En remportant la présidence de la République, Rafael Correa [1] a exprimé la victoire de ceux et de celles d’en bas. Au cours des deux derniers mois précédent son élection, on a assisté à une fusion entre la conscience sociale et la conscience politique de gauche, à une identification de la lutte contre l’oligarchie et de celle contre le néolibéralisme. Son adversaire, Álvaro Noboa, soutenu par les forces les plus conservatrices du pays, incarnait d’ailleurs parfaitement l’oligarchie néolibérale. Notons que parmi ceux qui se sont engagés comme jamais dans le camp de Noboa, on a vu tomber les masques des sociaux chrétiens [2], des roldosistes [3] et de ce qui restait des partisans d’une prétendue démocratie populaire [4].
Après la chute du président Lucio Gutiérrez en 2005 [5] et à la lumière de celle-ci, face à la crise de la représentation politique dans l’État, deux solutions permettant de sortir de la crise de légitimité du néolibéralisme étaient dans l’air. Celle d’un bloc fort de la droite dure, n’hésitant pas à affronter le peuple pour rétablir le modèle néolibéral. Et celle d’une sortie par la gauche, en renversant le modèle néolibéral dans ses choix fondamentaux. C’est cette dernière orientation qui s’est maintenant imposée, en construisant un nouveau rapport de forces en faveur du prolétariat et des opprimé(e)s de l’Équateur, ouvrant une nouvelle étape historique.
La droite n’a pas réussi à profiter de la chute de Lucio Gutiérrez pour réimposer ses choix néolibéraux, comme elle l’avait fait avec Jamil Mahuad en imposant la dollarisation en 2000, tirant profit de l’échec de Abdalá Bucaram en 1997 [6]. Au contraire, au travers des luttes contre le Traité de libre commerce imposé par les États-Unis, on a vu s’affirmer la convergence entre les organisations indigènes et populaires, avec un contenu démocratique qui a conduit à l’alliance de la gauche en faveur de Rafael Correa. Le cours de l’histoire est en train de s’ouvrir en faveur du peuple, ce qui non seulement est un motif de réjouissances, mais doit aussi permettre de promouvoir le processus anticapitaliste avec un nouveau élan.
L’impérialisme et la droite ont subi une lourde défaite. Sous le choc, ils n’ont pas encore trouvé comment ils pourront engager la contre-offensive. Mais les expériences du Venezuela, de Cuba et de la Bolivie sont là pour nous mettre en garde : la bourgeoisie ne laissera pas faire, elle cherchera à se réapproprier le gouvernement par tous les moyens, tant politiques que militaires, elle tentera d’user le gouvernement de gauche et de retourner la population contre lui. Car malgré toutes ses faiblesses et tous ses erreurs, Rafael Correa a remporté l’élection grâce à un discours et à des propositions fort radicales.
Transition ?
Il doit faire face à un Parlement dominé par le populisme de droite.
Déjà ce dernier, par le biais du Parti de la Société patriotique du 21 janvier (PSP) [7], annonce qu’il va soutenir l’Assemblée constituante. Il tente de faire oublier de cette manière, qu’avec les sociaux chrétiens d’abord, puis avec le PRIAN [8] et le PRE, il a été sur le point de livrer la souveraineté du pays aux États-Unis en signant le Traité du libre commerce. Cela témoigne aussi de la crainte qu’il a de perdre sa base sociale, car les pauvres qui ont choisi de soutenir le PSP au premier tour ont été radicalisés dans la lutte pour le second tour et ont trouvé la manière de s’identifier avec des positions de la gauche.
C’est pourquoi il faut maintenir l’alliance directe entre le peuple et la gauche et la renforcer. Cela permettra non seulement de soutenir le nouveau gouvernement, mais encore de pousser à la concrétisation des propositions de campagne faites par Rafael Correa, en avançant vers une autre situation de la lutte, non seulement en Équateur, mais aussi dans toute l’Amérique latine et dans le monde entier.
Si Rafael Correa a obtenu un résultat important dès le premier tour, c’est dans la préparation du second tour que s’est réalisée une articulation de la conscience de la gauche dans les secteurs urbains et ruraux du pays. C’est une nouvelle rencontre des forces sociales et politiques de la gauche, entre tous les acteurs qui depuis plus de deux décennies ont ouvertement lutté contre la mondialisation néolibérale.
Nous devons faire face aujourd’hui à de nombreux défis :
* Il faut consolider un gouvernement pour réaliser les propositions les plus importantes, comme le refus du Traité du libre commerce, la mise en place de l’Assemblée constituante, l’amélioration des conditions de vie, de l’emploi, de la santé, de l’éducation et du logement de ceux qui sont les plus pauvres dans le pays ;
* Il faut en même temps renforcer l’unité de la gauche qui passera par l’épreuve de sa capacité à conduire l’Assemblée constituante de manière à faire reculer les fondements du modèle néolibéral, c’est-à-dire les privatisations et la dette extérieure ;
* Il faut radicaliser les réformes particulières en renforçant les luttes pour le respect, dees droits humains et collectifs, dont bénéficieront les populations indigènes, les femmes, les jeunes etc., dans la perspective de la construction d’une société nouvelle ;
* Il faut affirmer un processus d’unité et d’alliances avec le Venezuela, le Brésil, Cuba, la Bolivie et les autres peuples qui résistent en Amérique latine, en Europe, en Afrique et en Asie ;
* Il faut promouvoir les nouveaux processus d’auto-organisation et renforcer les propositions des assemblées populaires et des collectifs de lutte qui permettent d’ouvrir un vaste débat sur la voie que nous voulons que notre pays emprunte ;
* Ce doit aussi être un moment de réaffirmation idéologique des révolutionnaires et il serait désastreux de ne pas l’utiliser.
Le moment est en effet venu de nous regrouper et d’avancer, de repenser la nouvelle gauche. L’activation politique des organisations politiques et sociales ne sera pas possible si la réflexion ne nous sert pas de guide, parce que pour construire le socialisme il faut puiser dans les expériences historiques, utiliser, en les réactualisant, le marxisme, le féminisme et les autres théories révolutionnaires, qui nous aideront à reconstruire notre utopie révolutionnaire sur la base de nos luttes populaires historiques.
Nous sommes devant les temps nouveaux, ceux d’un plus grand respect, de la dignité et de la créativité. Certains disent que nous sommes au début d’un processus révolutionnaire. Dans ce sens tout doit être fait pour renforcer autant que possible le premier gouvernement de gauche qui ait vu le jour dans l’histoire de l’Équateur - bien que certains disent que le premier fut celui de Jaime Roldós En tout cas c’est la première présidence qui se réclame de la gauche en promulguant le socialisme du XXIe siècle ! Cela représente un grand pas en avant pour un peuple petit par son territoire, mais grand par ses luttes historiques combatives et rejoignant les peuples de Cuba, du Venezuela et de la Bolivie.
Le temps est venu de récolter les premiers fruits des luttes courageuses du mouvement indigène, des femmes, des travailleurs, des jeunes, des penseurs et penseuses critiques qui ont permis d’ouvrir une autre voie dans l’histoire et de trouver une autre issue aux crises et aux défaites que nous avions aussi vécues et qui nous guettent encore. C’est pourquoi la construction du pouvoir populaire et du socialisme doit être notre premier objectif à l’ordre du jour.
Quito, le 29 novembre 2006