La première leçon du scrutin prud’homale du 3 décembre est évidemment la chute poursuivie de la participation, depuis 1979 (32,6 % en 2002, 25,50 % en 2008). Depuis la suppression des élections à la Sécurité sociale, seul authentique rendez-vous interprofessionnel, le scrutin prud’homal est celui qui s’adresse au plus grand nombre de salariés dans le privé (18,6 millions cette année). L’Unsa (+1,2 %) a raison de dire qu’un tel corps électoral est « parlant » mais, lorsqu’un salarié sur quatre participe, que faut-il entendre ? Pour le moins, ce niveau d’abstention révèle des prises de distance avec l’institution mais aussi, malheureusement, avec le syndicalisme.
Un faisceau de raisons explique la désaffection. La première est un scrutin organisé loin des lieux de travail. Il faut bel et bien s’arracher à l’emprise patronale pour oser porter son bulletin dans l’urne. Dans les rares endroits où les urnes étaient proches des entreprises, comme à Citroën Aulnay, la participation se rapproche des élections professionnelles classiques. L’autre problème tient à la nature de l’institution prud’homale, à laquelle les salariés préfèrent ne pas avoir affaire, car il s’agit alors d’un litige grave. Les prud’homales, tribunal du contrat de travail, individualisent le rapport salarial. Une étude qualitative faite par le CSA, en mai 2008, concluait à un vote « en lui-même vide de sens », même si des batailles collectives peuvent aussi se gagner aux prud’hommes [1], notamment contre des licenciements abusifs.
Avec 2 millions de salariés supplémentaires par rapport à 2002, il y a plus de 600 000 voix exprimées en moins. Force est donc de constater que le syndicalisme, pris globalement, n’incarne pas une force, sur le plan interprofessionnel, capable de redonner du sens à cette élection, malgré le contexte d’agressions amplifiées. Un sondage CSA, réalisé chaque automne depuis 1993, indique que, depuis 2003, la confiance portée vers le syndicalisme n’est plus ascendante, avec une chute en 2008. Le vote prud’homal le confirme.
Cependant, cette élection révèle aussi des signaux que les salariés qui se sont déplacés ont voulu donner dans un contexte de crise aiguë. Le progrès de la CGT est net en pourcentage (+1,4 %), mais plus relatif en voix (baisse en valeur absolue par rapport à 2002, sauf dans le commerce, où la CGT passe de 411 745 à 435 909). Associé à la chute de 3% de la CFDT, le sens du progrès de la CGT est clair : les salariés voient en elle une confédération proche de leurs aspirations, alors que la CFDT donne l’image inverse depuis 2003. L’enquête CSA de mai 2008 anticipait une CGT perçue « aux côtés des salariés », face à une CFDT « brouillée » avec ses valeurs, y compris pour les cadres.
Solidaires, qui double ses résultats, a donc raison de dire que le syndicalisme situé « sur le terrain des luttes […] progresse le plus ». Mais le progrès de Solidaires doit aussi se relativiser, car l’Union présentait trois fois plus de listes – signe de dynamisme – sans tripler ses voix pour autant. Quant à FO, son nouvel affaiblissement lui promet un avenir difficile. Sa pratique erratique (un jour signataire de l’accord sur le contrat de travail, un autre jour critique dur de l’accord représentativité) et son isolement sectaire ne payent pas.
Ces résultats vont accélérer les restructurations syndicales inaugurées par les nouvelles règles de représentativité. La fusion CGC-Unsa se confirme. Pour l’avenir du syndicalisme de lutte et unitaire, la question clé est ce qui va se passer du côté de la CGT, de Solidaires, de la FSU (dont les élections dans la fonction publique et l’enseignement confortent le poids prépondérant) et des équipes FO et CFDT qui cherchent la voie d’un nouveau rassemblement interprofessionnel dynamique.