● N’y a-t-il pas des mesures urgentes pour protéger la population ?
Pierre Khalfa – La crise financière s’est transformée en crise économique et la récession s’installe. Les salariés vont être les premières victimes d’une crise à laquelle ils sont étrangers. Il faut donc prendre une série de mesures qui visent à les protéger. Par exemple, il est inconcevable que les entreprises qui font des profits licencient simplement parce qu’elles anticipent un ralentissement de l’activité économique ou, pire, pour faire remonter leur cours de Bourse ou continuer à verser des dividendes aux actionnaires. La récession va entraîner une augmentation du chômage. Il faut augmenter les minima sociaux, établir un moratoire sur les crédits relais, encadrer les loyers, interdire les expulsions de logements et engager un plan de construction de logements sociaux. Et que l’on ne nous dise pas qu’il n’y a pas d’argent, quand on voit comment le gouvernement a pu mobiliser 360 milliards d’euros au profit des banques !
● Quelles seraient les réponses plus structurelles ?
P. Khalfa – Cette crise est celle d’un système bâti sur l’appropriation toujours plus grande, par une petite minorité, de la richesse produite. La financiarisation plonge ses racines dans la baisse régulière, depuis un quart de siècle, de la part des salaires dans le PIB, qui a nourri le développement des profits financiers et l’explosion des dividendes versés aux actionnaires. Dans le même mouvement, ont été démantelées toutes les bornes mises à l’activité du capital. C’est avec ce système qu’il faut rompre. Il s’agit fondamentalement de mettre en œuvre une autre logique économique, pour satisfaire les besoins sociaux et respecter les impératifs écologiques. Cela suppose de briser les reins à la finance de marché et d’imposer une nouvelle répartition du revenu national. Au niveau financier, cela passe par des mesures visant à « recloisonner » les marchés, en limitant la liberté de circulation des capitaux et en interdisant toute transaction financière avec les paradis fiscaux. Il faut d’autre part interdire un certain nombre d’activités (transactions de gré à gré, titrisations…). Enfin, la puissance publique doit pouvoir maîtriser la distribution du crédit, et donc en finir avec le statut privé des banques. Toutes ces mesures devraient être prises au niveau européen, ce qui suppose une rupture radicale avec les traités actuels et le traité de Lisbonne, qui en est la prolongation. Imposer une nouvelle répartition de la richesse signifie aussi augmenter massivement les salaires et garantir leur évolution au même rythme que la productivité, assurer effectivement l’accès aux soins pour toutes et tous, mettre en œuvre un plan de développement des services publics. Plus généralement, il faut instaurer un statut du salarié qui garantisse une continuité des droits sociaux et de la rémunération, qu’il soit dans ou hors emploi.
● Une mobilisation est-elle possible, et comment ?
P. Khalfa – La situation est contradictoire. D’une part, les défaites antérieures et les échecs récents pèsent sur la capacité de mobilisation. D’autre part, un sentiment de colère est maintenant en train de naître, remplaçant peu à peu la stupéfaction initiale face au déroulement de la crise. De nombreuses luttes ont lieu au niveau local, notamment sur le refus des licenciements. Mais, pour le moment, il n’y a aucune coordination entre elles. De plus, fait positif, des cadres unitaires larges existent, que ce soit pour un référendum contre la privatisation de La Poste, pour proposer des alternatives face à la crise, sur l’Europe ou sur les questions écologiques. Mais ces structures peinent à impulser des mobilisations de masse. Dans cette situation, la stratégie mise en œuvre par les organisations syndicales est la question décisive. Il faudrait un cadre unitaire pérenne, qui redonne confiance aux salariés et un véritable plan de mobilisation, qui permette de créer progressivement les rapports de force nécessaires. Nous en sommes encore loin !