CARINE CLEMENT est une Française installée à Moscou depuis 1994, épouse d’un député russe élu à la Douma. Attachée à l’Institut de l’Académie des sciences de Moscou, cette sociologue de 38 ans est investie dans la défense des droits sociaux en Russie. Avec d’autres militants, elle a créé, en 2004, l’Institut de l’action collective, un organisme de soutien aux mouvements associatifs. Depuis trois semaines, elle subit une violente campagne d’intimidation.
Que vous est-il arrivé ?
Carine Clément. Le premier incident s’est déroulé le 24 octobre, à la veille d’une journée d’action à laquelle participait mon association et baptisée « la Journée de la colère ». En rentrant chez moi, je me suis fait agresser par un jeune homme qui m’a frappée au visage et volé mon sac. Peut-être n’était-ce qu’une coïncidence, mais la proximité avec la date de la journée de mobilisation était quand même troublante. J’ai connu un deuxième souci mercredi dernier : en sortant de mon domicile, un homme m’a importunée puis m’a suivie dans les transports en commun. J’ai tenté de le semer, mais il a réussi à me rejoindre. Il m’a insultée puis craché au visage.
Puis, il y a eu l’agression de jeudi…
Cette fois-ci, je me rendais à une réunion publique sur la crise économique à laquelle participaient plusieurs associations de gauche. Mon intervention était programmée. Dans la rue, après avoir croisé deux jeunes hommes, j’ai ressenti une piqûre au niveau de la jambe. En me retournant, j’ai aperçu la seringue à terre. Je devrais recevoir lundi le résultat des analyses de son contenu. Par mesure de précaution, je prends depuis cette agression un traitement anti-VIH.
On vous vise donc directement ?
Oui. Il y a d’autres détails, comme des provocations sur Internet ou des tentatives de discrédit de ma personne, qui en attestent. En tout cas, la police semble également penser que ces trois agressions sont liées. On cherche à m’intimider.
« On cherche à me faire peur, mais je ne suis pas prête à abandonner mon action »
Pour quelles raisons ?
Il suffit de se demander qui mon action militante peut gêner. A priori, je vois deux hypothèses. Une première piste mène à la mafia des promoteurs immobiliers. Avec mon Institut, nous soutenons beaucoup de groupes d’habitants qui se défendent contre les spéculateurs qui bâtissent au mépris des règles et les constructeurs n’hésitent pas à faire appel à des gros bras pour défendre leurs intérêts. L’autre piste est celle des fascistes, très actifs en Russie. Je suis étrangère et mes prises de position sont franchement antiracistes. Je sais qu’après ma première agression, sur leurs blogs, ils s’étaient beaucoup réjouis.
Ce type d’agressions est-il fréquent en Russie ?
Malheureusement, oui. Le jour de mon attaque à la seringue, trois autres militants associatifs ou syndicaux ont été visés dans le pays. L’un d’eux est à l’hôpital entre la vie et la mort. Le sentiment d’impunité progresse : de plus en plus de personnes n’hésitent plus à employer des méthodes de bandits pour s’en prendre aux acteurs du mouvement social.
Ces menaces vous feront-elles renoncer ?
Non. On cherche à me faire peur, mais je ne suis pas prête à abandonner mon action. Je vais simplement prendre plus de précautions. Avec mes amis, on s’est arrangé pour que je sois accompagnée en permanence. De toute façon, quoi qu’il arrive, le mouvement associatif est en marche et me survivra.
Avez-vous reçu des soutiens ?
Oui. Une pétition, qui va au-delà de mon cas personnel, circule en Russie pour demander l’arrêt de la répression des mouvements sociaux et une réelle prise en compte du problème par le pouvoir. L’ambassade m’a contactée et je sais que, en France, des associations partenaires comme Attac ou No Vox m’ont apporté leur soutien.