● Sur quoi repose l’accusation contre les jeunes de Tarnac ?
Éric Hazan – Ce qui est intéressant dans ce montage politico-médiatico-policier, c’est la façon dont la quasi-totalité des médias a repris les déclarations de la police, sans beaucoup d’états d’âme. Si les journalistes des rubriques « Société » mettent en doute les infos de la police, ils se coupent de leur source. Ils sont, comme la presse en Irak, tellement unbedded (« embarqués »), qu’ils adoptent presque naturellement le point de vue de la police. Cela a duré presque une semaine. Dans un second temps seulement, est advenu le malaise général. L’accusation repose sur quoi ? Un témoignage anonyme sous X ? Le témoin a disparu. Des éléments très compromettants trouvés dans les perquisitions ? Des horaires de chemins de fer, une lampe frontale, une échelle déclarée matériel d’escalade et, même, rendez-vous compte, des livres qui critiquent la société dans laquelle on vit ! Et cette histoire de filature : un GPS placé sous la voiture de Julien Coupat, et la police perd le contact juste au moment du sabotage, ne permettant pas le flagrant délit.
L’accusation a alors commencé à sombrer dans le ridicule. L’installation à Tarnac (Corrèze), prétendue base arrière du commando terroriste ? Difficile de présenter l’ouverture d’une épicerie de village comme une opération de couverture. La volonté du groupe de nouer d’autres relations avec la société s’est réalisée. Les habitants ont spontanément créé un comité de soutien en disant : « Ces jeunes, on les connaît, ils apportent ici la jeunesse, la vie, l’enthousiasme. » Ceux qui voyaient Tarnac comme le cœur de la circonscription de Chirac ont oublié que c’est une terre de résistance, Georges Guingouin et Armand Gatti ne sont pas loin. Alors, après l’appel des « personnalités », paru dans Le Monde et demandant l’arrêt des poursuites et la libération des inculpés, les médias virent de bord.
● Et maintenant ?
É. Hazan – Sur les neufs arrêtés, quatre, puis trois autres, ont été libérés sous contrôle judiciaire. Mais Julien Coupat et Yldune, sa compagne, sont toujours détenus. Julien est, depuis le début, présenté comme le chef, l’ennemi numéro un, le gourou charismatique d’une secte violente. Je le connais depuis bientôt dix ans, c’est complètement absurde. Ce garçon doux et charmant récuse la notion même de chef et s’est toujours battu contre, l’idée de secte étant celle qui lui est la plus étrangère. Mais l’appareil d’État ne pouvait se déjuger complètement. Cette affaire ne doit pas s’engluer dans le silence de la trêve des confiseurs. Nous devons, bruyamment, collectivement, exiger la libération de Julien et Yldune, et l’arrêt des poursuites.
Propos recueillis par Roger Devaneuse
EXTRAITS DE COMMUNIQUÉS À PROPOS DE « L’AFFAIRE » DE TARNAC
COMMUNIQUÉ DU NPA DE LA CREUSE :
« L’agitation médiatique déclenchée par le ministère de l’Intérieur à propos des prétendus terroristes de Tarnac est retombée comme un soufflé... Pourtant, neuf des dix jeunes gens ont été inculpés, cinq ont été incarcérés à titre préventif pour une durée indéterminée et deux restent aujourd’hui encore détenus.
Rien ne prouve qu’ils aient détruit ou mis hors service des caténaires de la SNCF et encore moins mis en danger la vie d’autrui. […] Cette affaire prouve aussi que la législation antiterroriste de juin 2008 permet tous les dérapages et offre la possibilité d’inculper pour « terrorisme » n’importe qui pour n’importe quoi. […] Ensemble, défendons la démocratie, les libertés et les services publics. »
COMMUNIQUÉ DU NPA DE HAUTE-VIENNE :
« Le nouveau parti anticapitaliste de Haute-Vienne a appris par la presse que la commission permanente du conseil régional du Limousin, réunie le 21 novembre, a décidé à l’unanimité de ses 28 membres de geler les subventions prévues pour la petite épicerie de Tarnac […]. Le conseil régional du Limousin est souvent moins regardant sur les finalités de certaines entreprises auxquelles il attribue des sommes bien plus importantes. […] Si le vote des élus de droite (UMP et Modem) n’est pas surprenant, eux qui applaudissent des deux mains aux lois sécuritaires de Sarkozy, comment des élus de gauche (PS, Verts et PCF) ont-ils pu accepter de porter atteinte à la présomption d’innocence […] ? Par cette décision, le conseil régional ne se grandit pas. Il peut encore redresser la barre, en revenant sur cette décision […]. »
COMMUNIQUÉ NATIONAL DE LA LCR :
« Dérive sécuritaire.
Communiqué de la LCR.
La remise en liberté de trois des cinq emprisonnés du groupe de Tarnac par la cour d’appel de Paris ne fait que démontrer l’inanité de l’accusation de terrorisme, complaisamment colportée par les enquêteurs et le pouvoir politique. Ces arrestations à grands renforts de forces policières et très médiatisés sont un des signes d’une dérive sécuritaire et liberticide, galopante, de plus en plus affirmées.
Que ce soit la scandaleuse et brutale arrestation d’un ancien directeur de publication de Libération, Vittorio de Filippis, accusé de diffamation, que ce soit la perquisition dans un collège du Gers avec des chiens policiers qui ne peut que traumatiser de jeunes collégiens, chacun de ces événements voient les libertés publiques mises à mal.
N. Sarkozy porte une lourde responsabilité en la matière. Le discours sécuritaire, qu’il véhicule depuis plusieurs années, agrémenté d’agressions verbales, visant à stigmatiser tous ceux et toutes celles qui portent une parole différente de la sienne ne pouvait que déboucher sur une police, et parfois une justice, à son image.
Fréquemment, des sans-papiers, des jeunes sont victimes des mêmes agissements dégradants dans l’anonymat le plus total.
La LCR affirme sa totale solidarité avec les victimes de ces agissements inhumains. Les libertés publiques sont menacées. Il y a urgence à se rassembler pour les défendre.
Le 2 décembre 2008. »