
Poser les jalons d’un développement durable
Alors que nos sociétés ont, en cette fin de XXe siècle, les capacités techniques, scientifiques, financières et humaines d’assurer le bien-être minimal et indispensable à tous les habitants de la planète, l’économie capitaliste, soi-disant triomphante, prouve son incapacité quotidienne à satisfaire les besoins élémentaires de l’humanité, à faire fructifier toutes les potentialités du progrès technique.
La perspective est une société fondée non sur le profit privé mais la satisfaction des besoins fondamentaux.
Pour cela, il n’y a pas de raccourcis magiques. Il s’agit de rompre avec le néolibéralisme, en commençant par l’élaboration et la mise en chantier de propositions, de pistes alternatives.
Poser les jalons d’un développement durable, c’est par exemple exiger l’annulation de la dette du Tiers Monde, mettre un terme aux programmes « d’ajustement structurel » et permettre à ces pays de réaliser une déconnexion minimale du marché mondial, établir un flux positif de ressources financières vers ces pays, stopper la détérioration des termes de l’échange, alimenter un fonds de développement via la taxe Tobin, un impôt sur les grosses fortunes, soutenir les mouvements sociaux pour une véritable réforme agraire, etc.
Il va sans dire que cela nécessite la mise en place de nouveaux rapports avec le Sud, basés sur la solidarité, la justice sociale et les intérêts des populations.
Cela engage toute la responsabilité des mouvements syndicaux, sociaux du Nord pour miner ici les citadelles du néolibéralisme.