Environ 250 travailleurs et travailleuses, à 85% d’origine latino et les autres surtout afro-américains, ont occupé du vendredi le 5 décembre au mercredi le 10, une usine de portes et fenêtres de Chicago qui avait cessé ses activités le même jour. Ils exigeaient 1.5 millions $ d’arrérages de payes de séparation et de vacances qui leur sont dus et le respect de l’avis légal de 60 jours avant fermeture, qui cependant n’est pas sans faille, et non les trois jours d’avis qui visaient à les prendre par surprise pour éviter toute riposte alors que la compagnie savait depuis la mi-octobre qu’elle allait fermer.
Cependant, plus se prolongeait l’occupation et plus la solidarité se concrétisait, plus devenait populaire la revendication du refus de la fermeture de l’usine. En effet, ce local syndical fait parti, depuis qu’il s’est débarrassé de son syndicat de boutique en 2004, du combatif et historiquement radical United Electrical, Radio and Machine Workers of America (UE).
Suite à des négociations sur plusieurs jours entre le syndicat et l’employeur, mais aussi la Bank of America, principale banque de l’employeur et la JPMorgan Chase, propriétaire minoritaire — comme quoi le grand capital financier pénétrait cette « petite » entreprise individuelle de bien des côtés —, les occupants ont obtenu non pas les 1.5 million exigé mais bien 1.75 million payé principalement par la Bank of America mais aussi la JPMorgan Chase, non pas à la compagnie mais à un fonds séparé. Le syndicat a aussi annoncé la mise sur pied d’une fondation qui œuvrera à la réouverture de l’usine… mais qui sera financé par le seul syndicat et les dons reçus jusqu’ici.
Le syndicat avait bien compris cette fusion exemplaire entre le capital industriel et le capital bancaire dite capital financier. Il dénonçait non seulement l’employeur mais aussi la Bank of America, « la plus grande banque américaine en termes de dépôt et de capitalisation boursière » (Wikipédia) qui a refusé de continuer à soutenir leur employeur, la Republic Windows and Doors, alors que le gouvernement étasunien lui a avancé 25 milliards $, dont 15 ont déjà été déboursés, à même les fonds de 700 milliards $ du plan Paulson. Pourtant cette banque, loin d’être une victime de la crise financière, en a profité pour s’emparer à vil prix du plus grand prêteur hypothécaire indépendant des ÉU, Countrywide Financial, et surtout du courtier Merrill Lynch ce qui en fait « le plus important gestionnaire national de patrimoines. » (New York Times).
Pour faire pression sur la banque, une quinzaine d’échevins de Chicago avaient fait part de leurs intentions de présenter une résolution au Conseil de ville pour que la municipalité cesse de faire affaire avec elle. Dans la foulée, le gouverneur démocrate de l’état de l’Illinois, où est situé Chicago, avait déclaré que le gouvernement de l’état allait cesser de faire affaire avec la Bank of America jusqu’à celle-ci accepte de financer la Republic Windows and Doors. Il faut ajouter, cependant, tant le gouverneur que le sénateur démocrate fédéral Durbin avaient aussi montré leur mécontentement face à l’occupation. On reconnaît la bonne vieille tactique de la carotte et du bâton par des politiciens pressés de désamorcer cette bombe qui pouvait mettre le feu à la plaine.
Toutefois, le lendemain de cette déclaration, le gouverneur Blagojevich a été arrêté, rien de moins, par les autorités fédérales pour avoir tenté de littéralement vendre le siège de sénateur fédéral junior de l’Illinois laissé vacant par le président-élu Obama (en Illinois, ce droit revient au seul gouverneur), un sommet inégalé dans le milieu politique de cet état pourtant réputé pour sa corruption. Cet événement, qui fait la une nationale et même internationale, avait eu l’inconvénient de laisser dans l’ombre l’occupation jusqu’ici très suivi par les médias. On peut interpréter ce scandale, et surtout le timing de l’arrestation du gouverneur par le FBI, comme non seulement une tentative de compromission du président-élu, dont certains membres de l’entourage immédiat sont l’objet d’allégations, mais aussi de pression sur les occupants.
Le représentant démocrate fédéral Jesse Jackson Jr., fils du dirigeant des droits civiques du même nom et qui était co-président de la campagne nationale du président-élu, est l’un de ceux contre qui pèsent les soupçons les plus sérieux pour l’obtention, contre argent sonnant et autres faveurs, du poste de sénateur. Par ricochet, les occupants étaient aussi visé non seulement par l’appui compromettant du gouverneur corrompu mais par la visite très médiatisée de Jesse Jackson père à l’usine occupée. La compromission de dirigeants politiques et sociaux par le FBI est une méthode souvent utilisée par la bourgeoisie étasunienne.
Rappelons la compromission de l’ancien gouverneur républicain de l’Illinois, George Ryan, aujourd’hui en prison, qui avait fait une croisade contre la peine de mort et critiqué la politique de son parti envers Cuba. Rappelons aussi la démission forcée en 1998 du dirigeant progressiste des Teamsters soutenu par le caucus de gauche Teamsters for a Democratic Union, Ron Carey, faussement compromis par le FBI. Étant donné les sommes d’argent faramineuses corrompant systématiquement le système électoral étasunien et la grande similitude des politiques des incontestés deux grands partis Démocrate et Républicain, on peut en déduire que le FBI est en mesure de compromettre au besoin un très grand nombre de politiciens et de dirigeants sociaux.
Selon le syndicat, même si leur employeur était durement touché par la crise immobilière comme fournisseur de l’industrie de la construction — la main d’œuvre était passé de 700 à 250 — il est loin d’être évident qu’il était sur le bord de la banqueroute. Dans les semaines précédentes, d’importants et dispendieux équipements avaient disparus souvent durant la nuit. La compagnie pourrait vouloir réapparaître ailleurs avec une main d’œuvre non syndiquée d’autant plus que le syndicat avait réussi à empêcher des concessions et à gagner des hausses salariales. Reste que le salaire moyen n’y était que de 14 $US l’heure plus un plan de pension et d’assurance-santé. Cette rumeur vient d’être accréditée par l’achat d’une usine semblable non-syndiquée, où le salaire moyen n’est que de 9 $US l’heure, dans l’Etat de l’Iowa par le même propriétaire.
La nouvelle de l’occupation avait fait boule de neige au point d’obliger le président-élu Obama à l’appuyer tellement le comportement de la compagnie est indéfendable, y compris légalement, et grande la colère du prolétariat étasunien face aux sommes faramineuses consacrées au sauvetage des banques — 8 billions $US engagés dont 1.4 à 3 billions déjà dépensés — versus l’abandon du peuple aux banqueroutes hypothécaires et aux mises à pied devenues massives depuis novembre :
“Ces travailleurs demandent les bénéfices et les paiements qu’ils ont gagné, » de dire M. Obama, « Je crois qu’ils ont absolument raison et je comprends que ce qui leur arrive est le reflet de ce qui arrive à notre économie.” (New-York Times, 7 décembre 2008, ma traduction)
Cette colère prolétarienne avait immédiatement été visible par la visite de militants et militantes syndicaux et des droits des immigrées porteurs de victuailles et de dons monétaires. Dès samedi midi, le 6 décembre, environ 300 personnes, alertées tant par la couverture d’une demi-douzaine de médias que par des courriels et des messages textes, participaient à une vigile devant les portes de l’usine. Y avaient adressé la parole des dirigeants locaux des Teamsters, de Chicago Jobs with Justice et du Chicago Teachers Union. Allaient suivre la journée suivante le dirigeant afro-américain de gauche Jesse Jackson, le président du National Writers Union et une délégation de U.S. Labor Against the War, puis un dirigeant régional des United Auto Workers (UAW), syndicat qui malheureusement vient de céder à la pression en faisant d’autres concessions aux GM, Ford et Chrysler au bord de la faillite. Le dernier jour de l’occupation, le mouvement syndical de Chicago avait organisé une manifestation devant le siège local de la Bank of America. Le dirigeant de l’Interfaith Worker Justice committee s’était engagé à tenir un rassemblement quotidien sur l’heure du midi pour toute la durée du conflit.
À la vigile du premier jour, le membre démocrate du Congrès étasunien Luis Gutierrez, qui avait tenté d’organiser sans succès une rencontre entre le syndicat, la compagnie et la Bank of America, alla jusqu’à faire une déclaration marxisante :
« Quelqu’un m’a dit, “Ces fenêtres ne leur appartiennent pas. Qu’est-ce à dire qu’ils se les accaparent ?” » de dire Gutierrez à la foule. « Il m’a semblé que c’est leur travail qui a assemblé ces fenêtres. C’est leur créativité, c’est leur travail, leur souci de la qualité qui a permis la réussite de cette compagnie... Ces fenêtres appartiennent aux travailleurs tant qu’ils n’auront pas été payés. » (socialistworker.org, 8 décembre 2008, ma traduction)
Le dirigeant James Thindwa de Jobs with Justice a sans doute donné le sens de cette occupation d’usine aux Etats-Unis, une tactique très rarement utilisée depuis celles emblématiques des années 30, en déclarant :
“C’est la fin de l’époque où la cupidité de l’entreprise privée était la règle. » a-t-il dit. « C’est le commencement de quelque chose de nouveau," (socialistworker.org, 8 décembre 2008)
Peut importe que la bourgeoisie étasunienne ait réussi à désamorcer cette bombe politique, un signal fort vient d’être entendu surtout aux USA mais aussi de par le monde, en commençant par le Canada et le Québec, tellement est crucial tout sursaut du prolétariat étasunien pour le modification du rapport de forces mondial. Cette occupation a clairement mis sur la défensive le mal famé capital bancaire qui s’est vu contraint à dégager des ses centaines de milliards en secours étatique un petit million pour le prolétariat. Le montant est certes ridicule mais le précédent est de taille.
Les occupants ont aussi appris à déjouer les manœuvres de l’adversaire quand par exemple l’agence de presse Associated Press et le New York Times avaient faussement prétendu que les négociateurs avaient réglé. Ce petit coup fourré fut l’occasion pour la direction syndicale de préciser que toute décision eu égard à l’occupation devait être entérinée en assemblée générale. L’importance de la démocratie à la base sera certainement retenu.
Le soutien à l’occupation commençait à s’internationaliser. Ont envoyé des messages de solidarité un groupe de syndicalistes de Suisse, la petite fédération mexicaine FAT, associée de longue date avec l’UE, la fédération japonaise Zenroren, la fédération française CGT et le courant Marea Socialista du parti bolivarien PSUV, courant principalement composé de dirigeants nationaux et régionaux de la fédération syndicale UNT née de la lutte pour sauver la révolution bolivarienne en 2002. Dans la missive, signée par Stalin Pérez and Gonzalo Gómez, on peut lire le passage suivant :
« Nous applaudissons à cette action comme un symbole de la résistance et un exemple du chemin de lutte que les travailleurs doivent suivre à travers le monde entier. Nous croyons que la seule solution à la crise réside dans le contrôle de la production par les travailleurs et le peuple. Nous croyons aussi qu’il n’y a pas de solution humanitaire et rationnelle à la crise à moins que les travailleurs, en plus du contrôle de l’économie que les capitalistes sont en train d’asphyxier, ne prennent le contrôle des gouvernements de sorte à mettre l’État au service de la grande majorité. » (ma traduction à partir de l’anglais)
L’UE avait rapidement mis en place une infrastructure de communication web pour que s’organise la solidarité tant nationale qu’internationale. On pouvait envoyer un message de solidarité et aussi envoyer un message de protestation à la Bank of America. Finalement, on pouvait contribuer financièrement. À l’offensive capitaliste pour faire payer la crise économique au prolétariat mondial, la seule réponse possible est la solidarité internationaliste. Comme disait l’autre il y a 160 ans : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. »
Sources principales :
New York Times, socialistworker.org et le site de l’United Electrical, Radio and Machine Workers of America (UE).