ROME CORRESPONDANT
Eluana Englaro va pouvoir mourir. La vie de cette femme âgée de 38 ans, entrée dans un coma végétatif le 18 janvier 1992 à la suite d’un accident de voiture, ne tient plus qu’à la sonde qui l’alimente et l’hydrate dans une institution hospitalière de Lecco (Lombardie). Après une procédure de près de dix ans, la Cour de cassation italienne a levé, jeudi 13 novembre, le dernier obstacle juridique à la volonté de son père, qui demandait l’arrêt de son alimentation artificielle.
« Il n’existe pas de droit de mourir, la vie est sacrée, a réagi, dans un entretien au quotidien La Stampa vendredi, Javier Lozano Barragan, président du Conseil pontifical pour la pastorale des services de la santé. Arrêter de donner à manger et à boire à Eluana revient à commettre un meurtre, cela signifie la laisser mourir de faim et de soif, la condamner à une fin monstrueuse. »
Pour l’église catholique italienne, cet arrêt de la Cour de cassation est un échec. Le Vatican et la Conférence épiscopale italienne (CEI) avaient pesé de tout leur poids pour l’empêcher, expliquant que l’alimentation forcée ne relève pas de « l’acharnement thérapeutique », rappelant sans relâche la doctrine de l’Eglise et le commandement « Tu ne tueras point ». Ce message a été amplement relayé par des personnalités politiques du centre-droit, empêchant un débat dépassionné sur cette question.
« IRRÉVERSIBLE »
La décision de la haute cour met fin à un parcours juridique commencé en janvier 1999, à la suite de la demande du père d’Eluana, Beppino, d’interrompre l’alimentation pour sa fille. Après l’avis négatif du tribunal de Lecco cette même année, la cour d’appel de Milan devait se prononcer à sept reprises contre cette requête, avant de finir par admettre, en juillet 2008, que « l’état végétatif permanent d’Eluana est irréversible ».
Roberto Formigoni, président de la région Lombardie et membre influent du mouvement ecclésial Communion et Libération, avait alors refusé d’indiquer au père d’Eluana l’adresse d’un établissement pouvant appliquer cette décision de justice.
L’église italienne veut maintenant faire aboutir un autre combat. Vendredi 14 novembre, après avoir fermement condamné l’arrêt de la plus haute juridiction italienne, Rino Fisichella, président de l’Académie pontificale pour la vie, a réclamé une loi qui empêche « toute euthanasie active ou passive en Italie ». Dans un entretien au quotidien La Stampa, il se défend de toute ingérence : « Nos principes valent pour le monde entier. La morale est dans les Dix Commandements, et elle n’est pas suggestive. » « Il devient urgent de réfléchir sur une loi de fin de vie qui protège la vie même », a expliqué, pour sa part, la CEI. Une trentaine d’associations vont déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Comme en 2006, lorsque l’Italie s’était retrouvée confronté au cas de Piergiorgio Welby, un malade de dystrophie musculaire qui réclamait le droit de mourir et le débranchement du respirateur artificiel qui le maintenait en vie, le cas d’Eluana Englaro met en évidence le vide juridique sur cette question dans la Péninsule.
Un article de la Constitution dispose que « personne ne peut être obligé à un traitement médical déterminé » sauf, précise-t-il, si la loi l’impose. Le débat sur le « testament biologique » qui divise tous les partis n’a pas abouti. Médecin, ancien ministre de la santé et sénateur du centre gauche, Umberto Veronesi veut croire que l’heure est venue d’une loi sur la fin de vie, et appelle l’Eglise à « respecter aussi ceux qui n’ont pas la foi ».
Eluana Englaro devrait maintenant rejoindre une structure hospitalière, probablement à Udine (Frioul), qui accepte d’appliquer l’arrêt de la Cour de cassation.
Les religieuses qui la soignent se sont élevées contre ce transfert : « Si certains la considèrent comme morte, alors qu’ils la laissent avec nous, car pour nous, elle est vivante. Nous ne demandons rien en échange, mis à part le silence et la liberté d’aimer et d’aider ceux qui sont faibles, petits et pauvres. »
« Eluana ne souffrira pas, car elle n’éprouve aucune sensation », a déclaré l’anesthésiste Mario Riccio. En 2006, le médecin avait débranché le respirateur artificiel de Piergiorgio Welby. L’Eglise catholique lui avait refusé un enterrement religieux.