C’est une simple déclaration, mais elle suscite un vent de fronde. Jeudi 18 décembre aux Nations unies, un appel historique à la dépénalisation universelle de l’homosexualité a été lancé par un tiers des pays du monde, sans parvenir à obtenir le soutien de certains poids lourds de l’organisation. Plusieurs Etats arabes, mais également le Vatican, les Etats-Unis, la Russie ou la Chine se sont ainsi opposés au texte présenté devant l’Assemblée générale, dont Rama Yade, secrétaire d’Etat française aux droits de l’homme, est l’une des inspiratrices.
N’engageant que ses signataires, cette « déclaration politique » ne revêt aucun caractère contraignant. Notamment signée par tous les pays de l’Union européenne, le Brésil, Israël et le Japon, elle place la question des droits des homosexuels, lesbiennes, bisexuels et transgenres à l’ordre du jour de l’Assemblée de l’ONU et se fonde sur le principe d’universalité des droits de l’homme, consacré dans la déclaration universelle de ces droits. Il réaffirme encore « le principe de non-discrimination qui exige que les droits de l’homme s’appliquent de la même manière à chaque être humain, indépendamment de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ».
« En ce XXIe siècle, comment accepter que des personnes soient pourchassées, emprisonnées, torturées et exécutées en raison de leur orientation sexuelle ? », a lancé Rama Yade, après la lecture de l’appel, qualifiant d’« historique » l’initiative des « 66 ».
Lors de la préparation de cette déclaration, plusieurs pays arabes et le Vatican ont manifesté leur hostilité au texte. Pour le Vatican, la déclaration répond à l’objectif légitime de bannir la répression de l’homosexualité. Mais en condamnant les « discriminations » et « préjugés » concernant les homosexuels, il risque à ses yeux de favoriser le mariage gay, l’adoption par des couples du même sexe ou la procréation assistée pour les homosexuels. Les gays italiens avaient alors manifesté leur désaccord avec le Vatican.
* LEMONDE.FR avec AFP | 19.12.08 | 10h47 • Mis à jour le 19.12.08 | 11h51.
« Les lois homophobes sont souvent l’héritage de la colonisation »
Louis-George Tin, président du comité Idaho (International Day Against Homophobia), a lancé en 2006 la campagne « Pour une dépénalisation universelle de l’homosexualité », qui a inspiré la déclaration portée jeudi 18 décembre par la France et les Pays-Bas devant l’Assemblée générale de l’ONU. Cette déclaration, qui n’a aucune valeur contraignante, a été signée par 66 pays, sur 192 membres. Une soixantaine de pays ont signé dans le même temps une contre-déclaration, présentée par la Syrie.
Comment expliquez-vous que trois grands pays, la Chine, la Russie et les Etats-Unis, ont refusé de signer la déclaration ?
Concernant la Chine et la Russie, ce n’est guère surprenant. Quant à l’administration Bush, elle n’a jamais levé le petit doigt sur ces questions. Mais il y a aussi de belles surprises. Pour la première fois, cinq pays africains (Gabon, île Maurice, Cap-Vert, Guinée-Bissau et République de Centrafrique) se sont officiellement prononcés en faveur de la dépénalisation. Le Gabon faisait même partie du groupe de travail qui a porté le texte. Quant à l’île Maurice, elle l’a signé alors que l’homosexualité est criminalisée sur son territoire. C’est le signe que certains pays veulent avancer.
Une contre-déclaration, présentée par la Syrie, a recueilli presque autant de signatures...
Ce texte présenté à l’initiative de pays membres de l’Organisation de la conférence islamiste est assez étonnant. Il fait notamment l’amalgame entre homosexualité et pédophilie. Dans le brouillon qui circulait jusqu’à la veille de sa présentation, il affirmait même que la dépénalisation de l’homosexualité ouvre la porte à la pédophilie, à la bestialité et à l’inceste... Dans un éclair de lucidité et de modération, l’auteur de la déclaration a fait disparaître ces deux dernières mentions de la version finale.
Le 17 mai 1990, l’OMS retirait l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Comment les droits des homosexuels ont-ils évolué depuis ?
En 2005, un premier texte défendant la dépénalisation de l’homosexualité, présenté par la Norvège au Conseil des droits de l’homme, avait recueilli 35 signatures. Cette fois-ci, nous en avons recueilli 66. L’évolution est palpable. Mais 80 pays pénalisent encore l’homosexualité. Quand certains pays avancent, d’autres reculent. Les Etats-Unis ont abrogé en 2003 une loi contre la sodomie, mais le Burundi se pose aujourd’hui la question de pénaliser l’homosexualité. Au Kenya, il est même question de durcir la loi, alors que l’homosexualité est déjà passible de quatorze ans de prison.
La religion est-elle un argument déterminant dans le refus de dépénaliser l’homosexualité ?
Pas forcément. Les lois pénalisant l’homosexualité sont souvent l’héritage de la colonisation, comme c’est le cas pour le code pénal indien imposé par l’Angleterre. L’argument homophobe classique dans un certain nombre de pays est que l’homosexualité a été importée de l’Occident, alors que ce sont en réalité les lois qui la punissent qui ont été importées. Le fait qu’en Inde certains se réclament d’une pureté sexuelle et morale est paradoxal, puisque les Britanniques justifiaient la pénalisation de l’homosexualité par la « perversion naturelle » supposée des Orientaux.
Le Vatican s’est prononcé, vendredi, en faveur de la dépénalisation, mais il a refusé de voter la déclaration, estimant qu’elle allait trop loin...
Le Vatican redoute qu’une dépénalisation mène à la légalisation du mariage gay. Cette crainte n’est pas fondée juridiquement, puisque ce point ne figure pas dans le texte, mais elle n’est pas sans objet d’un point de vue philosophique, car dire que les homosexuels ne sont pas des criminels revient à leur accorder les même droits qu’à tous. Le Saint-Siège n’est signataire d’aucun des deux textes, mais il œuvre en coulisse et tient un double discours : soft dans les pays du Nord, plus dur au Sud. Il se trouve qu’il a plus de troupes au Sud, mais que les églises du Nord sont plus riches. Il a donc du mal à se positionner officiellement et se tient dans cette position jésuitique.
L’homosexualité est passible de la peine de mort dans sept pays. Quelles sont les régions du monde les plus homophobes ?
On pourrait dire que les pays qui pratiquent la peine capitale, comme l’Iran, sont les plus homophobes. Mais si on considère les meurtres homophobes, le record est détenu par le Brésil, où se déroule pourtant chaque année la plus grande parade homosexuelle du monde. C’est donc une question complexe. Et que dire de la France, qui détient le record d’Europe du taux de suicide des jeunes, notamment confrontés à l’homophobie sociale. Il ne sont pas tués par la loi, mais se sont tués eux-mêmes. Ces trois pays ne sont évidemment en rien comparables, mais cet état des lieux permet de prendre conscience que l’homophobie n’existe pas que chez les autres.
* Propos recueillis par Soren Seelow.
* LEMONDE.FR | 19.12.08 | 20h18 • Mis à jour le 19.12.08 | 20h43.
LA PEINE DE MORT APPLIQUÉE DANS SEPT PAYS
L’homosexualité est condamnée par la loi dans près de 80 pays. Elle est punie de la peine capitale dans sept d’entre eux : l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Iran, la Mauritanie, le Nigeria, le Soudan et le Yémen.